Nuages sur l’économie mondiale : le syndrome du miroir brisé tous les 7 ans
La crise des réfugiés occulte au regard des Européens l’accumulation de nuages dans le ciel de l’économie mondiale. Reléguant dans l’ombre le lundi noir chinois du 24 août, ou la crise brésilienne, qui ne sont que les signes les plus visibles d’un ébranlement des pays émergents qui pourrait à nouveau se transformer en crise mondiale. D’où d’ailleurs, la décision de la FED américaine le 17 septembre de reculer la hausse pourtant inéluctable de ses taux d’intérêt. Oui, les Européens feraient bien de consacrer aussi du temps à réfléchir à leur place dans une économie mondiale qui va de crise en crise, au rythme d’environ une tous les sept ans.
Les Européens feraient bien de consacrer aussi du temps à réfléchir à leur place dans une économie mondiale qui va de crise en crise
À force d’être des acteurs passifs entre une Amérique triomphante et une Asie montante, ils subissent les soubresauts de chaque crise et s’enfoncent toujours un peu plus dans ce qui devient une vraie stagnation séculaire. On en connaît le coût économique, social et enfin politique: la demande croissante de protection, la haine de l’autre, l’Europe comme bouc émissaire, et la montée d’un pseudo souverainisme, nouvel avatar du nationalisme exacerbé.
Trois lignes de faille
Car que se passe-t-il finalement ? Loin d’être seulement un problème chinois, ou brésilien, ou encore grec ou même allemand, les tremblements actuels nous ramènent aux fameuses lignes de faille dont l’économiste indien Raghuram Rajan a fait le coeur de son ouvrage de 2010 pour expliquer la grande crise de 2008, mais aussi toutes celles depuis la mondialisation financière post-19711 (1).
À défaut de sortir du capitalisme dominant, évitons au moins le repli sur soi qui pourrait provoquer des crises encore plus graves
La première série est de type politique et concerne la montée fantastique des inégalités, celle que décrit Piketty, mais que Rajan prolonge dans ses mécaniques infernales: comment les gouvernements les compensent par des fuites en avant financières, soit le crédit immobilier aux États-Unis, soit les dettes publiques de l’État-providence en Europe, soit la croissance à tout prix dans les régimes autoritaires.
La deuxième série de lignes de faille vient du choix également politique de pays qui ont fait de l’exportation le moteur de leur croissance. Tombés dans une véritable dépendance, ils ont de très grandes difficultés structurelles à se rééquilibrer en faveur de leur marché intérieur. Il s’agit du Japon ou de la Corée, mais aussi de l’Allemagne et enfin et surtout de la Chine actuellement. Dans ce pays, la part de la consommation privée est tombée au tiers du PIB. Avec un parti autoritaire à la tête et de puissants lobbies dans les entreprises publiques et les banques, les réformes apparaissent quasiment impossibles. Or la Chine est désormais la 1ere ou la 2e économie mondiale selon le taux de change utilisé.
C’est ici qu’intervient la troisième ligne de faille : le télescopage entre différents types de systèmes financiers abreuvés de dettes et donc de liquidités massives résultant des deux premières lignes de faille. D’un côté un modèle anglo-saxon officiellement transparent mais amoral, voire immoral. À l’autre extrême, des modèles de collusion Etats-banques-entreprises, ou encore des systèmes financiers sous-développés offrant toutes les opportunités possibles d’arbitrage aux banquiers rapaces (mais trop facilement pris comme seuls bouc-émissaires). Bref, les déséquilibres politiques ou économiques du monde ne peuvent que conduire à des crises financières régulières aux conséquences de plus en plus systémiques.
La "mondialisation modérée"
Que faire alors ?
Le concept de « mondialisation modérée » : voilà ce qui pourrait être la tâche des Européens
- 1. Fault Lines: How Hidden Fractures Still Threaten the World Economy, Princeton University Press (traduction française hélas assez désastreuse aux éditions Le Pommier sous le titre « Crise: au-delà de l’économie »)