Environnement

Barrage de Sivens : le rapport qui dérange

 - Modifié Il y a 9 années 8 min
Selon les experts, jamais ce projet de barrage n’aurait dû être déclaré d’utilité publique et mis en œuvre. PHOTO : ©Pierre GLEIZES/REA

Comment mettre fin au conflit du barrage de Sivens ? Ségolène Royal a réuni mardi 4 novembre les différentes parties prenantes et préconise non l’arrêt pur et simple du projet mais l’adoption de solutions alternatives. Des propositions inspirées d’un rapport d’experts paru au lendemain de la mort tragique du militant écologiste Rémi Fraisse. Dont les conclusions sont gênantes aussi bien pour les partisans que pour les opposants au projet.

Que faire avec le barrage de Sivens ? Abandonner purement et simplement le projet ? Lui substituer plusieurs réservoirs de taille plus modeste ? Sachant, dans les deux cas, que des travaux ont déjà été entrepris ? Le réaliser suivant le schéma prévu, malgré une forte opposition sur le terrain et dans une partie de l’opinion, avec le risque d’entretenir le conflit, de provoquer des violences et d’assister à de  nouveaux drames ? En modifier la conception et le fonctionnement, ce qui n’empêchera pas un barrage de rester un barrage ? La décision finale appartient au Conseil général du Tarn et à son président, le sénateur Thierry Carcenac, en tant que maître d’ouvrage. Celui-ci ne semble pas disposé à renoncer au projet de barrage, mais pourrait accepter une révision du partage de l’eau de la retenue entre agriculteurs et besoins de l’environnement. Une proposition qui n’a aucune chance de satisfaire les écologistes.

Les solutions alternatives au barrage n’ont pas été étudiées

Leurs arguments ont été confortés par le rapport du Conseil général de l’environnement, commandé le 29 septembre par Ségolène Royal et publié le 27 octobre, au lendemain de la mort de Rémi Fraisse. Le constat des deux auteurs, ingénieurs des eaux et forêts, est sans appel : Sivens devrait être « considéré comme un tournant dans la gestion de l’eau en Adour-Garonne ». Traduction de ce langage feutré : jamais ce projet de barrage, dédié à constituer une réserve pour l’irrigation et au maintien du débit du Tescou, un affluent du Tarn qui s’assèche en été, n’aurait dû être déclaré d’utilité publique et mis en œuvre. Plusieurs raisons à cela.

Projet surdimensionné

Les besoins des agriculteurs, réels, ont été surévalués d’au moins 35 % par la Compagnie d’aménagement des côteaux de Gascogne (CACG), société d’économie mixte qui a réalisé les études et qui techniquement assume, en délégation du Conseil général, la maîtrise d’oeuvre du barrage. Ce qui a conduit à un surdimensionnement du projet. D’une part le nombre de bénéficiaires annoncé par le maître d’ouvrage – 81 – comprend une cinquantaine d’exploitations intéressées mais qui en pratique ne pompent pas l’eau du Tescou. De fait, une trentaine sont véritablement concernés. D’autre part, les besoins d’irrigation ont été estimés sur une base forfaitaire, alors cette méthode de calcul est devenue obsolète. Depuis 2004, l’existence de compteurs d’eau permet en effet d’apprécier la consommation réelle des agriculteurs. Or il s’avère que ceux-ci ont réduit ces dernières années leurs surfaces dédiées au maïs (et donc leurs besoins d’irrigation) au profit de cultures sèches, comme les céréales et le tournesol, une diversification aujourd’hui économiquement plus intéressante et qui préserve mieux les sols. Au point que les nombreuses retenues collinaires – près de 200 dans le bassin versant du Tescou - réalisées par les agriculteurs eux-mêmes sont aujourd’hui sous-employées.

Outre une surestimation des besoins de réserves d’irrigation, les solutions alternatives au barrage de Sivens n’ont pas été étudiées, critiquent les experts. Plutôt qu’un barrage d’une capacité de 1 500 000 mètres cubes dont le coût est évalué à 8,4 millions d’euros, il aurait été plus économique assurent-ils de constituer trois ou quatre réserves de dimension plus modeste le long du Tescou, alimentées par pompage dans la rivière. C’est du reste l’une des solutions évoquées par la ministre lors de la réunion du 4 pour sortir de la crise. Concernant les impacts environnementaux, les études et les mesures de compensation auraient pu être renforcées. Enfin, le financement du projet est juridiquement fragile. En effet, 54 % de l’investissement est à la charge de l’Agence de l’eau Adour-Garonne et 24 % du Fonds européen d’aménagement et de développement rural (FEADER). Or si ces institutions publiques peuvent financer des projets visant à sécuriser les besoins existants d’irrigation, elle ne sont en revanche pas autorisées à créer des ressources supplémentaires, ce qui est de fait le cas d’au moins 35 %  des réserves de Sivens.

Pour les opposants, pas question de se ranger à la proposition des deux experts

Faut-il, dans ces conditions, abandonner le projet ? Pour les auteurs du rapport, cela aurait été sans doute la bonne décision à prendre… avant d’engager les travaux. A présent que le défrichage et les premiers terrassements ont été effectués, il sera plus coûteux de revenir en arrière et de réaliser des ouvrages alternatifs. Un argument rejeté par les opposants : les quelques millions que pourraient coûter l’arrêt de Sivens n’ont rien à voir avec le milliard dû par l’Etat au consortium Ecomouv et aux autres entreprises de télépéage pour cause d’abandon d’écotaxe. Pas question donc de se ranger à la proposition des deux experts : achever les travaux, en prévoyant, par rapport au projet initial, de réduire d’un tiers les volumes réservés à l’irrigation au profit des restitutions d’eau au milieu naturel, de maintenir dans le barrage une réserve permettant de répondre aux besoins lors d’années de sécheresse et de renforcer les mesures de compensation des espaces détruits. Et pour l’avenir, ne plus réaliser de tels projets mais adopter une gestion de l’eau mieux concertée entre les différents acteurs. De fait, les opposants dénoncent l’étroitesse des liens entre décideurs et prestataire. La CACG, délégataire de la maîtrise d’ouvrage, est une société d’économie mixte  dont l’activité d’ingénierie hydraulique dépend des contrats publics et dont les principaux administrateurs sont les conseils généraux de la région. Elle s’était déjà portée maître-d’ouvrage en 1989 pour réaliser un ouvrage à Sivens, mais l’opposition locale avait bloqué ce projet.  

Besoins d’eau

Si le barrage de Sivens est une erreur, il faut aussi garder raison sur ses impacts. La zone naturelle d’intérêt écologique (ZNIEFF) de la forêt de Sivens couvre 1 200 hectares, dont 3 hectares débordent sur la future retenue. Ce qui ne dispense pas le maître d’œuvre de respecter ses obligations en termes de conservation et de compensation : des zones censées être protégées ont été détruites par les travaux1. Quant à la superficie de la retenue d’eau, il faut tout de même en rappeler la modestie : une douzaine d’hectares, qui constitueront, eux aussi, une zone humide propice à la vie animale et végétale.

Surtout, abandon ou non du barrage, il va bien falloir répondre aux besoins en eau des agriculteurs. La vallée du Tescou n’est pas une zone de monoculture intensive et les surfaces en maïs irrigué ont au contraire eu tendance à reculer (2 800 ha en 2000, 1 670 ha en 2010), ce qui est plutôt une bonne chose pour l’environnement. Avec une superficie moyenne de 40 hectares, les exploitations relèvent non de l’agri-businsess mais d’une agriculture familiale de taille plutôt modeste. Et la survie de celles qui n’ont pas (encore) été éliminées (1 038 en 2000, 738 en 2010) dépend autre autres de la disponibilité de réserves d’eau qui permettent de réduire l’aléa climatique et donc de sécuriser rendements et revenus. Ces réserves sont également importantes pour maintenir une certaine diversité dans les systèmes culturaux, en particulier l’élevage.

Avec les effets du réchauffement climatique, la nécessité de construire de telles réserves pour soutenir l’agriculture familiale devrait se renforcer à l’avenir. Certes, des efforts restent à faire du côté de la maîtrise des volumes d’eau consommés. Irriguer a cependant un coût et les agriculteurs ne font pas couler pour rien leurs arrosages. Et il y a des limites aux économies possibles : le goutte-à-goutte nécessite un équipement dix fois plus coûteux que les systèmes par aspersion, qui peut se justifier dans le cas de productions à forte valeur ajoutée comme le maraîchage, mais pas en grandes cultures, sauf à accepter de les payer au prix fort. Une vision de la nature qui interdirait par principe tout aménagement hydroagricole, de quelque taille qu’il soit, est aussi dommageable que le défaut d’analyse et de concertation dans le montage et la gestion des projets. Tirera-t-on les leçons de Sivens ?

  • 1. « A Sivens, les travaux ont détruit des surfaces protégées », Le Monde, 4 novembre

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