Opinion

Changer l’école, changer la société...

8 min
Philippe Watrelot Ancien enseignant, auteur de "Je suis un pédagogiste" (ESF-Sciences Humaines, 2021).

En cette rentrée scolaire, les sujets possibles pour démarrer cette chronique mensuelle sur l’école et l’éducation, que m’a proposée AlterEcoPlus, sont nombreux. On pourrait reparler de la réforme du collège, car les tensions sont toujours là. On pourrait aussi s’interroger sur les positionnements à droite, en s’appuyant sur le livre récent d’Alain Juppé. Ou bien encore, comme le font la plupart des journaux et magazines, se saisir du marronnier de la rentrée pour aligner des chiffres sur le coût de l’année scolaire, les effectifs d’élèves et d’enseignants, et faire quelques comparaisons internationales.

En fait, c’est une enquête parue en plein milieu du mois d’août qui va constituer la trame de cette chronique. Mais elle va nous permettre d’aborder par la bande une partie des sujets évoqués plus haut. Et surtout de nous interroger sur les finalités de l’école et du travail des enseignants…

Inégalités sociales

Titrée « Acquis des élèves au collège : les écarts se renforcent entre la sixième et la troisième en fonction de l’origine sociale et culturelle », cette note de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’Education nationale est signée de Linda Ben Ali et Ronan Vourch (voir également ce compte rendu). Elle s’appuie sur un travail plus important publié en mai 2015 dans la revue Education et Formations n° 86. Menée auprès de 35 000 élèves de la sixième à la troisième depuis 2007, cette étude les a confrontés à des tests cognitifs comparables dans le temps portant sur l’acquisition du vocabulaire scolaire (mémoire encyclopédique), la maîtrise syntaxique (traitement de phrases lacunaires), la compréhension de textes (lecture silencieuse), les compétences en mathématiques et le raisonnement logique déconnecté de tout contenu scolaire (raisonnement sur cartes à jouer). L’étude montre que les élèves venus d’un milieu social aisé s’en sortent bien mieux que ceux élevés dans un milieu social défavorisé. Les écarts sont particulièrement marqués en ce qui concerne la lecture et les maths.

Les élèves venus d’un milieu social aisé s’en sortent bien mieux que ceux élevés dans un milieu social défavorisé

On entend déjà les commentateurs se gausser : « rien qu’on ne sache déjà ! », « a-t-on vraiment besoin d’une enquête pour ça ? » Et il est vrai que cinquante ans après la publication du livre fondateur de la sociologie de l’éducation française Les héritiers de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, l’information n’est pas vraiment neuve. Mais, on peut déjà s’étonner qu’après tout ce temps, elle soit toujours valable et vérifiée.

Qu’avons-nous fait collectivement pour que ça change ? Voilà une première question. Et le ton blasé et cynique avec lequel ces enquêtes sont reçues est aussi un objet d’analyse. « Que peut-on y faire ? », « ce n’est pas la faute de l’école » sont souvent des phrases qui viennent juste après les premières citées. La réaction est donc souvent empreinte d’une forme de fatalisme et de réflexe de défense.

Esprit de corps

En tant qu’enseignant « de base », je suis, comme tout le monde, énervé quand on dit que l’ « école ne fait pas son travail ». C’est un réflexe. Mais, avec un peu de recul, je me méfie de l’« esprit de corps » qui conduit à serrer les rangs et à devenir imperméable à la critique, même constructive.

On peut faire son travail du mieux que l’on peut dans un système qui dysfonctionne

Une des difficultés des réformes dans l’Education nationale, c’est que beaucoup d’enseignants prennent comme une attaque personnelle ce qui porte sur l’ensemble du système. Or, il faut le redire sans cesse, on peut faire son travail du mieux que l’on peut dans un système qui dysfonctionne. Et si, bien sûr, les inégalités sociales se forment ailleurs et entrent dans l’école, le système éducatif joue aussi un rôle dans le maintien voire le renforcement de celles-ci.

