Opinion

Peut-on financer la souveraineté européenne par la dette internationale ?

4 min
Christian Chavagneux Editorialiste

« Les années 2024-2025 seront celles où l’Europe sera souveraine ou non », a déclaré le président de la République au sommet de Davos le 17 janvier dernier. Il a alors proposé deux outils pour bâtir cette souveraineté. D’un côté, approfondir l’union des marchés de capitaux en Europe pour que l’épargne privée finance les projets de renouveau industriel partout sur le continent. De l’autre, « il faut peut-être à nouveau oser les eurobonds », c’est-à-dire financer cette fois les nouveaux projets par de l’argent public, emprunté au niveau européen.

L’union des marchés de capitaux est un serpent de mer européen qui s’apparente souvent au rêve d’un trésor caché à portée de mains mais qui reste inaccessible faute d’une libéralisation insuffisante de la finance européenne.

Il est vrai que, selon les dernières données de la Banque centrale européenne, « sur la période de douze mois s’achevant en novembre 2023, le compte des transactions courantes a enregistré un excédent de 231 milliards d’euros », soit 1,6 % du PIB de la zone euro, ce qui ne serait pas négligeable si cette épargne restait entièrement en Europe. Et puis, les investisseurs financiers internationaux pourraient être tentés de venir davantage sur le continent si les capitaux pouvaient y circuler encore plus facilement.

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Mais en est-on si sûr ? La libéralisation financière permet déjà aux créanciers internationaux d’investir à peu près où bon leur semble. L’impératif de diversification des placements, l’habitus national et les perspectives faiblardes d’une Europe dépassée technologiquement par les Etats-Unis et la Chine, ne donnent pas au continent un grand avantage dans la concurrence mondiale pour l’épargne et il n’est pas certain qu’une union des marchés de capitaux change fondamentalement la donne.

Gageons plutôt que dans cette course, le chef de l’Etat, qui mène une politique pro-riches et pro-business, pense que la France serait susceptible d’attirer plus que les autres l’épargne européenne et mondiale. De quoi nous faire avancer vers un modèle de financement de l’économie dans lequel les banques joueraient un moindre rôle direct au profit des marchés financiers.

Dépendance aux créanciers internationaux

Si cette hypothèse devait se préciser, il est clair que l’Elysée assume le fait que la souveraineté économique européenne doive en passer par plus de dettes et donc par une plus grande dépendance aux créanciers internationaux.

Une position d’autant plus assumée que le Président propose qu’une partie de cet endettement se fasse au niveau européen, afin de permettre à chaque pays de ne pas trop alourdir sa dette publique.

Certes, dans l’usine à gaz alambiquée que représentent les nouvelles règles budgétaires européennes, les dépenses financées sur fonds européens n’entrent pas dans le calcul des dépenses publiques. Mais le nouveau cadre budgétaire paraît suffisamment complexe pour que les pays qui en ont l’envie ou la nécessité puissent ne pas avoir à engager des politiques drastiques d’austérité imposées par l’Europe. Qu’ils veuillent utiliser les règles pour tailler dans leurs dépenses est une autre question.

Les déclarations du président de la République posent un débat de fond : comment financer les investissements massifs dont l’Europe a besoin pour éviter d’être encore plus larguée industriellement qu’elle ne l’est aujourd’hui par les Etats-Unis et la Chine ? Sa réponse : en s’endettant plus auprès des créanciers internationaux et en faisant porter une partie de l’endettement supplémentaire par l’Union pour la partie publique.

La façon dont l’entreprise suédoise de batteries électriques Northvolt vient de financer l’importante extension de sa capacité de production montre que le sujet est un peu plus compliqué que cela : après avoir obtenu de l’argent auprès de capital-risqueurs en 2023, l’entreprise vient de lever 5 milliards auprès d’un pool de 23 banques internationales auxquelles se sont joints des financements publics de la Banque européenne d’investissement de pratiquement 1 milliard, une part conséquente.

Il s’agit donc en réalité d’un mélange d’argent public et privé, de banques et de marché. Mais l’orientation générale proposée par le Président est bien là : c’est par la dette que cette industrialisation verte a été financée.

Commentaires (1)
VERSON THIERRY 23/01/2024
La dette oui, mais ce n'est pas une raison pour oublier d'imposer les gains. Par ailleurs, l'argent public ne devrait pas aider à financer des entreprises privées autrement qu'au capital. Les subventions et allègements, non !
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