International

Brésil : plus de peur que de mal ?

7 min

Le président Jair Bolsonaro a démontré depuis un an son inaptitude à répondre aux difficultés économiques et sociales du pays, mais la rupture autoritaire redoutée n’a pas eu lieu.

Le président brésilien Jair Bolsonaro lors du lancement du programme de prévention en santé Previne Brazil, le 12 novembre 2019 PHOTO : O Globo/ZUMA Press/ZUMA/REA

Sitôt arrivé à la présidence de la République, le 1er janvier 2019, avec 55 % des suffrages exprimés et le soutien d’une coalition de petits partis, Jair Bolsonaro a confirmé les doutes sur sa capacité à gouverner. Les déclarations outrancières qui l’avaient fait connaître quand il était député émaillent toujours ses propos, et il est peu de domaines où il ne manifeste une incompétence crasse. Pour les mêmes raisons, plusieurs de ses ministres suscitent les plus grandes réserves chez la plupart des observateurs de la vie politique, et son entourage direct exerce sur lui une influence néfaste.

Pourtant, la rupture autoritaire redoutée n’a pas eu lieu. Alors que Jair Bolsonaro pensait disposer d’un soutien significatif au Sénat et à la Chambre des députés, il a rencontré, à l’instar de ses prédécesseurs, les plus grandes difficultés à former des majorités au Congrès, faute de savoir composer a minima avec une myriade de partis représentés dans les deux assemblées. Loin d’en finir, comme il l’avait pourtant promis, avec l’obtention du soutien des parlementaires en contrepartie de subventions à leur circonscription et de nominations, il lui a fallu sans cesse négocier, notamment avec le président de la Chambre des députés, Rodrigo Maia, élu de Democratas (DEM), un parti conservateur traditionnel.

La société civile fait bouclier

Ancien capitaine lui-même, le président comptait sur les forces armées en cas d’opposition à sa politique. Et la nomination de nombreux officiers de réserve à des postes clés a d’abord donné du crédit à ceux qui craignaient une intervention des militaires. Ces derniers, au contraire, ont fait preuve d’une telle tempérance qu’ils incarnent aujourd’hui une garantie du cadre constitutionnel. L’armée a notamment fait savoir son refus d’un conflit avec le Venezuela, envisagé par Jair Bolsonaro pour faire tomber le régime de Nicolás Maduro, ainsi que sa volonté de ne pas se voir impliquée davantage dans des opérations de sécurité publique dans les favelas.

Les institutions judiciaires, dont la Cour suprême, se sont également opposées à la politique gouvernementale. Jair Bolsonaro a ainsi dû renoncer à la libéralisation du port d’armes, une des mesures phares de sa campagne électorale. Il n’est pas davantage parvenu à démanteler l’administration chargée de la délimitation et de la protection des terres réservées aux peuples indigènes. Plusieurs enquêtes ont mis en cause l’entourage du président. Devenu ministre de la Justice, le juge Sérgio Moro se voit contraint de faire profil bas depuis la révélation de ses manipulations dans la procédure judiciaire qu’il a dirigée et qui a abouti à l’incarcération en 2018 de l’ancien président Lula.

Les grands quotidiens et le groupe multimédia Globo expriment des doutes croissants sur l’action du gouvernement et la personnalité du président

Ce sont surtout les médias et de larges secteurs de la société civile qui nourrissent l’opposition. Les grands quotidiens et le groupe multimédia Globo expriment des doutes croissants sur l’action du gouvernement et la personnalité du président. Des ONG surveillent les atteintes aux droits humains et à l’environnement, sans pouvoir toujours contenir les débordements permis par les nouveaux dirigeants (hausse des homicides commis par les forces de l’ordre, envahissement par des orpailleurs et des sociétés forestières de territoires indigènes constitutionnellement protégés, déclenchements intentionnels de feux en Amazonie). Des foules importantes ont manifesté au-delà des clivages partisans habituels contre les coupes dans les budgets de l’enseignement supérieur et de la recherche.

En peu de temps, Jair Bolsonaro a vu sa popularité s’effondrer. Son impéritie, les scandales et les divisions qui touchent son premier cercle contribuent à son isolement progressif au Brésil et sur la scène internationale. Il conserve des partisans qui goûtent ses saillies langagières, mais celles-ci masquent de moins en moins son incapacité à atteindre ses objectifs politiques.

Pas mieux, voire pire

Quelques mois après son élection, le Brésil était de nouveau au bord de la récession, le taux de chômage avait augmenté pour atteindre 12 %, contre 11,6 % au moment de son entrée en fonction, et le déficit fiscal poursuivait sa hausse. Celui qui se présentait comme le dernier recours pour sortir le pays de la crise dans laquelle il est plongé depuis fin 2014 n’a pas fait mieux que ses prédécesseurs. Il entendait pourtant administrer un remède de cheval aux finances publiques, en confiant les rênes du ministère de l’Economie à Paulo Guedes, connu pour ses convictions néolibérales. Celui-ci allait devoir en rabattre très vite devant les protestations soulevées par les mesures qu’il envisageait, comme permettre une déforestation importante de l’Amazonie pour donner plus d’espace à l’agrobusiness.

