La question

Après Beyrouth, un nouvel AZF est-il possible en France ?

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L’explosion de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium au Liban relance le débat sur les conditions de stockage de cette substance, servant notamment à fabriquer de l’engrais. En France, la réglementation est plus stricte depuis l’accident d’AZF à Toulouse, en 2001, mais des experts s’inquiètent du manque de contrôles, voire de leur absence en milieu agricole, où les stocks sont plus petits mais beaucoup plus nombreux.

Appartement dévasté par l'explosion du stock de nitrate d’ammonium entreposé dans le port de Beyrouth, le 4 août 2020. PHOTO : Marwan Tahtah/ZUMA Press/ZUMA/REA

Une substance impliquée dans des accidents meurtriers, des stocks de plusieurs tonnes disséminés sur le territoire et un manque de contrôles, c’est le cocktail explosif qui préoccupe plusieurs experts du risque industriel en France. Cette substance, c’est le nitrate d’ammonium, à l’origine de l’explosion qui a fait plus de 180 morts à Beyrouth, début août, et de celle de l’usine AZF à Toulouse, ayant causé la mort de 31 personnes en 2001.

Utilisé principalement comme fertilisant en raison de sa teneur en azote, le nitrate d’ammonium est…

 

Une substance impliquée dans des accidents meurtriers, des stocks de plusieurs tonnes disséminés sur le territoire et un manque de contrôles, c’est le cocktail explosif qui préoccupe plusieurs experts du risque industriel en France. Cette substance, c’est le nitrate d’ammonium, à l’origine de l’explosion qui a fait plus de 180 morts à Beyrouth, début août, et de celle de l’usine AZF à Toulouse, ayant causé la mort de 31 personnes en 2001.

Utilisé principalement comme fertilisant en raison de sa teneur en azote, le nitrate d’ammonium est alors appelé « ammonitrate ». Il est commercialisé sous forme de granulés, et conçu pour être très peu poreux. Et pour cause. S’il est contaminé par une matière combustible – hydrocarbure ou composé organique par exemple – il peut exploser en cas d’exposition à de fortes températures, à un confinement important ou à une détonation. Le nitrate d’ammonium est d’ailleurs aussi utilisé, mélangé à du fioul, pour produire des explosifs, notamment les « ANFO » (ammonium nitrate/fuel oil) utilisés dans l’industrie minière.

Des « bombes agricoles en puissance » ?

« Seul, le nitrate d’ammonium n’est qu’un comburant et n’explose pas s’il est bien conservé », explique Ginette Vastel, co-pilote du réseau risques et impacts industriels chez France Nature Environnement. « Pour qu’il explose, il faut que la température augmente ou que le nitrate d’ammonium soit contaminé, ce qui diminue la température à laquelle il explose. » C’est précisément ce risque de contamination qui inquiète certains experts.

« Seul, le nitrate d’ammonium n’est qu’un comburant et n’explose pas s’il est bien conservé », Ginette Vastel de France Nature Environnement

« Avec un comportement idéal des travailleurs et une application idéale de la réglementation, il n’y a pas d’accident. Mais il peut y avoir des problèmes de compréhension des règles et une absence de culture du risque », poursuit Ginette Vastel. Ces règles imposent notamment un seuil maximal de 0,2 % de matières combustibles dans les ammonitrates à haut dosage (avec plus de 28 % d’azote), et de 0,4 % pour les ammonitrates à moyen dosage (moins de 28 % d’azote).

« Le problème, c’est que ces seuils peuvent être dépassés dans le milieu agricole, à cause par exemple de la présence de poussières de paille », avance Paul Poulain, expert en risques industriels dans un bureau d’études. Les dizaines de milliers de sites agricoles stockant des ammonitrates constituent selon lui des « bombes agricoles en puissance, exposant la vie des pompiers comme des agriculteurs », et peuvent être à l’origine « d’effets domino » atteignant d’autres sites dangereux, ou des zones urbaines.

Des seuils trop hauts et des contrôles insuffisants ?

L’agriculture française, friande d’engrais azotés, consomme près de 8 % de la production mondiale de nitrate d’ammonium, soit plus de 1 million de tonnes par an. Exploitations agricoles et coopératives peuvent ainsi stocker jusqu’à plusieurs dizaines de tonnes d’ammonitrates sur un seul site. Des quantités proches de celles qui ont causé l’explosion d’AZF (entre 20 et 120 tonnes sur les 300 stockées), mais pour lesquelles les inspections sont loin d’être régulières.

Dans les 108 installations classées soumises à autorisation, qui conservent chacune plus de 1 250 tonnes d’ammonitrates, la réglementation impose des contrôles fréquents : tous les trois ans pour les sites classés Seveso seuil bas, et tous les ans pour les 16 sites classés Seveso seuil haut1, qui stockent plus de 2 500 tonnes.

« Le problème, c’est que les sites stockant moins de 1 250 tonnes, soumis à simple enregistrement, ne sont contrôlés que tous les sept ans, et ceux qui stockent moins de 500 tonnes ne le sont jamais, sauf en cas de signalement », déplore Paul Poulain. Il milite pour un abaissement des seuils permettant des contrôles plus réguliers. « A cause de ces seuils trop élevés, il est très difficile d’estimer le nombre d’exploitations agricoles possédant un "petit" stockage de nitrate d’ammonium qui, par méconnaissance du danger, peut être disposé à proximité de bottes de foin », poursuit-il.

« Les sites stockant moins de 1 250 tonnes ne sont contrôlés que tous les sept ans, et ceux qui stockent moins de 500 tonnes ne le sont jamais, sauf en cas de signalement », Paul Poulain, expert en risques industriels

Comme Ginette Vastel, Paul Poulain dénonce par ailleurs la baisse du nombre de contrôles dans les 500 000 installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), passés de 30 000 en 2006 à 18 196 en 2018. Tous deux réclament la création d’une autorité de sûreté industrielle indépendante des préfets, et plaident pour un renforcement des contrôles sur toutes les installations, quelle que soit leur taille.

Faut-il pour autant craindre un nouvel AZF en milieu agricole ? En 2003, l’explosion d’un stock de trois tonnes d’ammonitrates, lors d’un incendie de hangar agricole à Saint-Romain-en-Jarez (Loire), a blessé 23 personnes dont 9 grièvement. Depuis, de nombreux incendies se sont déclarés à proximité de stocks d’ammonitrates, sans explosion.

Pour Marie-Astrid Soenen, responsable du pôle « substances et produits » à la direction des risques accidentels de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), la formation des professionnels et des pompiers s’est améliorée depuis l’accident d’AZF, tout comme la réglementation. « L’explosion d’AZF a d’ailleurs été causée par des rebuts de nitrate d’ammonium non conformes, qui doivent désormais être déclarés, donc contrôlés…, au-delà de 10 tonnes », précise-t-elle.

  • 1. A travers une série de directives dites « Seveso », l’UE impose depuis 1982 à ses membres d’identifier des sites industriels présentant des risques majeurs (soit environ 1 200 sites en France) et d’y appliquer une politique de prévention plus stricte..

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