Opinion

Pourquoi une telle agitation bancaire ?

6 min
Christian Chavagneux Editorialiste

Les deux foyers de crise bancaire de ces dernières semaines, aux Etats-Unis et en Suisse, ont beau avoir été éteints par l’intervention publique, ils continuent de rendre les marchés financiers nerveux. Deutsche Bank a été bousculée avant un retour au calme. Comment peut-on expliquer cette agitation récurrente ?

Pour certains, c’est la faute à la mauvaise régulation des banques mise en œuvre après la crise des subprimes. Il est illusoire de penser que n’importe quel système de régulation et de supervision peut nous préserver de toute forme de crise bancaire.

Les Etats-Unis de Roosevelt ont donné le « la » d’un contrôle des banques très efficace, copié ensuite par de nombreux autres pays, en particulier en Europe. Les crises bancaires et financières internationales ont alors pratiquement été réduites à zéro mais n’ont jamais disparu pour autant.

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Aux Etats-Unis mêmes, entre 1945 et 1970, près de 80 établissements de crédit ont fait faillite, sans conséquences particulières. Aucune règlementation n’assure un zéro faute. Avant de jeter la régulation post-crise des subprimes par-dessus bord, on peut noter que depuis 2008, c’est la première fois en quinze ans qu’un début de panique se produit et il semble, au moins à ce stade, maîtrisé, même si plusieurs petites banques américaines sont encore secouées et que, encore une fois, les créanciers internationaux restent nerveux.

En parlant des petites banques, la faillite de la Silicon Valley Bank a montré que les difficultés rencontrées par des établissements a priori peu importants pouvaient susciter des craintes systémiques. Il est tentant d’en déduire que toutes les banques sont systémiques mais est-ce vraiment le cas ?

Les soubresauts de la bourse ne sont pas équivalents à une crise bancaire, avec arrêt des crédits à l’économie, perte de confiance entre acteurs de la finance et effondrement généralisé. On a connu une agitation liée à la faillite de SVB, pas un début de crise généralisée.

Mais pourquoi investir dans une banque ?

Tout cela ne revient pas à dire que la régulation bancaire post 2008 est idéale. D’une part, parce qu’elle aurait pu demander aux banques de détenir plus de capital, c’est la garantie ultime. Et d’autre part, parce qu’elle n’est même pas entièrement en place 15 ans après la crise !

Comme le souligne Thierry Philipponnat de l’ONG Finance Watch, les règles de Bâle III ne s’appliquent pas aux petites et moyennes banques américaines et, on le sait peu, le Parlement européen a malheureusement choisi de réduire la portée des règles qui doivent bientôt entrer en vigueur sur le continent. Une erreur que nous paieront tôt ou tard.

Pour disposer de banques moins risquées, il faudrait donc leur imposer de se financer avec plus de capital. A cet égard, Robert Armstrong et Ethan Wu, chroniqueurs marchés du Financial Times, ont levé un lièvre intéressant à partir d’une question assez provocante : franchement, qui a envie d’investir dans une banque ?

En économie, quand un concurrent fait une grosse bêtise, ça vous profite. Chez les banques, c’est l’inverse !

Ce sont des entreprises à fort effet de levier : elles ont peu de capital pour couvrir les variations de la valeur de leurs actifs, un risque important. Même une banque solvable peut être victime d’une fuite de ses clients, ce qui n’arrive pas dans les autres secteurs.

En économie, quand un concurrent fait une grosse bêtise, ça vous profite. Chez les banques, c’est l’inverse ! Les bêtises des autres sont dangereuses pour vous. Il y a aussi des crises récurrentes. Et face à tous ces risques particuliers, les rendements de fonds propres sont plutôt inférieurs à ce que l’on trouve dans les autres secteurs.

Si l’on ajoute à tout cela que le business des banques est très technique et pas toujours facile à comprendre même pour les initiés, on explique pourquoi les actions des banques sont généralement moins chères que celles des grandes entreprises des autres secteurs.

En dépit de tout cela, qui a effectivement de quoi rendre les investisseurs dans les banques assez sensibles, celles-ci arrivent à trouver des actionnaires. Comment font-elles ? Peut-être que, en regardant le rapport annuel de la société de gestion Janus Henderson qui suit de près les distributions de dividendes des 1 200 entreprises à la plus forte capitalisation boursière, on a un élément de réponse : avec 192,3 milliards de dollars distribués l’an dernier, les banques sont les premières distributrices, devant même les producteurs de pétrole et de gaz qui ont connu une année 2022 exceptionnelle (151,8 milliards de dividendes versés). Tout cela explique peut-être la nervosité des actionnaires des banques : ils savent que l’investissement est risqué, qu’il rapporte du cash tant que ça va mais qu’il faut fuir au moindre signe de difficultés.

Pour une régulation vivante

On se retrouve donc dans une situation paradoxale : une banque avec plus de capital est moins risquée mais, d’une part, elle reste opaque et ouverte aux contagions ce qui refroidit les actionnaires, et, d’autre part, il faudrait alors qu’elle renforce son capital avec ses bénéfices. Mais si elle ne distribue pas de gros dividendes, elle aura encore plus de mal à trouver des actionnaires !

La résolution de ce paradoxe passe par le travail sur de nouvelles règles : contrairement à ce qu’ont fait les autorités suisses en faisant racheter Credit Suisse par UBS, il faut des banques moins grosses, elles seront moins risquées et chacune mobilisera plus facilement du capital que les gros mastodontes, car l’objectif doit rester d’avoir des banques qui se financent plus avec du capital ; les activités doivent devenir moins opaques, ce qui signifie que, comme l’avait fait le président Roosevelt, les produits financiers très spéculatifs doivent être bannis ; les superviseurs doivent être beaucoup plus impliqués dans la surveillance du contrôle interne des banques, qui a failli, chez SVB et Credit Suisse, comme dans toutes les crises bancaires.

Les banques contrôlent ce bien commun qu’est le crédit. C’est pourquoi on ne peut leur laisser faire n’importe quoi. Il faut – enfin ! – terminer la mise en application de Bâle III et engager de nouveaux chantiers. La réglementation bancaire ne peut être un espace figé jusqu’à la prochaine crise !

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Commentaires (2)
Rébénacq 29/03/2023
On peut aussi se rappeler que la Deutsche Bank, une des principale banque allemande, était au bord de la faillite il y a quelques mois. On peut penser que en dépit des dénégations du Ministre allemand des finances, elle a été discrétement sauvée par celui-ci.
MICHELE 28/03/2023
Bonjour et merci de cet article qui apporte un point de vue original et éclairant !
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