Opinion

Que faudra-t-il pour que les keynésiens abandonnent ? Des arguments solides !

6 min
Christian Chavagneux Editorialiste

Avec son sens habituel de la provocation, Patrick Artus, l’économiste en chef de Natixis, vient de publier une petite note intitulée « Que faudra-t-il pour que les keynésiens abandonnent ? ». Suivent trois séries d’arguments, censés démontrer que la France est une économie où la demande ne peut plus jouer aucun rôle positif. Mais ils sont loin d’être convaincants.

L’argument du taux de chômage naturel

Premier argument, la France est proche du taux de chômage structurel, celui à partir duquel toute demande supplémentaire de main-d’œuvre n’aboutit pas, faute de gens formés, et se traduit par des hausses des salaires et des prix. Mettez plus de demande, nous dit Patrick Artus, et vous aurez plus d’inflation et pas moins de chômage.

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Le premier problème vient du fait que ce taux de chômage naturel n’existe pas dans la vraie vie. C’est une construction théorique des économistes. Récemment, Patrick Artus estimait ce taux de chômage naturel à 9 % (et la Commission européenne à plus de 9 %). Or, il vient de passer en France sous cette barre, sans le moindre signe d’inflation… Et pour l’économiste de l’OFCE Eric Heyer, il se situe en dessous de 7 %. Bref, il n’y a pas vraiment consensus des économistes sur le sujet.

Le taux de chômage structurel se situe-t-il à 9 % ? 6,5 % ? il n’y a pas de consensus des économistes sur le sujet

Même s’ils se battent sur le niveau de ce taux, il y a des signes qui ne trompent pas, argumente Patrick Artus. Par exemple, des entreprises rencontrent des difficultés d’embauche. C’est vrai. Mais c’est plutôt moins que dans les phases précédentes de reprise et c’est normal à ce moment du cycle des créations d’emplois. Le problème est réel mais surestimé.

Les entreprises répondent à l’Insee qu’elles rencontrent désormais plus de problèmes d’offre que de demande ? Encore vrai, mais l’écart entre celles rencontrant des problèmes d’offre et celles rencontrant des problèmes de demande est extrêmement faible (voir page 67 de la dernière note de conjoncture).

Les problèmes d’embauche ? Réels mais surestimés

Les salaires par tête augmentent ? Toujours vrai. Mais la hausse a démarré bien avant d’arriver au soi-disant taux de chômage naturel. Et contrairement à ce que croit la majorité des économistes, les salaires, au niveau macroéconomique, ne sont pas le résultat de la confrontation de l’offre et de la demande sur le marché du travail, mais ils sont le produit des institutions de régulation sociale : salaire minimum, conventions collectives… Si bien que le lien entre taux de chômage et variations des salaires est loin d’être une évidence.

L’austérité par les dépenses a peu d’effet

Deuxième argument avancé par Patrick Artus : baisser les dépenses publiques a peu d’effet négatif sur la croissance, en tout cas beaucoup moins qu’une hausse des impôts.

Deuxième problème : cela ne change rien au fait qu’une politique d’austérité budgétaire réduit la croissance. C’est même pour cela qu’on la mène ! Et baisser la dépense publique d’en gros 3 points de produit intérieur brut (PIB), comme l’indique le projet de loi de Finances, aura forcément, « toutes choses égales par ailleurs » comme disent les économistes, des effets négatifs sur l’activité (et sur la qualité des services publics, mais c’est une autre histoire). Ce n’est pas être keynésien ou libéral que le dire : c’est de la pure et simple arithmétique !

Les taux d’intérêt ne vont pas rester bas éternellement

Dernier argument, enfin : il faut absolument réduire la dette publique le plus vite possible parce que, ma p’tite dame, faut pas croire que les taux d’intérêt vont rester bas toute votre vie !

Pourquoi les taux remonteraient-ils vite et beaucoup ?

