Consommation

Barbie ou comment le « féminisme washing » fait vendre

5 min

Avec plus d’un milliard de dollars de recettes, le film « Barbie » relance une marque qui souffrait d’une image devenue ringarde et sexiste.

A New York, le 24 juillet 2023. PHOTO : SELCUK ACAR / ANADOLU AGENCY / ANADOLU AGENCY VIA AFP

Le féminisme est désormais un argument de vente. C’est l’une des principales leçons que l’on peut tirer du succès du film « Barbie », depuis sa sortie en salles le 21 juillet. Est-ce une bonne nouvelle ? Le signe que les convictions féministes ne sont plus limitées à une minorité de militantes ayant du mal à se faire entendre ? Ou faut-il au contraire déplorer le « féminisme washing » d’une entreprise dont le principal objectif est de vendre du plastique polluant ?

Une chose est sûre : la firme Mattel n’a pas lésiné sur les moyens pour redorer son image et redresser les ventes de sa poupée à forte poitrine et taille de guêpe.

Car depuis les années 2010, ce jouet...

Le féminisme est désormais un argument de vente. C’est l’une des principales leçons que l’on peut tirer du succès du film « Barbie », depuis sa sortie en salles le 21 juillet. Est-ce une bonne nouvelle ? Le signe que les convictions féministes ne sont plus limitées à une minorité de militantes ayant du mal à se faire entendre ? Ou faut-il au contraire déplorer le « féminisme washing » d’une entreprise dont le principal objectif est de vendre du plastique polluant ?

Une chose est sûre : la firme Mattel n’a pas lésiné sur les moyens pour redorer son image et redresser les ventes de sa poupée à forte poitrine et taille de guêpe.

Car depuis les années 2010, ce jouet emblématique, créé en 1959, ne fait plus recette. Entre 2012 et 2014, Mattel a vu ses ventes baisser de 20 % en valeur à l’échelle mondiale. Pour contrer la concurrence des poupées Bratz, moins stéréotypées, Mattel a lancé trois nouvelles silhouettes en 2016 (ronde, grande et petite), déclinées en sept couleurs de peau différentes. Mais après un rebond en 2020 et 2021, les ventes du groupe ont de nouveau chuté de 22 % au dernier trimestre 2022 ainsi qu’au premier semestre 2023, avec un chiffre d’affaires de 815 millions de dollars.

C’est dans ce contexte commercial morose que sort en grande pompe le film confié à la réalisatrice Greta Gerwig, égérie du cinéma indépendant et perçue comme féministe, avec notamment à son actif « Lady Bird » (2017) et les « Quatre filles du docteur March » (2019).

Un choix osé qui s’avère payant. Après deux semaines en salles, le film a généré 775 millions de dollars de recettes dans le monde (plus d’un milliard aujourd’hui). C’est plus que la « Grande aventure Lego » en 2014, également coproduit par une marque de jouets, qui avait rapporté 200 millions de dollars en deux semaines. Lego n’avait alors investi « que » 60 millions de dollars dans le film, contre 100 millions de dollars pour Mattel dans « Barbie ».

Franchise rose bonbon

Ce succès est en partie imputable au choix de la réalisatrice, qui a imaginé une intrigue ouvertement féministe à partir d’un jouet jugé désormais ringard et sexiste, avec un Ken qui essaie d’imposer le patriarcat à Barbie Land. Bien sûr, le scénario n’est pas exempt de critiques et reste très léger. Et les débats font rage pour savoir si « Barbie » est vraiment un film féministe ou s’il contribue au contraire à véhiculer une vision de la femme extrêmement hétéronormée. Sans entrer dans le détail de cette controverse, il convient de souligner que ce « buzz » n’a pas été laissé au hasard.

