Climat

Accord UE-Mercosur : dangers écologiques majeurs

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La commission d’experts chargée par le gouvernement d’évaluer les impacts sanitaires et environnementaux de l’accord entre l’UE et le Mercosur pointe cinq grands dangers. De quoi remettre en cause ce projet commercial ?

A Novo Progreso au Brésil, des tribus indigènes bloquent le 18 août une route en protestation contre le manque de soin face au Covid-19 dont la propagation est facilitée par les déforestations illégales orchestrées par le gouvernement de Jair Bolsonaro. La seule hausse des exportations de viande bovine du Mercosur vers l’UE pourrait engendrer une accélération de la déforestation annuelle comprise au minimum entre 5 % et 25 % pendant six ans. PHOTO : Fernando Souza/ZUMA/REA

Le projet d’accord commercial entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur (l’organisation commerciale qui regroupe quatre pays d’Amérique latine, soit le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay), que la présidence allemande de l’UE voulait faire adopter au Conseil avant la fin de l’année 2020, relève décidément du casse-tête pour le gouvernement français. Après avoir changé plusieurs fois d’avis sur ces négociations, l’exécutif a nommé le 31 juillet 2019 une commission d’experts chargée d’évaluer ses impacts sanitaires et environnementaux.

Présidée par Stefan Ambec, cette commission, composée de neuf hommes et d’une femme, a réuni des économistes, un professeur de droit international, un inspecteur vétérinaire, un professeur de sciences politiques, un expert de la biodiversité et un représentant de l’Institut de l’élevage. Le rapport remis au gouvernement en début d’année 2020 et rendu public vendredi 18 septembre pointe précisément les dangers que le projet d’accord fait peser sur le climat, la biodiversité et la santé des citoyens.

Evaluation environnementale indispensable

Cette analyse des impacts potentiels de l’accord sur le développement durable à l’initiative de la France est bienvenue dans la mesure où l’étude commandée par la Commission européenne présente de nombreuses lacunes. Non seulement elle n’est pas encore disponible dans une version définitive, mais elle ne se base pas sur le contenu réel de l’accord et se montre en particulier très optimiste sur le volet déforestation. Et elle ne prend pas en compte par exemple le contexte actuel d’accélération, soit 34 % d’augmentation des alertes à la déforestation dans l’Amazonie brésilienne entre août 2019 et juillet 2020 par rapport aux douze mois précédents.

L’analyse des impacts de l’accord à l’initiative de la France est bienvenue dans la mesure où l’étude commandée par la Commission européenne est lacunaire

Suite à une plainte de cinq associations, la médiatrice de l’UE a même ouvert une enquête en juillet pour non-respect par la Commission européenne de son obligation légale à prendre en compte les impacts sociaux, économiques ou environnementaux potentiels d’un éventuel accord avant la clôture des négociations

Les principaux dangers de l’accord

Il confirme en outre que ces risques ne sont pas seulement liés à la politique conduite par l’actuel gouvernement brésilien mais à la nature même du projet d’accord dont le contenu vise à promouvoir les exportations de viande du Mercosur en échange de voitures, de machines et de produits chimiques européens, sans aucun critère environnemental strict. A l’issue de la cérémonie officielle de remise du rapport, le Premier ministre a réaffirmé l’opposition de la France à la ratification de l’accord « en l’état ».

Fait amusant, le rapport commence pourtant par rappeler le rôle actif que la France a joué en faveur de la conclusion de l’accord. Il laisse ainsi entendre que l’élection d’Emmanuel Macron a compté dans la dernière ligne droite et que les lignes rouges de l’Hexagone avaient bien été prises en compte !

Loin d’être exhaustifs, les travaux de la Commission n’explorent pas dans le détail l’ensemble des enjeux recensés par des organisations de la société civile comme la Fondation Nicolas Hulot et l’Institut Veblen, ou encore plus récemment Greenpeace et le CCFD-Terre Solidaire. Les impacts sociaux ou sur les droits humains ne sont pas documentés. Certains produits tels que le soja ou ceux issus du secteur extractif ne sont pas évoqués, tout comme par exemple la question de l’impact sur la biodiversité d’une hausse des exportations européennes de pesticides, y compris des pesticides interdits dans l’UE, dans les pays du Mercosur.