Certes, les taux d’intérêt sont amenés à remonter dans les années qui viennent, c’est indéniable. Mais pourquoi remonteraient-ils vite et beaucoup ? Si la Banque centrale européenne (BCE) s’achemine vers la fin de son quantitative easing, elle a bien indiqué qu’elle mettrait du temps avant de remonter son taux directeur. Quand les taux remonteront, il faudra plusieurs années avant qu’ils ne jouent sur le taux moyen, tant la France a emprunté peu cher ces dernières années. Et l’abondance du stock de liquidité mondiale va contribuer à contenir les taux d’intérêt à long terme comme l’explique par ailleurs Patrick Artus lui-même.

Enfin, la baisse des taux d’intérêt auxquels la France emprunte ne date pas de ces dernières années et de la politique de la BCE, elle est bien plus ancienne. Tous les grands pays ont bénéficié d’une baisse de leur coût d’endettement.

Pour certains économistes comme Lawrence Summers, Paul Krugman et d’autres, ils devraient rester structurellement bas pendant longtemps, car le monde souffre d’un excès d’épargne sur l’investissement. Au niveau mondial, les entreprises investissent moins qu’hier, les Etats aussi. Et si l’on en croit l’hypothèse de la stagnation séculaire, autrement dit que nous serions entrés dans une longue période de faibles investissements et de faibles gains de productivité, cette insuffisance de l’investissement par rapport à l’épargne disponible devrait se maintenir encore longtemps. La France est-elle victime de ce schéma ? Assurément oui, si l’on en croit les arguments détaillés dans un livre entier par… Patrick Artus !

Il paraît vraiment difficile de continuer à défendre que les thèses keynésiennes ne méritent pas le moindre débat en France. Pour cela, il faudrait des arguments un peu plus solides !

Commentaires (5)
Thierry 19/05/2018
Pour exprimer à Bernard qu'il n'inscrit aucun argument en faux contre le propos de Christian et lui rappeler que tant qu'on n'a pas une modification de la constitution légalisant la ploutocratie qu'on nous a imposée sournoisement, le droit reste celui de la démocratie, donc du gouvernement par le peuple pour le peuple donc celui de l'intérêt général donc de la logique bisounours dont je me réclame. L'économie doit être encadrée par le politique et au service du peuple. Cela fait mal ....:o).
Thierry 19/05/2018
Toujours cet éternel pb de comprendre qu'en comptabilité nationale les investissements sont compris dans le déficit, parce qu'il n'y a pas de notion d'amortissement. Ce qui rend le principe du déficit budgétaire opaque parce qu'on ne sait pas ce qu'il recouvre. Par contre il est bien pratique en limitant ce déficit, de limiter de fait l'investissement et d'amener ainsi les états à recourir aux juteux PPP, récemment dénoncés par la cour des comptes européenne ...
Bernard GARRIGUES 03/03/2018
Faudrait peut-être (1) commencer à raisonner en droits de tirage sans limite du dernier centile sur la VAB créée par tous ; (2) abandonner la logique (bisounours) d'un économie animée par l'intérêt général ou l'intérêt public ... cela fait mal, mais établit clairement la ligne de front.
YVES 25/02/2018
Si les 3% de baisse du déficit budgétaire sont remplacés par 3% d'investissement dans des activités qui n'existaient pas avant, le déficit n'aura aucun impact global sur le PIB. Ceux qui perdre leur emploi devront être prêt à prendre le jobs, donc travailler dans des métiers inconnus pour eux. Pas sur que les entreprises ENR (activités nouvelles) acceptent les fonctionnaires (activités en perte de vitesse). Keynes c'est bien mais à adapter à la situation actuelle.
Bernard GARRIGUES 23/02/2018
Il existe cependant un taux d'activité naturel corrélé avec la productivité globale du pays. Le chômage est corrélé négativement au taux d'actifs non salariés et positivement au nombre d'équivalents temps plein. Quant au nombre d'équivalents temps temps plein, il est corrélé positivement à la population totale, en fonction de la durée du travail. Il n'en reste pas moins que le taux d'actifs non employée est une quasi constante depuis l'origine des stats environ 30% des actifs BIT
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