Royaume-Uni

Brexit : et maintenant ?

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Fort de sa victoire aux législatives, le Premier ministre britannique Boris Johnson a les mains libres pour mettre en œuvre le Brexit, mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Discours du Premier ministre britannique Boris Johnson à l'occasion des législatives anticipées du 12 décembre, à Telford (Shropshire), le 24 novembre 2019. PHOTO : © XINHUA-REA

Ce fut finalement un raz-de-marée pour Boris Johnson. Les élections législatives anticipées qui se sont tenues jeudi au Royaume-Uni ont apporté une victoire incontestable au Premier ministre en exercice : les conservateurs ont raflé 364 sièges de députés sur 650, soit 38 de plus que nécessaire pour s’assurer d’une majorité absolue. Profitant du flou entretenu par le travailliste Jeremy Corbyn, qui avait annoncé qu’il resterait neutre en cas de nouveau référendum sur le Brexit, ainsi que de la division des voies du camp du « Remain » entre les travaillistes et les libéraux démocrates, « BoJo » a désormais les mains libres pour faire adopter au Parlement l’accord de retrait qu’il avait arraché à l’Union européenne en octobre dernier. Accord qu’il présentera vendredi devant la Chambre des communes.

La remontée du cours de la livre sterling après l’annonce des résultats est un signe qui ne trompe pas : les marchés anticipent désormais la fin de la période d’incertitude ouverte par les reports successifs de la date du Brexit, initialement prévue le 29 mars 2019. « Les résultats [de jeudi dernier, NDLR] montrent une voie plus claire vers le Brexit et propose la visibilité dont les entreprises et les marchés ont besoin depuis trois ans », analyse Shamik Dhar, chef économiste au sein de la société de gestion d’actifs BNY-Mellon Investment Management. C’était d’ailleurs le leitmotiv de Boris Johnson durant la campagne : « Get Brexit done » (« finissons-en avec le Brexit », en français). Une promesse qui a désormais toutes les chances de se réaliser, mais qui est loin de mettre un terme à la saga entamée par le choix du peuple britannique de quitter l’Union européenne lors du référendum du 23 juin 2016.

Quand il n’y en a plus, il y en a encore

Supposons acquise l’adoption par les députés, avant le 31 janvier prochain (date d’échéance du Brexit fixée par l’Union européenne en octobre dernier), de l’accord de divorce. Il faudra ensuite que Londres et Bruxelles, sous l’égide de Michel Barnier, s’accordent sur les règles qui définiront leur nouvelle relation dans les domaines commerciaux, financiers mais également migratoires, ainsi que dans tout ce qui a trait aux échanges de données.

Les conservateurs veulent une « global Britain » libérée des carcans de l’UE, mais ils savent que le Royaume-Uni est extrêmement dépendant du Continent

Sur ce plan, rien n’est acquis. Car Boris Johnson marche sur un fil : faisant de la réalisation du Brexit son cheval de bataille, quelles qu’en soient les conditions, il souhaite également négocier une relation aussi fusionnelle que possible avec l’Union européenne, sous forme d’un traité de libre-échange. Et pour cause : si la volonté affichée des conservateurs est de reconstruire une « global Britain » libérée des carcans de l’UE, ils savent aussi que le Royaume-Uni est extrêmement dépendant du continent européen, première destination de ses exportations et plus importante source d’approvisionnement en importations.

Un temps compté

La réussite de la négociation des termes d’un tel accord, qui s’ouvrira le 1er février, est aussi cruciale pour les Britanniques que matériellement improbable. Les pourparlers doivent en effet être conclus au plus tard le 31 décembre 2020, date à laquelle la période de transition fixée par l’article 50 prendra fin. A moins que Boris Johnson ne consente, avant le 30 juin, à demander un report d’un ou deux ans. Une hypothèse hautement improbable puisque le Premier ministre travaille à l’interdiction pure et simple par la loi d’une telle prolongation.

Conçu initialement dans un cadre où le Brexit devait avoir lieu en mars 2019, ce timing désormais très serré laisse aux deux parties moins d’un an pour s’entendre. Autant dire un temps infime. A titre de comparaison, le Ceta a nécessité pas moins de sept ans de tractations. Concernant le Brexit, « il a fallu trois ans et demi pour négocier l’accord de retrait, qui couvre un nombre beaucoup plus modeste d’enjeux, et qui n’a pas encore été ratifié », souligne Olivier Patel, chercheur associé à l’European Institute de l’University College London.

L’Union européenne ne veut laisser aucune porte ouverte à un potentiel dumping britannique

L’enjeu est également d’importance pour l’Union européenne, qui devra redoubler de vigilance afin de ne laisser aucune porte ouverte à des possibilités de dumping. Le Royaume-Uni pourrait en effet être tenté de faire diverger ses normes sociales, sanitaires ou environnementales, pour améliorer sa compétitivité sur la scène mondiale. « Les relations futures devront reposer sur un équilibre entre droits et obligations », s’est ainsi empressé de notifier le Conseil européen au lendemain du vote des Britanniques, craignant de voir à terme Londres devenir un « concurrent à sa porte », pour reprendre les mots de la chancelière allemande Angela Merkel.

Impossible pour l’instant de savoir quelle tournure prendra l’acte II du Brexit, ni d’écarter la possibilité d’un « no deal 2.0 » si Londres et Bruxelles échouent à se mettre d’accord.

Le Royaume désuni

Sur le plan interne, si les conservateurs emmenés par Boris Johnson peuvent se féliciter d’avoir remporté haut la main ces élections, ils ne peuvent ignorer les fractures régionales engendrées par la perspective du Brexit. En Ecosse, le SNP (Scottish National Party), qui veut sortir du Royaume-Uni, a remporté une large victoire électorale en obtenant 48 des 59 sièges du Parlement d’Edimbourg. De quoi raviver les craintes d’un second référendum d’indépendance, après celui de 2014. Les termes du débat seraient toutefois chamboulés : il y a cinq, une majorité d’Ecossais avaient choisi un maintien au sein du Royaume britannique, synonyme de maintien dans l’Union européenne, contre une indépendance qui conduisait potentiellement à faire sécession avec le reste du Continent. C’est désormais le choix de l’indépendance qui pourrait s’imposer à ceux qui souhaitent rester dans l’UE.

En Irlande du Nord, le parti unioniste (Democrat Unionist Party, DUP), qui défend le maintien du rattachement à la Grande-Bretagne, a essuyé également un sérieux revers. En perdant deux sièges sur les 18 que la province envoie à Westminster, il donne une courte majorité aux deux partis nationalistes (le Sinn Fein et le parti travailliste social-démocrate) qui militent, eux, pour une Irlande réunie (République Irlandaise et Irlande du Nord). Si une telle perspective est encore lointaine, les âpres négociations entre Bruxelles et Londres pour éviter le rétablissement d’une frontière physique sur l’île – d’abord pensé via le mécanisme de « backstop », finalement remplacé par un double système de frontière – donnent au maintien de la région dans le Royaume-Uni un tour inextricable.

« Vous vous demandez sûrement ce que ce nouveau gouvernement fera de son extraordinaire majorité ? Nous allons rassembler l’ensemble de cet incroyable Royaume-Uni : l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays-de-Galles et l’Irlande du Nord », a précisé Boris Johnson sur le perron du 10 Downing street suite à l’annonce des résultats. Comme s’il essayait lui-même de s’en convaincre.

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