Pas moins de 165 partenariats de merchandising auraient été conclus

Le budget marketing consacré au film, à savoir 150 millions de dollars selon Variety, dépasse celui de la réalisation, 145 millions de dollars. « Barbie » n’est plus simplement un personnage, ni même un jouet, c’est devenu une franchise que l’on décline sous toutes ses formes. On a ainsi pu voir une maison Barbie sur Airbnb, des collaborations avec des marques de vêtements comme Zara, des menus roses chez Burger King, une page Google qui s’affiche en rose lors des recherches en rapport avec le film… Pas moins de 165 partenariats de merchandising auraient été conclus.

Résultat, l’action Mattel a gagné 11 % depuis fin juin. La Barbie Ponytail numéro 1 a été vendue pour la somme record de 10 995 dollars aux Etats-Unis quelques jours avant la sortie du film. Le modèle incarné par l’actrice Margot Robbie est devenu la poupée la plus demandée sur Amazon malgré un prix de 45 euros.

Le quotidien Le Temps remarque toutefois qu’il n’y a pas eu de razzia dans les rayons jouets des principales enseignes suisses. Mais en France, l’association professionnelle du commerce spécialisé dans le jouet estimait à 20 % ou 30 % la hausse des ventes de Barbies. En Afrique du Sud, les ventes auraient augmenté de 30 % dans les magasins Toys’R’Us le week-end qui a suivi la sortie du film.

Plus largement, plus d’un milliard de Barbies se sont vendues depuis sa création en 1959, rappelle la communication de Mattel. Chaque année, 58 millions d’exemplaires sont écoulés dans plus de 150 pays.

Consumérisme américain

Alors, gigantesque pub ou œuvre féministe ? Le film se défend en affirmant dès le départ que la poupée est venue proposer un modèle d’émancipation à des petites filles auparavant cantonnées à jouer à la maman. Barbie peut tout faire, rappelle le scénario : médecin, astronaute, présidente de la République… Et le fait d’attacher de l’importance à notre apparence et de nous habiller en rose bonbon ne devrait en rien nous valoir d’être stigmatisé et nous empêcher de gagner des prix Nobel.

En outre, le fait que Le Figaro qualifie le film de misandre tendrait à nous le rendre sympathique. Mais la poupée, depuis un demi-siècle, a surtout été une arme de soft power pour une Amérique triomphante, qui glorifie le consumérisme avec sa maison rose bonbon et sa Cadillac chromée.

Chaque Barbie de 182 grammes serait responsable de 660 grammes d’émissions carbone

Quant au modèle économique et social qui est derrière le symbole, il y a beaucoup à en dire. Le film fait preuve d’un minimum d’autodérision, en mettant en scène la direction entièrement masculine de Mattel. Mais ne dit rien des ouvrières qui fabriquent les Barbies dans les usines sud asiatiques. La marque a par ailleurs été attaquée par Greenpeace en 2011, pour avoir utilisé un packaging entraînant la déforestation en Indonésie. Mattel a aussitôt promis d’utiliser un carton plus durable.

Mais l’industrie du jouet reste l’un des secteurs les plus gourmands en plastique. Et des chercheurs américains ont estimé que chaque Barbie de 182 grammes était responsable de 660 grammes d’émissions carbone, en intégrant la production de plastique, la fabrication du jouet et son transport. Après le « féminisme washing », Barbie cédera-t-elle aux sirènes du « green washing » ? Le scénario du deuxième épisode de la franchise est tout écrit…

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Commentaires (2)
Caroline Roatta 11/08/2023
Ce n'est qu'un film et on dirait qu'il génère des attentes de campagne politique. Je pense, et c'est un avis très personnel (donc politique aussi selon le féminisme), que celui-ci peut être pris aussi à la légère. Au nom des souvenirs d'enfance et de la déconstruction que chacune en a fait -ou pas- tout le long de son propre chemin vers la maturité. Et si les représentations ont évoluées, tant mieux ! Mais de là à attendre que l'étiquette de féministe lui colle parfaitement...plutôt lâcher prise
Elegehesse 08/08/2023
0 commentaire est un lourd commentaire , notamment pour ceux qui n'ont pas et n'iront pas voir le film ou n'ont jamais joué avec Barbie .
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