Ecologie

Chocolat : quand la forêt et le climat dégustent

8 min

Les chocolats vendus à Noël sont issus d’une monoculture qui détruit la biodiversité tropicale et aggrave le réchauffement climatique. Et si le cacao « zéro déforestation » a le vent en poupe, gare au greenwashing !

En Côte d’Ivoire, environ 13 millions d’hectares de forêts ont disparu depuis les années 1960, soit 80 % à 90 % de leur surface initiale. Même chose au Ghana voisin. Principale cause de ce désastre : la monoculture du cacao, responsable d’au moins un tiers de la déforestation en Côte d’Ivoire, selon Mighty Earth, organisation de défense de l’environnement.

C’est à ce prix que ce pays s’est hissé en tête de la production mondiale de cacao, juste devant le Ghana. A eux deux, ils produisent près des deux tiers des 5 millions de tonnes de fèves de cacao vendues chaque année sur le marché mondial pour être transformées en poudre, pâte, beurre ou liqueur incorporés ensuite dans des douceurs sucrées… 

En Côte d’Ivoire, environ 13 millions d’hectares de forêts ont disparu depuis les années 1960, soit 80 % à 90 % de leur surface initiale. Même chose au Ghana voisin. Principale cause de ce désastre : la monoculture du cacao, responsable d’au moins un tiers de la déforestation en Côte d’Ivoire, selon Mighty Earth, organisation de défense de l’environnement.

C’est à ce prix que ce pays s’est hissé en tête de la production mondiale de cacao, juste devant le Ghana. A eux deux, ils produisent près des deux tiers des 5 millions de tonnes de fèves de cacao vendues chaque année sur le marché mondial pour être transformées en poudre, pâte, beurre ou liqueur incorporés ensuite dans des douceurs sucrées.

Monoculture intensive

Le cacaoyer, petit arbre venu d’Amérique latine, s’épanouit naturellement dans l’ombre humide de la forêt tropicale. Mais en Afrique de l’Ouest, où il a été introduit par les colonisateurs au XIXe siècle, des variétés hybrides à haut rendement, destinées à être cultivées en plein soleil, ont été promues par la recherche agronomique après la Seconde Guerre mondiale.

En Côte d’Ivoire, après l’indépendance, le mot d’ordre du président Félix Houphouët-Boigny, « la terre appartient à celui qui la met en valeur », a lancé un vaste mouvement de défrichage. S’il a profité à la monoculture d’exportation du cacao, c’est que celui-ci était en plein boom sur le marché mondial et rendu attractif par des prix régulés et rémunérateurs jusque dans les années 1980. Cette expansion s’est conjuguée à l’exploitation du bois des hautes forêts tropicales, accentuant la déforestation.

Depuis, les défrichages n’ont jamais cessé. En effet, ces cacaoyers hybrides cultivés au soleil, capables de produire une tonne de fèves à l’hectare, voire bien davantage, ne dépassent pas vingt ans d’âge en moyenne. Leur exploitation intensive les fragilise et détériore leur environnement.

L’extension des activités agricoles (cacao, pâturages pour le bétail, huile de palme, soja…) est responsable de 90 % de la déforestation mondiale

Attaqués par les mirides (punaises) et la pourriture brune (champignon), qui abîme les fruits, les cacaoyers sont particulièrement exposés au swollen shoot, un virus qui a décimé des exploitations entières. Face aux parasites, le recours aux insecticides et fongicides est de plus en plus intense et coûteux.

Dans ce contexte, « il est vite apparu plus facile de créer de nouvelles cacaoyères plutôt que de réhabiliter les anciennes », explique Patrick Jagoret, agronome au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

C’est ainsi qu’un « front pionnier » a progressé vers l’ouest de la Côte d’Ivoire et gagne désormais le Liberia, détruisant des pans entiers de la forêt tropicale, aux dépens de toute la faune et de la flore qu’elle abritait : des espèces emblématiques comme le chimpanzé, mais aussi, déplore Patrick Jagoret, la microfaune indispensable à la vie des sols et du milieu naturel. A terme, le risque est aussi de voir décliner les insectes pollinisateurs des cacaoyers.

A l’échelle mondiale, l’extension des activités agricoles (cacao, pâturages pour le bétail, huile de palme, soja…) est responsable de 90 % de la déforestation et de la dégradation des forêts, pour l’essentiel dans les zones tropicales, selon la FAO (l’Organi­sation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Ce processus de destruction est lui-même, indique le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), à l’origine de 11 % des émissions de gaz à effet de serre.

Le cacao durable, un mythe ?

Quant au changement climatique, auquel contribue la déforestation liée au cacao, il a déjà un impact majeur pour les planteurs. Depuis quelques années, les périodes de sécheresse se prolongent et diminuent les rendements des cacaoyers de plein soleil. Il arrive aussi que les intempéries soient plus brutales.

Entre mai et juillet derniers, des pluies diluviennes se sont abattues sur la Côte d’Ivoire, dégradant de nombreuses cacaoyères et favorisant la prolifération de la pourriture brune, au point que les prévisions de production ont chuté et que le pays a suspendu ses ventes en juillet.

Devant le péril qui menace des millions de petits producteurs d’Afrique de l’Ouest et l’économie de ces pays dépendants des exportations de cacao, le modèle agricole dominant est de plus en plus remis en question.

Le règlement européen contre la déforestation, préparé depuis quelques années et finalement entré en vigueur le 29 juin dernier, bouscule également la filière cacao, même si sa mise en œuvre sur le terrain promet d’être longue et complexe.

