Pollution

Canada : le cocktail explosif des incendies et du gaz de schiste

6 min

Alors que la Colombie-Britannique subit le pire incendie de son histoire, des chercheurs s'inquiètent pour les nombreuses zones d'exploitation du gaz de schiste : l'exposition aux flammes risque d'aggraver le bilan environnemental et sanitaire de l'industrie.

Les incendies continuent de ravager la Colombie-Britannique dans l'ouest canadien, le 10 juillet 2023. PHOTO : BC Wildfire Service / Anadolu Agency via AFP

Sur une image satellite de la Colombie-Britannique, il suffit de quelques zooms aléatoires dans le nord-est pour découvrir des milliers de petites zones déboisées qui cassent la monotonie de la forêt canadienne. Ce sont des rectangles d'une dizaine d'hectares, accueillant une zone de stockage, des puits et un immense bassin pour stocker les millions de litres d'eau nécessaires à la fracturation hydraulique.

La Colombie-Britannique est la principale province productrice de gaz de schiste. Elle repose sur d'immenses gisements, dont l'exploitation s'est accélérée ces quinze dernières années. Aujourd'hui, 9 569 puits sont en activité dans la province.

D'immenses panaches de fumées sont déjà visibles sur l'image satellite, non loin des zones déboisées, à Donnie Creek. La province subit actuellement...

Sur une image satellite de la Colombie-Britannique, il suffit de quelques zooms aléatoires dans le nord-est pour découvrir des milliers de petites zones déboisées qui cassent la monotonie de la forêt canadienne. Ce sont des rectangles d’une dizaine d’hectares, accueillant une zone de stockage, des puits et un immense bassin pour stocker les millions de litres d’eau nécessaires à la fracturation hydraulique.

La Colombie-Britannique est la principale province productrice de gaz de schiste. Elle repose sur d’immenses gisements, dont l’exploitation s’est accélérée ces quinze dernières années. Aujourd’hui, 9 569 puits sont en activité dans la province.

D’immenses panaches de fumées sont déjà visibles sur l’image satellite, non loin des zones déboisées, à Donnie Creek. La province subit actuellement le pire feu de son histoire. Shaelee Stearns est la responsable de la communication des pompiers de la zone :

« La taille de l’incendie est estimée à 572 287 hectares. Il mobilise 104 pompiers, 18 membres du personnel de soutien opérationnel, 9 hélicoptères, 12 personnes chargées de la protection des structures et 23 pièces d’équipement lourd. »

L’incendie brûle sur une surface équivalente à celle du département du Cantal, en Auvergne. Face à un tel brasier, les opérations de fracturation hydraulique ne peuvent pas continuer comme si de rien n’était. Dans une réponse écrite à Alternatives Economiques, le Régulateur de l’énergie de la Colombie-Britannique affirme que 24 entreprises exploitantes ont « signalé des impacts sur leurs complexes de Donnie Creek, comme la mise en place de protections ou la fermeture de leurs sites ».

Produits chimiques

Des propos qui ne rassurent pas Marc Durand, professeur retraité de l’université du Québec, à Montréal. L’ingénieur géologue a longuement étudié le gaz de schiste et la fracturation hydraulique. « Même la tourbe peut s’enflammer dans ces conditions, ce ne sont pas les dizaines de mètres qui séparent l’orée de la forêt des installations de gaz de schiste qui arrêteront les flammes », s’inquiète le chercheur.

De son côté, le Régulateur de l’énergie ne paraît pas inquiet : « Les unités de protection structurelle ont effectué un travail considérable, combiné à la gestion de la végétation et au nettoyage des zones autour des sites d’activité. »

L’inquiétude des chercheurs ne concerne pas tant les puits en soi. Contrairement à une idée reçue, le gaz ne risque pas de s’y enflammer, rappelle Marc Durand. « Pour brûler, le gaz de schiste a besoin d’air. Même si une fuite de méthane a lieu à la surface et s’enflamme, il n’y aura pas de contagion en sous-sol. D’ailleurs, il vaut mieux que les fuites de gaz brûlent, ça évite d’ajouter du méthane brut à l’atmosphère », ajoute ironiquement le géologue.

