Combler le trou de la sécu, pour quel projet ?
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La ministre des Affaires sociales et de la Santé n’a pas boudé son plaisir. Le gouvernement a réussi à boucher le « trou de la Sécu ». Le déficit du régime général de la Sécurité sociale était de 17 milliards d’euros en 2001, il sera de 3 milliards en 20161.
Ne mégotons pas, c’est très bien.
En matière de sécurité sociale, il y a trois moyens de boucher
un « trou »
Mais au-delà de ces travaux de terrassement, utiles certes, que peut-on attendre d’un métier de ministre ? Qu’il ou elle réponde à deux questions : comment boucher ce trou et pour quel projet ? Car en la matière, il y a trois moyens de le combler.
1) Renvoyer une dépense sur un autre financeur
La protection sociale, c’est une multitude de caisses et de régimes. Le régime général et ses quatre caisses nationales pour la vieillesse, la maladie, la famille et les accidents du travail ; le régime de la sécurité sociale des agriculteurs, et celui des indépendants ; la retraite et les prestations familiales des fonctionnaires ; l’action sociale de l’Etat et des collectivités locales (Fonds de solidarité vieillesse, CMU, RSA…) ; l’assurance chômage ; les couvertures sociales complémentaires.
Entre les différentes caisses et régimes de la protection sociale, l’histoire a multiplié les transferts et les compensations
Entre ces différentes caisses et régimes, l’histoire a multiplié les transferts et les compensations. Et, pour arranger encore les choses, ceux-ci ne sont pas stables dans le temps : ils peuvent changer d’une année sur l’autre. En voici quelques exemples.
Le recul de l’âge de la retraite diminue les dépenses de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) du régime général ; ça bouche le « trou ». Mais si les salariés âgés qui attendent de toucher leur retraite restent au chômage, cela augmente les dépenses de l’assurance chômage. Il y a eu transfert d’une dépense d’un régime social à un autre régime social.
Autre exemple : le recul de la prise en charge par l’assurance maladie de base fait diminuer les dépenses de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) : ça bouche le trou. Mais si les dépenses sont alors prises en charge par les complémentaires santé, il y a transfert d’une dépense d’un régime social solidaire à un régime social au financement non solidaire. C’est ce qu’on appelle la privatisation des dépenses de santé.
2) Diminuer les prestations
L’exemple le plus connu consiste à ne plus indexer les retraites sur les salaires des actifs mais sur les prix. En matière de retraites, la « désindexation » peut rapporter plusieurs milliards.
Mais il y a aussi des mesures plus discrètes : le report des dates de revalorisation (du 1er avril au 1er octobre, puis au 1er décembre...).
Prendre une mesure d’économie répartie sur beaucoup de monde et afficher une mesure ciblée sur les plus pauvres
Plus subtil, et c’est ce qui se passe depuis plusieurs années pour les prestations familiales : il y a eu une multitude de petites mesures. Prendre une mesure d’économie répartie sur beaucoup de monde2, et donc pas trop douloureuse, et afficher une mesure ciblée sur les plus pauvres. On affiche plus de solidarité et on diminue le caractère universel des prestations.
3) Réduire les coûts
Donner toute leur place aux médicaments génériques, moins chers que les médicaments de marque, et donc s’attaquer (un peu) aux profits de l’industrie pharmaceutique ne pose pas de grosses questions.
C’est plus compliqué quand il s’agit de la réduction des coûts hospitaliers. Ne pas revaloriser les salaires des soignants hospitaliers, soumettre le financement de l’hôpital à des systèmes de tarification rigides et discutables, voilà sans doute un moyen de réduire les coûts. Mais avec quelles répercussions sur les conditions de travail des soignants, et donc sur la qualité2 du soin ?
Organiser une réduction du personnel dans les organismes de sécurité sociale est aussi un moyen de réduire les coûts. A partir de quel moment ces suppressions de postes ne deviennent-elles pas un problème pour l’accueil de personnes, et donc pour l’accès aux droits3 ?