« Il y a désormais un consensus en faveur de l’agroforesterie en Côte d’Ivoire et au Ghana », estime Alain Karsenty, économiste au Cirad.

Signe manifeste que les mentalités changent, la FAO, en collaboration avec le ministère ivoirien de l’Environnement, a obtenu en 2020 du Fonds vert pour le climat le financement d’un programme de soutien à la production de cacao « zéro déforestation » en misant sur l’agroforesterie, qui consiste à associer culture et couvert boisé.

Affichant son ambition de restaurer 30 % des zones déboisées d’ici à 2030, l’Etat ivoirien porte notamment un projet d’« agroforêt » dans ses anciennes forêts classées, soit une superficie d’un demi-million d’hectares.

« L’objectif est de réserver 20 % de la surface aux producteurs de cacao et, sur les 80 % restants, d’attribuer des concessions d’environ quarante ans à des entreprises privées pour de la culture d’hévéa, de palmiers à huile ou de l’agriculture vivrière, et, en échange, de leur demander de reboiser ce territoire », explique Alain Karsenty, qui s’interroge sur les conditions de réalisation de ce programme confié au secteur privé.

Le marché du cacao, comme l’ensemble du secteur agricole, étant dominé par des multinationales agro­alimentaires, le risque de greenwashing n’est pas mince. L’agroforesterie pourrait limiter le nombre d’arbres forestiers au minimum, tout en maintenant une agri­culture intensive dopée aux produits phyto­sanitaires.

Le cacao durable pourrait alors n’être qu’un « mythe », comme s’en inquiète François Ruf, autre économiste du Cirad, qui doute également des promesses de replantation forestière des organismes de certification et des multinationales, sans que soient évalués les résultats sur le terrain. A quoi s’ajoutent des interrogations sur la crédibilité des futurs « crédits carbone » que pourraient générer les opérations de reforestation, faute de contrôle strict.

Evitant ces impasses, 19 coopératives de producteurs de cacao labellisées commerce équitable en Côte d’Ivoire, au Ghana et au Togo se sont engagées dans la transition agro­écologique. Elles misent sur des systèmes agroforestiers complexes : dans la forêt tropicale qu’ils laissent se régénérer, les agriculteurs associent arbres forestiers, cacaoyers et arbres fruitiers, de manière à créer de l’ombrage, densifier le milieu végétal et diversifier leurs activités.

Le tout en utilisant des composts performants pour stimuler la vie des sols, ainsi que des produits naturels contre les parasites qu’ils préparent eux-mêmes. Les résultats sont très positifs, selon Julie Stoll, déléguée générale du collectif Commerce équitable France, qui accompagne la démarche avec l’ONG Agronomes et vétérinaires sans frontières :

« Le taux de survie des plants de cacaoyers est de 95 % dès la première année et de même les deux années suivantes, alors qu’en monoculture de plein soleil, un tiers des plants meurt au bout d’un an sous l’effet de la sécheresse ou des maladies. »

Une transition limitée

Cette approche correspond du reste à l’expérience des cultivateurs. « Les paysans laissent grandir les arbres dans les cacaoyères car ils constatent que c’est bénéfique », note Patrick Jagoret, par ailleurs coordinateur du projet Cocoa4future, financé par l’Union européenne.

Lancé il y a deux ans, il vise à accompagner des cacaoyères de Côte d’Ivoire et du Ghana engagées notamment dans la mise en œuvre de systèmes agroforestiers complexes, et à étudier leur résilience face au changement climatique. La restauration de la forêt s’accompagne d’une diversification dans la production de fruits, noix de cola, avocats, agrumes, ou encore la culture de plantes médicinales.

Cet écosystème rend de multiples services :

« Non seulement l’ombrage est propice aux cacaoyers, mais quand les feuilles tombent et se décomposent, elles fertilisent les sols qui, enrichis de cet engrais naturel, sont plus performants et retiennent mieux l’eau. Et il y a nettement moins de mirides », détaille Patrick Jagoret.

Encore faut-il se prémunir du swollen shoot. « Le fait de créer une barrière végétale de caféiers et d’acacias qui, eux, absorbent sans en souffrir le virus transmis par les cochenilles, permet de protéger les cacaoyers, d’après des tests menés au Togo », se réjouit l’agronome.

Cependant, les prix sur le marché mondial du cacao sont trop faibles et instables pour permettre d’embarquer les millions de producteurs dans ce tournant agro­écologique.

« Ce commerce inéquitable les enferme dans une stratégie de court terme qui consiste à défricher pour accéder à de nouvelles terres fertiles », rappelle Julie Stoll.

Et le commerce équitable, qui permet de rémunérer des pratiques vertueuses, reste un commerce de niche parce que la plupart des acheteurs et transformateurs du cacao ne veulent pas le payer plus cher.

Comment sortir de la contradiction ? La solution, imaginée par Alain Karsenty, pourrait être la mise en place, dans les pays producteurs ou par l’Union européenne, d’un outil fiscal avantageant les acheteurs d’un cacao zéro déforestation (garanti par la traçabilité), payé à un prix plus rémunérateur aux producteurs, et pénalisant les autres, selon un mécanisme de bonus-malus, sans perte de recettes fiscales pour les Etats. En attendant, il est toujours possible de bien choisir son chocolat pour Noël.

Commentaires (1)
FRANCOIS 10/03/2024
Oui mais. Les dominants le voudront ils ? Non comme d'hab. Le profit court-termiste et l'hubris du pouvoir.....
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