Des inégalités amplifiées par l’école

C’est ce que disent les auteurs de cette enquête lorsqu’ils comparent les résultats de la 6e à la 3: « Pour trois des cinq épreuves (traitement de phrases lacunaires, lecture silencieuse et raisonnement sur cartes à jouer), les élèves semblent progresser à un degré comparable, qu’ils soient d’origine sociale favorisée ou défavorisée. L’environnement culturel de l’élève ne semble pas non plus exercer une influence significative sur la progression des élèves. En revanche, on observe des écarts de progression significatifs selon la catégorie sociale du responsable de l’élève en mathématiques et en mémoire encyclopédique. Ici, le collège aurait donc tendance à accroître les inégalités sociales. »

Cela devrait nous interpeller à plus d’un titre. D’abord, parce que cela nous rappelle, s’il en était besoin, que notre système scolaire est un des plus inégalitaires, un de ceux où l’origine sociale joue le plus dans l’accès aux diplômes. Mais aussi parce que ces inégalités sont maintenues et pour certaines d’entre elles amplifiées par l’école. D’autres pays avec des inégalités sociales comparables n’ont pas une école aussi inégalitaire.

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Le collège, en dépit des évolutions et de la bonne volonté des enseignants, a gardé des façons de faire qui favorisent les élèves rapides, les élèves à l’aise

Dans l’étude plus longue dont est extraite la note d’information, les auteurs précisent que « les résultats suggèrent que les écarts sociaux auraient tendance à se creuser davantage pour des épreuves construites à partir d’un contenu strictement scolaire ». Pour le dire autrement, notre système scolaire, et notamment le collège, en dépit des évolutions et de la bonne volonté des enseignants, a gardé des façons de faire qui favorisent les élèves rapides, les élèves à l’aise, ceux qui comprennent bien les attentes de l’école et qui sont aidés à la maison. Il ne permet pas assez aux enfants des milieux populaires de trouver du sens à l’école, dans ses contenus et ses méthodes.

Que faire ?

Car la vraie question reposée par cette enquête (et en effet toutes celles qui ont précédé) c’est : qu’est-ce qu’on fait pour lutter contre cela ? Toutes les méthodes pédagogiques se valent-elles ?

Rendre les attentes et les évaluations plus explicites, faire en sorte que les apprentissages soient reliés à des questions vives, faire « alliance » avec les parents les plus éloignés de l’école sont autant de pistes pour donner plus de sens et de proximité avec la culture scolaire comme cela est suggéré par cette étude.

On peut évoquer aussi d’autres réfléxions. Marie-Aleth Grard, rapporteure d’un avis récent du Conseil économique, social et environnemental (Cese) « Une école de la réussite pour tous », affirme dans celui ci que « toutes les pédagogies ne se valent pas. Il y en a qui permettent une vraie réussite de tous », et elle cite en particulier la pédagogie de la coopération « qui doit être renforcée car elle permet à tous les enfants de se mettre en route, de développer l’estime de soi, une véritable envie d’apprendre et de comprendre ».

Dans un rapport mené conjointement, « Grande pauvreté et réussite scolaire », Jean-Paul Delahaye, de l’Inspection générale de l’Education nationale et ancien de la Direction générale de l’enseignement scolaire, rappelle quant à lui, que « l’échec scolaire des plus pauvres n’est pas un accident. Il est inhérent à un système qui a globalement conservé la structure et l’organisation adaptées à la mission qui lui a été assignée à l’origine : trier et sélectionner. »

Réflexion globale

C’est donc à une réflexion globale sur les méthodes mais aussi sur les finalités même du système éducatif qu’il faut se livrer. Et si on inscrivait explicitement la lutte contre les inégalités dans les missions des enseignants ? Et si on faisait de ce critère un instrument d’évaluation des enseignants et des établissements ?

Bien sûr aucun enseignant ne cherche explicitement l’échec de ses élèves ni à être un agent de la reproduction des inégalités. Et il ne faut pas non plus tout mettre sur le dos de l’école. Mais le risque inverse existe : celui de dédouaner le système éducatif de toute responsabilité et nécessité d’évolution avec un discours qu’on pourrait simplifier ainsi : « A quoi bon changer l’école puisque les inégalités se forment ailleurs. Changeons la société et, dans l’attente de ce grand soir, ne changeons rien à l’école... » Mais cette étude, comme d’autres, nous montre que le système éducatif a aussi sa responsabilité et doit aussi faire sa part. L’école et les enfants ne peuvent attendre.

A débattre ! L’école c’est l’affaire de tous !

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