Une telle politique économique ne répond nullement au problème majeur qu’est la poursuite de la désindustrialisation du Brésil, dont l’économie dépend plus que jamais de l’exportation de matières premières et de produits agricoles. En outre, la réforme des retraites n’a emporté la conviction de personne : les libéraux la jugent insuffisante pour être viable au-delà de cinq ans, la gauche considère qu’elle accentuera les inégalités et la pauvreté.

Une instabilité accrue

Un consensus se dessine chez les chefs d’entreprise, dans le secteur privé comme public, et parmi les investisseurs étrangers pour estimer que les frasques du président et les mésententes entre ses alliés créent un climat d’instabilité défavorable à une reprise économique durable. La hausse du chômage et de la précarité de l’emploi a entraîné une détérioration sans précédent des conditions de vie. Beaucoup de Brésiliens connaissent des situations de surendettement, diffèrent des soins médicaux ou renoncent à scolariser leurs enfants dans des écoles privées qu’ils estiment pourtant de meilleure qualité que l’enseignement public. En quelques années, les perspectives de promotion sociale ouvertes à chacun du temps de la prospérité dans les années 2000, lorsque les cours des matières premières étaient élevés, ont cédé la place à la peur du déclassement. L’austérité n’épargne pas les budgets sociaux, et la mortalité infantile et la malnutrition, reparties à la hausse avant l’élection de Jair Bolsonaro, ont peu de chances de diminuer à court terme.

Le développement de milices témoigne de l’incapacité des pouvoirs publics à assurer la sécurité de la population

L’essor de la criminalité violente constitue un autre aspect de l’insécurité sociale. Les prisons sont plus surpeuplées que jamais et génèrent des organisations criminelles qui prospèrent au-delà de leurs murs. Le développement de milices, qui existaient avant l’arrivée au pouvoir de Bolsonaro, notamment à Rio de Janeiro, témoigne de l’incapacité des pouvoirs publics à assurer la sécurité de la population et d’un recul de l’Etat de droit. Il s’accompagne d’activités illégales (racket de commerçants et d’opérateurs de téléphonie, taxation obligatoire pour assurer la sécurité des résidents, complaisance à l’égard de trafiquants de drogue dans certains cas) dans lesquelles sont impliqués des membres des forces de l’ordre et du personnel politique, dont un des fils du président.

L’élection de Jair Bolsonaro n’a pas amélioré la situation du Brésil. Toutefois, la démocratie ne s’est pas effondrée et les institutions comme la société civile contiennent les tentations de dérive autoritaire. A maints égards, la vie politique se déroule comme à l’ordinaire avec des tractations pour la constitution d’alliances électorales aux élections municipales de 2020. Il n’y a toutefois pas à ce jour d’acteur politique disposant d’un programme susceptible de fédérer et de répondre aux difficultés économiques, sociales et environnementales anciennes auxquelles l’action du président n’apporte aucune réponse.

