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Le « Brexit dur » de May ou « le nouveau visage du Royaume-Uni »

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Par VoxEurop

Le discours de Theresa May lors du congrès du parti conservateur le dimanche 5 octobre à Birmingham, avec ses positions sur les travailleurs étrangers, sa « rhétorique de puissance », ses affirmations sur l’économie ainsi que la chute de la livre sterling qui s’en est suivie ont laissé de nombreux commentateurs européens sceptiques et inquiets, jusqu’au très conservateur quotidien britannique The Daily Telegraph.

Le Royaume-Uni après le Brexit a un visage peu agréable

Internazionale, Rome, 11 octobre

« Quelque chose d’anormal et de sinistre est en train de se produire au Royaume-Uni. Après les mois passés dans les limbes qui ont suivi le choc du référendum sur le Brexit, le nouveau visage du pays –  celui qu’il aura une fois hors de l’Union européenne – commence à s’ébaucher, note dans Internazionale Marco Mancassola. Basé à Londres, l’écrivain et essayiste italien considère que, dans son discours de Birmingham, Theresa May, « a confectionné une vision politique qui inclut des positions d’extrême droite sur l’immigration et des positions apparemment de centre gauche sur l’économie, le tout mâtiné d’une dose de populisme et de nationalisme. Elle compte soutirer des électeurs au UKIP, d’un côté, et aux travaillistes déjà affaiblis, de l’autre. Surtout, la vision de May a l’ambition de remodeler la société britannique. Une extraordinaire quadrature du cercle capable de capter parfaitement les inquiétudes de la majorité qui a voté pour le Brexit. Les ennemis principaux sont naturellement toujours l’Europe, avec sa liberté de mouvement des travailleurs et, plus généralement, la société mondialisée, trop ouverte et trop complexe. Ce qui est sinistre dans cette vision, c’est le lien direct qui est établi entre la justice sociale et l’attaque contre l’immigration. Les propositions faites à Birmingham sont emblématiques d’une approche qui pense à une société post-globale, où le discours préféré est celui de la protection des communautés locales. »

 

Le discours de Theresa May sur l’immigration est dangereux et factuellement faux

The Daily Telegraph, Londres, 6 octobre

« Il est difficile de savoir par où commencer avec le discours détestable, hideux, cynique et irresponsable que Theresa May a prononcé (...) à la conférence du parti conservateur, écrit James Kirkup, directeur général du Daily Telegraph. Si vous n’en avez pas lu de recension, permettez-moi de vous le résumer : “les immigrés nous volent nos emplois, vous appauvrissent et détruisent notre pays. Peu importe les faits, soyez juste en colère contre les étrangers”. » Et James Kirkup d’attirer l’attention sur l’affirmation suivante : « Nous savons que pour les personnes occupant des emplois peu payés, les salaires sont encore davantage tirés vers le bas, tandis que d’autres personnes sont réduites au chômage. » James Kirkup lui oppose une étude statistique sérieuse réalisée par les propres experts de l’équipe de Mme May, concluant qu’« il y a relativement peu de preuves que les migrations aient écarté significativement des Britanniques du marché du travail lorsque l’économie est forte ». Quant à une autre affirmation de Mme May, selon laquelle l’immigration rendrait « impossible la construction d’une société cohésive », « Mme May a tort, estime James Kirkup, car le Royaume-Uni est en fait, après une période de forte immigration, une société remarquablement cohésive et tolérante, largement et heureusement dépourvue de l’hostilité vicieuse et même violente à l’œuvre ces derniers temps dans de nombreux pays européens. (...) Mais les élections au sein du parti conservateur arrivent (...), et l’ambition politique est plus importante que de s’exprimer de façon responsable et honnête au sujet de l’immigration. Une bien curieuse forme de leadership. »

 

Londres est malhonnête à l’égard de ses partenaires européens

Rzeczpospolita, Varsovie, 11 octobre

Anna Słojewska se monte très critique à l’égard de la politique européenne du Royaume-Uni. Selon elle, « Londres ne veut tenir compte que de ses propres intérêts dans ses négociations avec Bruxelles. En soi, c’est bien de défendre ses intérêts, mais il est difficile, de nos jours, de les séparer des attentes des partenaires ». Avant de poursuivre : « le Royaume-Uni a recours à une rhétorique de puissance : il martèle des slogans sur le recouvrement de la souveraineté et sur le pouvoir retrouvé du Parlement et des tribunaux britanniques» Une attitude qu’elle dénonce pour trois raisons : « Premièrement, le Brexit version hard n’est pas rentable pour la Grande-Bretagne. Le scénario extrême signifie que les exportateurs britanniques se verront fermer la porte du plus grand marché du monde. Deuxièmement, cette option est irréaliste. Le Royaume-Uni devra respecter ses engagements internationaux, notamment au sein de l’OMC, même s’il n’est pas membre de l’UE. Troisièmement, enfin, cette attitude est malhonnête à l’égard des partenaires du pays à travers le monde. Ce n’est pas avec cette Grande-Bretagne qu’ils voulaient collaborer ». Le journal donne l’exemple du Japon, représentatif du point de vue des puissances asiatiques : « Le ministère des Finances japonais a préparé un document rendu public au cours du dernier sommet du G20. (…) Il y est clairement indiqué que les entreprises japonaises ont effectué de nombreux investissements au Royaume-Uni car celui-ci était membre de l’UE. (…) Le Japon demande avec insistance que Londres prenne compte cet aspect de la réalité. » C’est-à-dire que les marchés britannique et européen restent intégrés. La journaliste conclut que « si tous les éléments qui rendaient le Royaume-Uni aussi attractif venaient à disparaître –  son ancrage dans l’UE, son ouverture sur les autres cultures –- alors, son assise ne pourrait plus reposer que sur sa langue. C’est peu pour lui assurer une place importante sur la carte économique du monde. »