Le rapport dresse néanmoins au moins cinq dangers majeurs qui contredisent le discours plus que rassurant de la Commission européenne sur la compatibilité de l’accord avec les engagements qu’elle a formulés dans le Green Deal.

1/ Une forte accélération de la déforestation

La seule hausse des exportations de viande bovine du Mercosur vers l’UE pourrait engendrer une accélération de la déforestation annuelle comprise au minimum entre 5 % et 25 % pendant six ans, selon que l’on considère la surface totale de production nécessaire pour fournir les 53 000 tonnes additionnelles de morceaux dits « nobles » de viande (essentiellement de l’aloyau) destinés au marché européen ou seulement la surface théorique correspondant aux morceaux en question qui ne représentent que 20 % des carcasses. Quel que soit le chiffre retenu, cette estimation se base sur des hypothèses prudentes et ne prend surtout pas en compte les surfaces supplémentaires des cultures nécessaires pour l’alimentation de la viande bovine et pour la production des autres biens agricoles concernées par l’accord.

2/ Un impact climatique massif

L’étude d’impact commandée par la Commission européenne fournit des données très rudimentaires et incomplètes en matière d’émissions de gaz à effet de serre sans comptabiliser la déforestation ou le transport international de marchandises. Or, selon le rapport Ambec, l’impact climatique pourrait s’avérer près de 25 fois supérieur en prenant en compte la déforestation engendrée par la seule hausse des exportations de viande bovine, à partir des hypothèses les plus prudentes. Et elle en conclut que les gains économiques attendus ne permettent pas de « compenser » les coûts climatiques (qu’ils soient estimés en valeur forfaitaire dite « tutélaire » du carbone à 250 euros ou 50 euros la tonne). Ainsi, même pour les économistes tentés de comparer des dégradations environnementales irréversibles avec des bénéfices économiques, l’argument ici ne tient donc pas.

3/ Des normes sanitaires divergentes

Les normes de production apparaissent aussi très disparates de part et d’autre. Le Brésil, autorise par exemple l’usage d’antibiotiques comme activateurs de croissance dans l’élevage ou le marquage au fer. En matière de pesticides, 27 % des 190 principes actifs autorisés sont interdits dans l’UE, et les règles sur les limites maximales de résidus (LMR) sont souvent beaucoup plus souples au Brésil (la LMR est dix fois supérieure pour le glyphosate sur la canne à sucre, ou 400 fois pour l’utilisation de malathion sur les haricots). Or, l’accord reste muet sur ces enjeux et contribuera ainsi à faciliter l’entrée sur le marché européen de produits qui ne respectent pas les standards de production de l’UE, procurant ainsi un avantage comparatif aux producteurs du Mercosur.

4/ Risque d’affaiblissement des standards européens

Si l’accord en tant que tel ne modifie pas les règles sanitaires des pays, il contient des dispositions qui pourraient contribuer à affaiblir les standards environnementaux et sanitaires. La reconnaissance du principe de précaution reste lacunaire et traduit selon les experts des ambiguïtés entre les différents pays partenaires sur son applicabilité. En outre, les conditions prévues pour l’invoquer sont finalement plus restrictives que dans le droit de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les pays du Mercosur sont pourtant très actifs pour contester les réglementations européennes qui peuvent avoir un impact sur le commerce entre les deux régions et, à l’instar du Ceta avec le Canada, l’accord pourrait leur donner de nouveaux outils pour faire pression sur l’UE.

5/ Une réduction des contrôles sanitaires

En dépit des défaillances dans les contrôles sanitaires relevées par les instances européennes ou étatsuniennes dans plusieurs pays du Mercosur, par exemple sur la certification des filières « sans hormones », et des scandales sanitaires à répétition qui ont notamment secoué le Brésil, des mesures de simplification et d’allègement des contrôles sont également prévues dans l’accord.

Les prochaines étapes

Ce projet d’accord entre l’UE et le Mercosur pourrait marquer un tournant dans la politique commerciale européenne. Pour la première fois, de nombreux Etats membres (France, Irlande, Allemagne) ou parlements nationaux (Autriche et Pays-Bas notamment) ont émis des réserves importantes. Et le sujet divise aussi au sein de plusieurs familles politiques au Parlement européen.

La piste la plus prometteuse serait de conditionner, pour les produits sensibles, l’octroi d’avantages commerciaux au respect de critères en matière sanitaire ou environnementale

Mais le flou persiste sur la portée réelle de ces réserves. Et l’on connaît déjà plusieurs portes de sorties susceptibles d’être utilisées pour gagner du temps ou chercher à calmer l’opinion publique. La première consisterait à simplement reporter la décision au départ de Jair Bolsonaro. La seconde serait d’adopter, comme pour le Ceta, un document interprétatif ou des mesures d’accompagnement dans la mise en œuvre, sans modifier le contenu de l’accord. La troisième, enfin, serait le passage en force avec un découpage de l’accord permettant d’imposer un vote à la majorité qualifiée et non plus à l’unanimité.

Aucune d’elles n’aurait la capacité de prévenir les impacts catastrophiques anticipés sur le climat et la biodiversité et les risques identifiés. Comme le suggère la commission Ambec, la piste la plus prometteuse serait de conditionner, enfin, pour l’ensemble des produits sensibles, l’octroi d’avantages commerciaux au respect effectif d’un certain nombre de critères en matière sanitaire ou environnementale. Mais, pour cela, les Etats membres ou le Parlement européen doivent accepter de faire dérailler le processus de ratification, de demander l’abandon de l’accord en tant que tel et la réouverture des discussions. Or, pour l’instant, jusqu’à présent, personne ne semblait vouloir assumer politiquement un tel choix. Et les nouvelles déclarations du gouvernement ne permettent pas encore de déterminer avec certitude si la France est prête à franchir le pas ou non.

 

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Commentaires (5)
georges T 23/09/2020
contrairement à ce qui a longtemps été affirmé,il n'y a pas que les grands propriétaires qui déforestent au Brésil.vu la croissance de la population brésilienne,il lui faut bien de nouvelles terres,au détriment des populations indigènes vivant dans les forêts équatoriales,comme cela 's'est déjà produit,il y a 3 siècles dans l'est du Brésil,mais c'était alors les latifundiaires qui en bénéficiaient seuls;
Thierry 21/09/2020
Il y a un point de vue qu'il ne faudrait oublier, c'est qu'on demande aux pays hôtes de la forêt amazonienne de ne pas l'exploiter pour nous permettre de continuer notre vie prédatrice de la planète. Mais de quel droit peut-on exiger que des populations restent misérables pour notre confort? oui, il faut protéger la forêt amazonienne, mais il faut indemniser les pays hôtes des ressources dont on les prive.
Zlotzky 21/09/2020
Je ne vois pas en quoi les populations misérables que vous évoquez tireraient le moindre bénéfice de la déforestation et de l'agriculture intensive - aux mains d'une poignée de grands propriétaires terriens - qui lui succède. Ce serait même plutôt le contraire.
Thierry 21/09/2020
Mon propos sous-tend en filigrane la nécessité d'une mondialisation politique pour dominer la mondialisation économique et en préserver les populations. La mondialisation pourrait être source de progrès pour tous, si elle était organisée en respect des droits de chacun et de la primauté de l'humain. Et pour celà, il serait bien mieux qu'elle soit organisée au niveau citoyen et non de quelques décideurs le plus souvent suspects.
Gourou51 21/09/2020
Comme d'habitude l'aspect commercial primera sur l'aspect environnemental. On expliquera même que c'est une opportunité à saisir pour notre agriculture!
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