À la une

Commentaires (13)
JD 05/01/2020
5- "Le problème majeur du Brésil, la desindustrialisation". C'est un problème mais à court et moyen terme ce n'est pas LE problème majeur ou il faut expliquer pourquoi. La consolidation du marché intérieure est un problème majeur. Or, 54% des ressources fiscales proviennent de la TVA et slt 18% ( Source: Receita Federal) des impôts sur le revenu et le patrimoine ( avec quasi exemption des revenus du capital). Le système fiscal est l'un des plus régressif qui soit.
JD 05/01/2020
4- Les données sur les inégalités aussi sont à actualiser surtout si on fait le bilan de l'année Bolsonaro. Or justement l'indice de Gini est reparti à la hausse en 2018 selon l'IBGE à 0,545. Par ailleurs, alors que la pauvreté augmente, le nombre de ménages percevant la bolsa familia ( a baissé de 2 points de % depuis 2018.... Sans que je sache en l'état si l'action de Bolsonaro y est pour quelque chose ou si c'est un effet d'inertie des mesures de M. Temer.
JD 05/01/2020
3- Les éléments de conjoncture économique de l'article sont un peu périmés. La situation macro n'est pas folichonne mais depuis le 2nd sem 2019, l'emploi formel est un peu reparti, le taux de chômage a un peu diminué et le PIB devrait croître de 1 à 1,4% selon IBGE en 2020. La BC du central mène une politique des taux directeurs très bas sans effet inflationniste ( jusqu'à présent) qui soutient ( provisoirement l'éco brésilienne)
JD 05/01/2020
Je n'aime ni cet article ni les com de Thierry ! :) 1- Bolsonaro, Moro et surtout Guedes en font plus que ne prétend l'article même si certains projets st amendés ou bloqués par la chambre des députés. 2- les "débordements" non contrôlés évoqués; c'est pas une paille mais par ex une hausse des homicides par la police notamment militaire de 17% alors que la criminalité générale était en baisse de 20% au premier semestre 2019 soit environ 1000 pers cad le nbre total d'homicide en Fce/an !!
JD 05/01/2020
Je n'aime ni cet article ni les com de Thierry ! :) 1- Bolsonaro, Moro et surtout Guedes en font plus que ne prétend l'article même si certains projets st amendés ou bloqués par la chambre des députés. 2- les "débordements" non contrôlés évoqués; c'est pas une paille mais par ex une hausse des homicides par la police notamment militaire de 17% alors que la criminalité générale était en baisse de 20% au premier semestre 2019 soit environ 1000 pers cad le nbre total d'homicide en Fce/an !!
adlebdo 03/01/2020
suite2: l'équipe au pouvoir et notamment les 4 Bolsonaro, Mourao, Guedes et Moro se répartissent les rôles mais sont d'accord sur l'application d'un m^me programme et si il y a un faux pas de l'un l'autre est là pour le rattraper . ils représentent les 4 piliers qui permet d'enchanter la partie d l'électorat qui les ont élus. cet article ne voit pa sua réalité: l démocratie n'est plus que formelle; le pouvoir en place n' pas besoin d'aller plus loin... Or une révolte est impossible à ce jour
adlebdo 03/01/2020
suite1 -Le gouvernement bolsonariste me semble là pour longtemps car il est l'émanation des 4 B: l'alliance entre les grands propriétaires latifundiaires qui font la pluie et le beau temps (Boi) , les partisans d'un état fort militarisé voire une dictature ( Bala) , des Eglises évangéliques anesthésiant le petit peuple dans une théologie d cela prospérité hyper-compatible avec le néolibéralisme ( Biblia) et le pouvoir financier de la haute bourgeoisie classique ( Banco). suite
adlebdo 03/01/2020
Je n'aime ni cet article ni les commentaires de Thierry. L'article du "MONDE" du 30/12 du correspondant du journal à Rio Bruno Meyerfeld reflète mieux la réalité de la situation: Cet article donne l'impression que finalement l'évolution vers une dictature Bolsonarienne est muselée grâce à une démocratie qui résiste ,et que finalement Bolsonaro échoue dans presque tous ses projets, comme si le roi était nu. Le correspondant du Monde me semble avoir raison . a suivre
adlebdo 03/01/2020
Je n'aime ni cet article ni les commentaires de Thierry. L'article du "MONDE" du 30/12 du correspondant du journal à Rio Bruno Meyerfeld reflète mieux la réalité de la situation: Cet article donne l'impression que finalement l'évolution vers une dictature Bolsonarienne est muselée grâce à une démocratie qui résiste ,et que finalement Bolsonaro échoue dans presque tous ses projets, comme si le roi était nu. Le correspondant du Monde me semble avoir raison . a suivre
Thierry 02/01/2020
En conclusion, vouloir réduire les problèmes du Brésil à la personne de son président est une courte vue partisane. Je suggère à l'auteur de l'article de me contacter si il veut une autre vision plus nuancée et plus juste du Brésil.
Thierry 02/01/2020
Le problème du Brésil c'est aussi une absence du crédit qui ne permet pas de dynamiser les TPME ni l'économie et une population insuffisamment formée. Des banques rapaces et prédatrices au possible. 4% de retenue sur une carte bancaire et blocage de la somme un mois. Des crédits entre 40 et 150%. Or malgré toutes les réticences que j'ai contre Paulo Guedes, c'est pourtant lui qui vient de mettre en place à travers le BNDES des enveloppes de crédit bonifiées pour les entreprises. D
Thierry 02/01/2020
Le problème du Brésil ce n'est pas Bolsonaro, qui n'a que peu de pouvoir face à un parlement qu'il ne domine pas et dont il a besoin. Le problème c'est une constitution qui a permis à toute une mafia de prendre les rênes des institutions sans avoir de comptes à rendre rapidement et sans pouvoir être dégagée facilement. Le problème c'est 33 partis et 77 en cours d'approbation qui obligent les décideurs à les corrompre. et Lula a du faire comme les autres pour conserver le pouvoir.
Thierry 02/01/2020
Je n'apprécie pas cet article. Il est outrancier et exclusivement à charge. Je vis au Brésil et vois la situation bien différente. Je ne veux pas faire le procès de Jair Bolsonaro, malgré toutes les réserves qu'il m'inspire, parce qu'il est le président légitime d'un pays qui l'a élu parce qu'il n'y avait personne d'autre. C'est Lula qui a fait le lit de Bolsonaro, parce que Lula dont j'ai été un fan, comme j'étais celui de Chavez, a bel et bien commandé un schéma de corruption énorme.
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !