Opinion

Développement : après l’industrie, les services ?

4 min
Gilles Raveaud Maître de conférences à l’Institut d’études européennes (Paris 8 - Saint-Denis)

 

Le déroulement de la révolution industrielle ainsi que, plus récemment, la croissance de l’économie chinoise ont conduit à penser que le décollage de l’industrie était la condition sine qua non du développement. Mais la trajectoire récente des pays émergents incite à mettre en avant le rôle des services.

Les pays « à la frontière » : un développement équilibré

 

Selon Min Zhu (FMI), la trajectoire des pays pauvres à forte croissance se distingue de celles de la Chine au cours des deux dernières décennies ou des Etats-Unis il y a de cela un siècle. En effet, ces économies, comme par exemple le Bangladesh, la Tanzanie ou le Mozambique, ont pour caractéristique de développer l’ensemble de leurs secteurs simultanément, et non pas le seul secteur industriel.

Pour Zhu, le succès de ces pays s’explique par des politiques économiques stables, des investissements et des exportations élevés, de forts gains de productivité et un accès au marché des capitaux. De plus, plusieurs facteurs favorables devraient aider ces pays à l’avenir, tels qu’une main-d’œuvre jeune, le développement d’une classe moyenne prête à dépenser et l’insertion dans l’économie mondiale.

« Les économies à la frontière » devraient diversifier leur production et améliorer la qualité de leurs produits

En revanche, le rôle des ressources naturelles est ambivalent : si elles constituent un atout indéniable, elles sont aussi source de vulnérabilité dans le cas où leurs prix viendraient à chuter sur les marchés mondiaux. De même, leurs émissions récentes de dette publique les rendent vulnérables aux décisions des investisseurs internationaux.

Pour faire face à ces dangers, les économies « à la frontière » devraient notamment, selon Zhu, diversifier leur production et améliorer la qualité de leurs produits, afin de devenir plus résilientes aux chocs externes. Il faut également qu’elles améliorent la gestion de leurs finances publiques.

Les services, remplaçants de l’industrie ?

Cette évolution dans laquelle l’industrie n’est plus le principal moteur de la croissance a conduit Dani Rodrik (Princeton) à s’interroger sur la possibilité de fonder le développement sur les services.

En effet, explique Rodrik, l’industrie exige aujourd’hui beaucoup plus de capital et de compétences, et emploie moins de main-d’œuvre. De plus, les chaînes globales de valeur réduisent la valeur ajoutée industrielle qu’il est possible de dégager sur le territoire national, tandis que la concurrence de la Chine rend difficile l’insertion dans l’économie globale de nombreux pays. De ce fait, les services contribuent déjà à la plus grande part du PIB des pays émergents, même dans les pays à faible revenu où l’agriculture a toujours joué un grand rôle, un phénomène que Rodrik a qualifié de « désindustrialisation prématurée ».

La plupart des personnes travaillent dans des activités de services à très faible productivité

Pour autant, Rodrik ne croit pas que les services puissent devenir la nouvelle locomotive des pays en voie de développement. Tout d’abord, parce que les services à forte valeur ajoutée tels que la banque, la finance ou les services aux entreprises exigent des compétences rares et emploient peu de main-d’œuvre.

Ensuite, parce que, explique Rodrik, la plupart des personnes travaillent dans des activités de services à très faible productivité, tels que le commerce de détail et les travaux ménagers. Or, ces activités ne peuvent être des sources de croissance, car les éventuels gains de productivité qui y sont réalisés se traduisent en baisse des prix, ce qui les empêche de dégager des profits à même de permettre leur développement.

Au total, estime Rodrik, les services ne pourront servir de relais de croissance pour les pays émergents. Il semble donc que l’industrie demeure la voie royale – à condition de produire des biens de qualité suffisante afin de ne pas être soumis aux soubresauts de l’économie mondiale.

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