Opinion

Les limites de la tarification du carbone

7 min
Adair Turner Economiste britannique, directeur de l'Institute of New Economic Thinking

En 2004, les ménages allemands ayant installé des systèmes d’énergie solaire sur leur toit ont perçu un prix garanti de 0,57 euro (0,68 dollar) par kilowattheure (kWh) produit. Au Mexique, récemment, une grande vente aux enchères d’énergie a été remportée par une offre de 0,0177 dollar par kWh. Même en comparant des projets de taille similaire, les coûts de l’énergie solaire ont diminué de 90 % en dix ans. Des améliorations dans la technologie photovoltaïque rendent de nouvelles réductions inévitables : d’ici cinq ans, sur certains sites prometteurs, nous allons bénéficier d’un prix de 0,01 $ par kWh.

Rien de possible sans politiques publiques

Cette étonnante réussite a été obtenue grâce à d’énormes investissements du secteur privé et par des innovations de pointe. Mais cela n’aurait jamais été possible sans un fort soutien des politiques publiques.

La newsletter d'Alternatives Économiques

Chaque dimanche à 17h, notre décryptage de l'actualité de la semaine

La recherche subventionnée sur fonds publics a assuré des percées scientifiques fondamentales. Et les importantes subventions initiales, en Allemagne puis dans d’autres pays, ont permis à l’industrie d’atteindre l’échelle critique. L’énergie solaire coûte à présent moins cher que le charbon dans de nombreux pays, parce que les subventions publiques initiales ont enclenché un cycle vertueux de passage à l’échelle supérieure, d’apprentissage continu et de baisse des prix.

Quoique disent les économistes libéraux, le prix du carbone n’a joué presque aucun rôle dans la réduction du coût des énergies renouvelables

Tous les économistes qui acceptent la réalité scientifique du changement climatique soutiennent les interventions politiques visant à répondre aux « externalités » - ces coûts que les pollueurs imposent au reste de la société, mais qu’ils ne paient pas. De nombreux économistes libéraux, cependant, sont méfiants dès qu’il est question de soutenir directement des investissements spécifiques. Ils préfèrent s’en tenir à la solution de marché pure et simple : un prix du carbone fixé soit par la fiscalité, soit par la concurrence entre investisseurs pour l’obtention de permis dans un système d’échange de quotas. La tarification du carbone, dit-on, évite d’avoir à choisir entre les investisseurs pour savoir qui doit gagner. Elle stimule les recherches technologiques axées sur les besoins du marché et garantit une réduction des émissions au moindre coût.

Pourtant, les prix publics du carbone n’ont joué presque aucun rôle dans la réduction des coûts de l’énergie solaire, ni dans les efforts pour faire diminuer de manière spectaculaire le coût de l’énergie éolienne et des batteries. Dans le monde réel, l’aide aux investissements directs peut parfois être plus efficace que des prix du carbone théoriquement attrayants.

Pronostics incertains sur les énergies fossiles

L’électricité faible en carbone (issue soit d’énergies renouvelables soit du nucléaire), implique des investissements en capital initial très élevés, mais des coûts de fonctionnement marginaux proches de zéro. En conséquence, son économie est fortement influencée par le coût du capital (le taux de rendement nécessaire), lequel reflète l’évaluation des risques. Un soutien direct au déploiement initial (à des prix garantis pour l’électricité fournie) réduit le risque et réduit donc les rendements exigés.

La tarification du carbone, à elle seule, n’a pas les mêmes effets. Avec les prix du carbone comme seule boussole, l’évaluation des risques des investissements dans les énergies renouvelables devrait intégrer les prévisions très incertaines concernant les combustibles fossiles et les prix marginaux de l’électricité à très long terme. En conséquence, le coût du capital serait plus élevé, et que le rythme de déploiement et la réduction des coûts bien plus lents.

Comme le montre l’exemple des lampes LED, une réglementation simple est parfois plus efficace que des instruments fondés sur les prix

Les contrats à prix fixe pour certains services constituent une politique plus efficace pour stimuler les investissements dans les énergies renouvelables, que le prix du carbone. Les ventes aux enchères pour ces contrats doivent rester une caractéristique clé des marchés des énergies renouvelables, même si désormais les prix fixés lors de ventes aux enchères sont souvent inférieurs aux coûts futurs probables de la production électrique à base de combustibles fossiles.

Une réglementation simple est parfois plus efficace que des instruments fondés sur les prix. Ainsi, la chute du prix des lampes LED (lui aussi en baisse de plus de 90 % au cours des dix dernières années), reflète à la fois l’effet des interdictions pures et simples des inefficaces lampes à incandescence, les politiques d’achat public - et en Inde, le rôle du secteur public comme acheteur en gros et distributeur à bas prix.

Pas de prospérité sans décarbonisation

En théorie économique pure, les achats de lampes par les ménages reflètent les calculs de la valeur nette actualisée de la durée de vie des lampes et des coûts de l’électricité pour d’autres types de lampes, calculs qui pourraient être influencés par des taxes sur les lampes incandescentes, ou par les prix du carbone sur l’électricité. Mais les êtres humains normaux, contrairement aux économistes, ne font pas des calculs de ce genre. Dans le monde réel, une réglementation directe peut conduire à des investissements technologiques et à la réduction des coûts mieux que la tarification.

Nous ne pouvons pas connaître précisément la combinaison de technologies et d’investissements qui permettra de réaliser une économie pauvre en carbone au moindre coût. Mais nous savons qu’il n’existe pas de voie praticable vers la prospérité qui ne passe par une rapide décarbonisation de l’électricité, suivie d’une électrification d’une aussi grande part que possible de l’économie.