Qui maîtrise et qui connaît l’univers opaque des transferts financiers entre régimes ? C’est une vraie question démocratique
Ce qui serait évidemment très intéressant, c’est de chiffrer tout cela. De répondre de façon précise à la question « qui a payé le prix de la réduction du trou » ?
On saurait alors comment il a été comblé. Parce qu’il y a ici une vraie question démocratique. Qui maîtrise et qui connaît l’univers opaque des transferts financiers entre régimes ? Qui veille à un certain équilibre entre les différentes mesures prises ? Quelle cohérence y-a-t-il entre le ticket modérateur, le forfait hospitalier, les franchises médicales ?
Combler le trou, c’est bien. Savoir comment on l’a fait, c’est mieux. Et une fois que l’on sait comment, soumettre ce savoir à une délibération publique serait encore mieux.
Quel est le projet ?
Il y a, me semble-t-il, au moins quatre questions centrales posées à la protection sociale.1) Quel accès à l’emploi pour les salariés âgés ?
Si reculer l’âge de la retraite, c’est multiplier le nombre des chômeurs âgés, où est le gain social ?2) Quel est le lien entre retraite et héritage ?
Les retraites ont été mises en place pour assurer un revenu aux personnes âgées qui n’avaient pas de patrimoine. Heureusement, elles ont été étendues à l’ensemble des salariés. La retraite d’un cadre lui permet de ne pas toucher à son patrimoine. Ses enfants hériteront d’un patrimoine (individuel) préservé grâce au mécanisme (collectif) de la retraite.Les retraites ont été mises en place pour assurer un revenu aux personnes âgées qui n’avaient pas de patrimoine
Avec la dépendance, la question se complexifie : les héritiers bénéficieront d’un héritage non écorné si leurs parents ont eu la décence de mourir avant d’être dépendants. Si la dépendance dure, le niveau des retraites diminuant, il faudra prendre sur le patrimoine pour financer.
3) Comment réduire les inégalités face à la santé ?
De ce point de vue, les chiffres sont stables. L’espérance de vie d’un cadre est supérieure de sept ans à celle d’un ouvrier, et cela pour toutes les maladies. Plus on descend dans l’échelle sociale, plus les maladies apparaissent tôt, plus elles prennent des formes aiguës, plus elles génèrent de handicap et de décès. Nous avons socialisé la dépense de santé, sans doute pas suffisamment mais très fortement. Quand utiliserons-nous cette socialisation de la dépense pour passer à une réduction des inégalités face à la santé ?4) Comment sortir les familles monoparentales de la pauvreté ?
Nous affirmons hautement le principe de l’égalité hommes/femmes. La société a renoncé, et c’est une très bonne nouvelle, à imposer une forme unique de vie familiale.Comment transformer nos politiques familiales en agissant aussi sur l’accès à l’emploi des mères de famille monoparentale ?
Reste que 26 % des enfants élevés par un parent seul, très souvent une femme, vivent dans des familles pauvres, alors que ce taux passe à 6 % pour les enfants élevés par deux parents. Comment transformer nos politiques familiales pour remédier à ce problème, en agissant aussi sur l’accès à l’emploi des mères de famille monoparentale et sur le niveau de salaires des femmes ?
Car la protection sociale n’est pas qu’une affaire de trou. C’est aussi une affaire de projet. Madame la ministre, le travail de terrassement est fait. Et ce n’était sans doute pas simple. Si on passait au travail politique ?
Pierre Volovitch est économiste, ancien chercheur de l’Ires.
- 1. En se rappelant que le trou/solde est toujours resté relativement faible au regard du total des dépenses. 17 milliards de déficit en 2011 pour plus de 380 milliards de dépenses.
- 2. a. b. Exemples : modulation des allocations familiales en fonction des revenus ou diminution du complément du libre choix d’activité pour les familles qui se situent au-dessus du plafond de l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE).
- 3. On mesure trop mal la question du « non-recours » aux droits, qui touche principalement les catégories sociales défavorisées. Mais on sait qu’il existe, et qu’il peut-être très important.
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