800 molécules différentes seraient utilisées, dont au moins 33 ont une toxicité confirmée

Ce qui préoccupe les spécialistes, ce sont les produits chimiques stockés sur place. Pour fracturer les roches et libérer le gaz, les exploitants mêlent des produits chimiques aux dizaines de millions de litres d’eau, afin de tuer certaines bactéries ralentissant l’échappement du gaz ou de permettre à l’eau d’atteindre les roches les plus éloignées. S’ils ne composent que 0,5 % de la solution finale, ces produits sont tous ajoutés en même temps à l’eau et au sable, ce qui représente une grande quantité à stocker sur chaque site.

Selon Environnement Canada et Santé Canada, qui ont établi une liste partielle des composants du liquide, 800 molécules différentes seraient utilisées, dont au moins 33 ont une toxicité confirmée. C’est un risque, considère Marc Durand, qui cite des études effectuées par le professeur de l’université Simon Fraser, Tim Takaro : « Plusieurs de ces produits sont cancérigènes. Nous n’avons pas intérêt à ce qu’ils soient libérés dans l’environnement après un déversement accidentel, un incendie ou alors là où ils sont stockés. »

Des risques pour la faune, la flore et les pompiers

De son côté, les industriels ont affirmé au Régulateur de l’énergie de Colombie-Britannique que tout avait été fait pour éviter cela. « Les opérateurs ont enlevé les matériaux inflammables des sites. Tous les produits restants sont signalés et les informations sont partagées avec les intervenants », écrit le Régulateur dans sa réponse par mail.

Si d’aventure les « produits restants » venaient à brûler, la fumée concentrerait des métaux lourds, du dioxyde de soufre, des hydrocarbures polyaromatiques, ainsi que les produits chimiques abandonnés. Marc Durand prévient : « On sait que les populations sont assez dispersées dans le nord de la Colombie-Britannique, mais ça peut quand même se retrouver dans les cours d’eau et affecter la faune, la flore. »

Ainsi que les pompiers, en première ligne ? Le centre de Donnie Creek déclare être prêt : « S’il y a des risques d’expositions potentielles à des produits chimiques, nos équipes se retireront dans des zones sûres jusqu’à ce que les sites puissent être vérifiés et que le personnel puisse continuer à travailler en toute sécurité. »

Plus que les risques chimiques, incertains, l’incendie de Donnie Creek vient rappeler une vérité : l’industrie du gaz de schiste se mord la queue. Le gaz de schiste est composé principalement de méthane, un gaz à effet de serre 87 fois plus réchauffant que le CO2 sur vingt ans.

Une industrie ultra-polluante

Or, plus de 10 % des puits de pétrole et de gaz fuient dans la province, rappelle Marc Durand : « Aucun puits ne peut être bouché indéfiniment. Quand on exploite seulement 15 % du gaz d’une strate, on prend le risque qu’une partie du reste s’échappe. » L’industrie participe donc activement au dérèglement climatique sur le très court terme.

Autre enjeu, la consommation d’eau. Si la quantité d’eau mobilisée n’est pas si grande comparée à d’autres industries, il en faut beaucoup dans un laps de temps très resserré, entre quelques semaines et quelques mois, pointe un rapport parlementaire canadien.

La fracturation nécessite de grands volumes d’eau sur de courtes périodes

« Il faut de grands volumes d’eau sur de courtes périodes, et cela pourrait être problématique pendant certaines périodes de pointe annuelles », écrivent les rapporteurs, en temps de sécheresse ou de gel, par exemple, quand l’eau douce vient à manquer. Pour tenter d’apaiser les critiques, l’industrie annonce avoir mis ces dernières semaines à la disposition des pompiers certains bassins de stockage d’eau afin de lutter contre les flammes.

Dans tous les cas, les exploitants ne sont pas au bout de leurs peines. L’incendie de Donnie Creek sera une menace constante pour l’industrie de gaz de schiste pendant plusieurs mois, voire années : son intensité est telle qu’il peut brûler en sous-sol tout l’hiver et ressurgir au printemps prochain.

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Commentaires (1)
Louis Gonzalez 23/07/2023
Bonjour, Voici un site qui montre en temps réel la propagation des fumées et des incendies au Canada. https://earth2day.com/TheWall/Events/Movies/ALBERTA4K2023062520302023123100001920x1080.html Le projet principal anime la Terre en temps réel avec 5 satellites. https://earth2day.com N’hésitez pas à poser des questions. Cordialement.
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