Les politiques publiques qui soutiennent directement la production d’électricité à faible émission de carbone sont donc clairement justifiées. Il en va de même des dépenses publiques de recherche qui soutiennent de nouveaux progrès dans la technologie des batteries.

Un prix élevé et en hausse du carbone reste essentiel pour stimuler la recherche de solutions optimales dans des secteurs comme l’acier ou le ciment

Cela dit, les prix du carbone ont encore un rôle essentiel à jouer et leur importance va probablement augmenter au fil du temps. Dans la production d’électricité, l’objectif est clair - moins d’émissions de carbone par kilowatt produit - et il est certain qu’une certaine combinaison d’un nombre relativement restreint de technologies déjà connues peut résoudre le problème.

Mais dans l’acier, dans le ciment et dans la production de plastique, les chemins vers la décarbonisation sont moins clairs. Ils peuvent différer selon les endroits et peuvent impliquer des combinaisons complexes de différentes techniques. Un prix élevé et en hausse du carbone est donc essentiel pour déclencher une recherche de solutions optimales axées sur les besoins du marché.

Effets de rebond

Les prix du carbone sont également essentiels, parce que les mêmes progrès technologiques qui entraînent la baisse rapide du coût des énergies renouvelables rendent également possible une diminution considérable des coûts de production des combustibles fossiles, en particulier dans le secteur du schiste. Dans un monde où les prix de l’énergie vont probablement connaître une baisse globale, une tarification du carbone est essentielle pour s’assurer que la voie praticable vers un avenir à faibles émissions de carbone à bas prix ne soit pas entravée par la baisse des prix des combustibles fossiles. Une hausse des prix de l’énergie à base de carbone serait également utile pour renforcer les incitations à l’efficacité énergétique, pour réduire le danger « d’effets de rebond » par lesquels la baisse des coûts de l’énergie augmente la consommation d’énergie.

Les instruments de tarification sont donc une partie vitale de l’arsenal politique. Mais l’effondrement des prix de l’énergie solaire, éolienne, des batteries et des LED montrent que d’autres instruments sont également nécessaires et sont dans certains cas plus efficaces.

Cet article est publié en collaboration avec Project Syndicate, 2017 - Les limites de la tarification du carbone

À la une

Commentaires (7)
CHRISTOPHE V. 07/02/2018
En bref, je ne vois pas l'intérêt d'opposer ces différents outils et peut-être qu'avec un carbone plus cher, nombre de pays serait sur la bonne voie. Aucun n'est actuellement sur la bonne trajectoire (facteur 4-5 pour les pays riches), y compris les vertueuses Allemagne, Suède, Finlande, Norvège, Danemark, ... Et loin s'en faut.
CHRISTOPHE V. 07/02/2018
Si la tarification du carbone est si peu efficiente, pourquoi le Diesel après avoir connu un franc succès connaît un net recul depuis le rééquilibrage (en cours) de la taxation du Diesel sur celle de l'Essence ? Je crois que, oui, le commun des mortels, sait calculer si on l'aide un tant soi peu, un retour sur investissement.
CHRISTOPHE V. 07/02/2018
En revanche vous auriez pu citer l'exemple de la réglementation simple qui a consisté à imposer l'étiquette énergie sur l'électroménager (froid, lavage, ...) qui - à ma connaissance - n'a pas été accompagné d'autres mesures dissuasives sur les prix. L'effet a été quasi immédiat au point que, très rapidement l'échelle initiale A-G a été obsolète et a nécessité d'introduire le A+, A++. L'échelle sera prochainement revue.
CHRISTOPHE V. 07/02/2018
Vous écrivez "Une réglementation simple est parfois plus efficace que des instruments fondés sur les prix". Comment peut-on comparer l'impact de l'une et des autres sans possibilité de rendre indépendante ces deux variables ? Autrement dit : parmi les 4 roues d'une voiture, laquelle est la plus utile ?
CHRISTOPHE V. 07/02/2018
En effet, les ampoules fluocompactes avaient d'ores et déjà pris le relais des ampoules à incandescence bien avant 2013 (année de l'interdiction). Leur part de ventes s'élevait déjà à 51 % en 2010. Mais en effet, suite à l'interdiction des ampoules à incandescence, il y a eu un report sur les (sales) ampoules halogènes, lesquelles ne seront interdits qu'en septembre 2018. Source : https://www.planetoscope.com/Source-d-energie/517-ventes-d-ampoules-fluocompactes-lfc-en-europe.html
CHRISTOPHE V. 07/02/2018
Vous écrivez : "la chute du prix des lampes LED (lui aussi en baisse de plus de 90 % au cours des dix dernières années), reflète à la fois l’effet des interdictions pures et simples des inefficaces lampes à incandescence, les politiques d’achat public - et en Inde, le rôle du secteur public comme acheteur en gros et distributeur à bas prix. Or, non les interdictions n'ont rien à voir la dedans. Argumentaire au prochain commentaire
CHRISTOPHE V. 07/02/2018
Vous écrivez "Dans le monde réel, l’aide aux investissements directs peut parfois être plus efficace que des prix du carbone théoriquement attrayants.". Je ne comprends pas comment on peut opposer deux outils COMPLEMENTAIRES. Car qui dit AIDE dit SOURCE de RECETTES. Et quoi de plus LEGITIME que de trouver cette SOURCE dans les activités POLLUANTES destinées à être REMPLACEES par des activités moins nocives ? C'est d'ailleurs le principe de la TGAP. La remettriez-vous en cause également ?
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !