Etats-Unis

Après l’élection de Trump, « l’Europe, de nouveau seule... »

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Par VoxEurop

La surprise presque passée et après les différentes annonces de Donald Trump sur la politique qu’il compte mener, les journaux européens analysent avec davantage de recul le mandat qui s’annonce. Quelques craintes ont été levées, mais de grandes interrogations demeurent, notamment quant aux rapports que le futur président des Etats-Unis entretiendra avec les pays européens et la Russie.

Des idées partagées au sein de l’Union

La Stampa, Turin, 16 novembre

« Donald Trump n’a pas eu à bouger le petit doigt. Les Européens se divisent tous seuls sur la manière de répondre au bouleversement américain », écrit Gustavo Zagrebelsky dans les colonnes du journal appartenant jadis au groupe FIAT. Pour cet ancien juge de la Cour européenne des droits de l’homme, « la désunion européenne pourrait l’arranger. Mais une semaine après avoir été élu, Trump a autre chose à faire que de penser à l’Europe. L’incapacité à serrer les rangs est uniquement de notre faute. (…) L’élection de Donald Trump est un séisme international pacifique, mais pas moins fort que le 11-septembre. (…) Un abysse politique et de sensibilité sépare l’Union européenne du nouveau président américain, mais ce n’est pas la fin du rapport entre les Etats-Unis et l’Europe. Les relations transatlantiques vont au-delà des alchimies personnelles. Les présidents passent et les Etats-Unis restent. Trump a peut-être peu de sympathie pour l’intégration européenne, beaucoup pour les souverainistes du UKIP et pour le Front national. Il aura tout intérêt à discuter individuellement avec les pays membres plutôt qu’avec Bruxelles. L’analogie avec Vladimir Poutine, dont les élections dimanche dernier en Moldavie et en Bulgarie (où des candidats prorusses ont été élus présidents) ont gonflé les voiles, n’est pas due au hasard. Bruxelles risque d’être le pot de terre entre Moscou et Washington, surtout si elle perd également le soft power d’attraction en Europe centrale et orientale et dans les Balkans. Unie, même sans le Royaume-Uni (hélas), l’Europe possède la masse critique pour faire le contrepoids transatlantique de n’importe quelle administration américaine. Avec celle de Donald Trump, le partenariat serait difficile, mais jouable. Tous seuls, les Etats européens n’ont en revanche aucune chance. Et ils ont, hélas, mal commencé. »

Oui, Trump est amusant. Mais le drame, c’est qu’on n’avait vraiment pas besoin de ça

De Morgen, Bruxelles, 14 novembre

« Il faudra un peu de temps au nouveau président-élu américain pour comprendre le véritable sens du monde », estime Bart Eekhout. Dans les colonnes du quotidien flamand, l’éditorialiste note qu’« ici, en Europe, il y a un aspect du programme de Trump qu’il faut suivre avec attention : la relation avec la Russie. Ce que Trump a dit depuis son élection sur la Syrie confirme qu’il veut se rapprocher du président Poutine. Qu’Assad massacre son peuple (200 000 morts et ça continue) importe peu à Trump. C’est exactement la position de Poutine et des partis d’extrême droite en Europe qui sympathisent avec Moscou. Si les Etats-Unis s’allient à la Russie, nous aurons un changement radical dans l’équilibre des puissances. Si Poutine estime qu’il a les mains libres, il va poursuivre sa stratégie en Ukraine et peut-être répéter le ‘tour ukrainien’ en Estonie et en Lettonie, où une cinquième colonne de Russes d’origine est prête. Si Trump fait ce qu’il dit qu’il va faire – c’est-à-dire rien –, alors la fragile UE se retrouvera tout à coup nue sur la scène politique internationale. (…) Alors oui, on s’amuse avec Trump. Mais la véritable tragédie, c’est qu’on n’a pas besoin de ça. »

 

Aussi grave que prévu

Die Tageszeitung, Berlin, 14 novembre

Bernd Pickert met en garde tous ceux qui pensent que Donald Trump est devenu modéré, malgré le changement de ton lors de son premier discours après son élection : « Trump veut mettre en oeuvre un maximum de projets de son programme  – si possible sans résistance. Il veut vraiment construire le mur à la frontière du Mexique – qui peut être, en partie, une cloison, et ne plus parler du fait que le Mexique doive payer pour sa construction. Il veut vraiment reconduire les millions de sans-papiers – c’est pourquoi il commence par les ‘criminels’. Il veut vraiment faire marche arrière sur la réforme de la santé d’Obama – donc il  annonce vouloir maintenir probablement les quelques aspects qui sont effectivement populaires. Certes, on peut dire que Trump est un narcissique sans aucune expérience politique, mais il n’est pas idiot. Présenter le candidat Trump comme un clown n’ayant aucune chance de devenir président était une erreur ; interpréter son changement de ton comme signe de modération serait une aussi grosse erreur. Pour gagner les élections, Trump était obligé de mettre les gros sabots. Pour changer les Etats-Unis, il doit garder la tête froide. Plus il agit de manière pragmatique, plus il parviendra à ses fins. »

 

Trump veut un gouvernement en marge de Washington

El Mundo, Madrid, 17 novembre

Pour le grand quotidien conservateur, le mandat de Donald Trump à la tête du gouvernement des Etats-Unis sera « plein de contradictions et de paradoxes ». Dans son éditorial, le journal souligne que Trump « a remporté les élections en dépit du système politique américain, de l’establishment », et cela « car les citoyens les ont rejetés : Trump a gagné en dépit des partis politiques, des lobbies, des entreprises et de la presse traditionnelle : la candidate démocrate a reçu le soutien de 229 journaux, y compris les plus influents à l’échelle nationale, alors que le candidat républicain a été soutenu par neuf journaux régionaux et locaux. Seule sa surexposition à la télévision l’a, à cet égard, aidé ». Le nouveau président des Etats-Unis « ne vient pas du monde de la politique, poursuit El Mundo, mais est un véritable représentant du monde des affaires de son pays. Ce qui constitue un ’paradoxe’, car « il réfléchit à incorporer dans son administration des entrepreneurs et des financiers qui ont fait leur fortune grâce à leurs liens avec le pouvoir. Trump choisira non seulement des personnes en dehors du monde politique traditionnel à Washington, mais il nommera à la tête des ministères ceux qui ont probablement fait du lobbying dans les couloirs du Congrès jusqu’à il y a quelques mois, pour influencer les lois au profit de leur secteurs d’activité. Les élus ne viendront pas de l’establishment politique, mais devront être des représentants, vus comme étant qualifiés, du modèle d’affaires américain. Soit le même système ‘corrompu’ que Trump a promis de ‘faire tomber’ pendant la campagne électorale, dans le plus pur discours populiste. »

 

L’Europe, seule dans le monde de Trump

Social Europe, Londres, 18 novembre

« Seule, de nouveau. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’Europe a regardé le monde à travers les lunettes transatlantiques », écrit Mark Leonard, directeur du European Council on Foreign Relations, dans Social Europe. « Il y a eu des hauts et des bas dans l’alliance avec les Etats-Unis, mais c’était une relation familiale construite avec le sentiment qu’on serait toujours là l’un pour l’autre en cas de crise et que, fondamentalement, on était semblables. L’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis menace d’y mettre fin - tout au moins aujourd’hui. Celui-ci croit davantage dans les murs et les océans que dans la solidarité avec les alliés, et a fait savoir clairement qu’il mettrait non seulement les Etats-Unis en premier, mais également en deuxième, et en troisième. » Pour Mark Leonard, il y a quatre raisons de penser que l’Amérique de Trump constituera la plus grande et unique source de désordre mondial : « Tout d’abord, on ne peut plus compter sur les garanties américaines. Trump a remis en question le fait qu’il défende les membres européens de l’est de l’OTAN s’ils ne font pas plus pour leur propre défense. Il a annoncé que l’Arabie Saoudite devait payer pour la sécurité américaine. Il a encouragé le Japon et la Corée du sud à obtenir les armes nucléaires. En Europe, au Moyen-Orient et en Asie, il a clairement laissé entendre que les Etats-Unis ne joueraient plus le rôle de gendarme. (...) Deuxièmement, les institutions mondiales vont faire l’objet d’attaques. (...) Comme George W. Bush après le 11 septembre 2001, Trump tient les organisations  internationales pour responsables de contraintes insupportables pour la liberté d’action des Etats-Unis. Il a un programme révisionniste pour presque tous ces organismes, de l’OMC à l’OTAN et aux Nations unies. (...) La vraie crainte, en troisième lieu, est qu’il risque d’être mieux disposé à l’égard des ennemis des Etats-Unis qu’avec ses alliés. Le plus grand défi pour les Européens étant son admiration pour le président russe Vladimir Poutine. (...) Enfin, il y a son imprévisibilité. (...)  Pour survivre dans le monde de Trump, les Européens devraient essayer de rendre l’Europe grande à nouveau. »

 

L’arrivée de Donald Trump fera baisser d’un cran la guerre de l’information

Lietuvos Rytas, Vilnius, 12 novembre

En Lituanie, ancienne république soviétique,  l’élection de Donald Trump suscite autant de craintes que d’espoirs. Ainsi, l’ancien directeur général du Département pour la sécurité de l’Etat Mečys Laurinkus note dans le journal de centre-gauche que « la victoire de Donald Trump peut être utile à la Lituanie car Moscou ne cache pas sa satisfaction quant à la nouvelle situation aux Etats-Unis. Ce qui est une bonne chose, car cela calme l’irritabilité et l’agressivité de Moscou et offrira à la diplomatie une chance de reprendre le dessus. Depuis la tribune de l’ONU, les deux pays ont nommé  leur ennemi commun : le terrorisme et en particulier le soi-disant Etat islamique (EI). (…) Un accord entre la Russie et les Etats-Unis est inévitable. De cette décision fondamentale va dépendre des prochaines vagues de réfugiés qui menacent de déstabiliser l’Europe. La destruction de l’EI pourrait devenir l’événement le plus important du mandat de Donald Trump et, dans ce cas, un compromis avec la Russie ne pourra pas faire de mal. (…) La situation est très différente en Ukraine, où je pense que la stratégie des Etats-Unis va changer : Trump et ses conseillers aiment l’idée d’une fédéralisation de l’Ukraine et vont chercher des alliés, y compris la Lituanie, pour encourager Kiev à choisir rapidement ce chemin. »

Revue de presse européenne réalisée par Voxeurop.

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