Le « Brexit dur » de Theresa May sera plus souple qu’il n’y paraît

The New Statesman, Londres, 12 octobre

Deux mois avant le référendum sur le « Brexit », les partisans du « Remain » et ceux du « Leave » étaient d’accord sur le fait que ce qui attendait le Royaume-Uni était ce que l’on appelle aujourd’hui le « Brexit dur », rappelle George Eaton, rédacteur en chef de la section politique de l’hebdomadaire de gauche. « O,r une coalition des partisans du Leave (...) affirme désormais que ce n’était pas le cas, poursuit-il. Le Royaume-Uni, selon eux, a simplement voté pour quitter l’Union européenne. Aucun des termes de négociations n’aurait été approuvé. Ce avec quoi Theresa May s’inscrit en faux. Elle a indiqué que le Royaume-Uni quitterait le marché unique afin de contrôler la liberté de mouvement et de circulation et qu’elle mettrait fin à la suprématie de la Cour européenne de justice. Il est aussi attendu que le Royaume-Uni quitte l’union douanière. (...) Le gouvernement a jusqu’ici dénié au Parlement tout droit de regard sur les termes de la négociation du fait de la consultation par référendum. Les députés se sentent lésés de ne pas être consultés. (...) Si le Parlement devait voter, il est peu probable que les députés soutiendraient le maintien dans le marché unique. (...) Mais ce sont en fait les partisans vaincus du Remain plutôt que les partisans du Leave, toujours prêts à invoquer la trahison, qui représentent le plus grand danger pour May. En adoptant le Brexit dur, elle s’est acheté la confiance indispensable et de la bonne volonté. Sa stratégie ne deviendra claire pour tous qu’avec le temps. May a commencé dur pour s’assouplir plus tard. »

Le retour de l’Etat fort en Grande-Bretagne

Frankfurter Allgemeine Zeitung, Francfort, 6 octobre

Le discours de Theresa May devant les députés conservateurs à Birmingham marque le retour d’un « Etat fort » au Royaume-Uni, estime la FAZ, « un véritable changement de cap car depuis Margaret Thatcher dans les années 1980, il y avait unanimité en Grande-Bretagne sur le fait qu’une intervention de l’Etat dans les affaires économiques faisait plus de mal que de bien. Mais, remarque Markus Theurer, la tendance s’inverse désormais. » Ainsi le Premier ministre a demandé à l’économie d’employer moins d’étrangers, constate l’éditorialiste, en restant sceptique quant à la faisabilité de ce projet : « Il n’est pas sûr que la chef du gouvernement puisse tenir ses promesses. Actuellement, il est difficile d’imaginer le marché du travail britannique sans les migrants économiques mal aimés venant d’Europe du Sud et d’Europe de l’Est. Au sein du système de santé publique (NHS), ils représentent plus d’un tiers des effectifs. Pour des raisons économiques, le NHS n’a pas formé assez de personnel ces dernières années. D’un autre côté, le ministre de Finances Philip Hammond n’a que très peu de marge pour augmenter les dépenses : le trou dans les caisses publiques du gouvernement s’élève toujours à 72 milliards de livres. Certes, l’Etat britannique doit devenir plus fort, mais pour y parvenir de manière significative, il lui manque le budget. »

 

Xénophobie britannique

El País, Madrid, 11 octobre 2016

Dans son éditorial, El País qualifie les déclarations sur l’immigration de la Première ministre britannique Theresa May de « dérive xénophobe », qui est en train de « déclencher tous les signaux d’alarme au Royaume-Uni ». « Le Royaume-Uni fait toujours partie de l’UE et May doit en respecter les règles », poursuit le journal, pour qui « les faits démontrent que le Royaume-Uni n’est pas une victime de l’immigration, mais qu’il bénéficie grandement d’elle ; sur le chemin du Brexit, quelque chose de plus précieux que l’adhésion à l’UE est en train de disparaître : le caractère ouvert, tolérant et inclusif de ce pays, qui a toujours été un modèle de coexistence multiraciale et multiethnique. (...) Il est évident que May essaie de profiter de la faiblesse des travaillistes et d’élargir la base électorale conservatrice faisant appel – comme les populistes le font partout en Europe – aux sentiments identitaires primaires des électeurs. Il y a des raisons plus que fondées pour que les partenaires de l’UE s’opposent à ces mesures de toute leur force. Le Royaume-Uni est toujours membre de l’Union et tous ceux qui y vivent, les autres citoyens de l’UE et les ressortissants étrangers, bénéficient de droits et de garanties, y compris celui à la non-discrimination, établis par les traités européens. »

Revue de presse européenne réalisée par VoxEurop

 

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Commentaires (1)
PHILIPPE 14/10/2016
Le discours de Theresa May lors du congrès du parti conservateur le dimanche 5 octobre à Birmingham,a ete tres dur pour rassembler les 2 tendances.de son mouvement et etre en ligne avec les pro-brexit.
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