Culture

La crise de 1929, un thème littéraire fécond

6 min

Trust, qui vient de paraître, donne à voir la crise de 1929 à travers le prisme d’un magnat de la finance, alors que la plupart des romans sur le sujet se sont plutôt focalisés sur ses ravages au sein des classes populaires.

L’histoire se répète toujours deux fois : la première comme une tragédie, la seconde comme une farce. Le fameux aphorisme de Karl Marx semble avoir été forgé pour les crises financières. On a ainsi beaucoup comparé la crise des subprime qui a éclaté à l’été 2007 avec le krach d’octobre 1929 à la Bourse de New York et la Grande Dépression qui l’a suivi.

Force est de reconnaître que les potions libérales actuelles ont l’air de douces plaisanteries à côté du New Deal. Mais d’aucuns s’inquiètent des conséquences sociopolitiques beaucoup plus sérieuses de la crise des subprime, encore persistantes. Et comme souvent un détour par le passé et par la fiction peut s’avérer fort utile pour mieux comprendre ce qui nous arrive, entre la résurgence des inégalités et celle des droites extrêmes.

Un bon roman vaut souvent mieux qu’un manuel d’histoire...

L’histoire se répète toujours deux fois : la première comme une tragédie, la seconde comme une farce. Le fameux aphorisme de Karl Marx semble avoir été forgé pour les crises financières. On a ainsi beaucoup comparé la crise des subprime qui a éclaté à l’été 2007 avec le krach d’octobre 1929 à la Bourse de New York et la Grande Dépression qui l’a suivi.

Force est de reconnaître que les potions libérales actuelles ont l’air de douces plaisanteries à côté du New Deal. Mais d’aucuns s’inquiètent des conséquences sociopolitiques beaucoup plus sérieuses de la crise des subprime, encore persistantes. Et comme souvent un détour par le passé et par la fiction peut s’avérer fort utile pour mieux comprendre ce qui nous arrive, entre la résurgence des inégalités et celle des droites extrêmes.

Un bon roman vaut souvent mieux qu’un manuel d’histoire trop surplombant. C’est ce que nous rappelle avec maestria Hernan Diaz, dans l’un des meilleurs romans de la rentrée littéraire. Colauréat du prix Pulitzer 2023, Trust (Editions de l’Olivier) semble confirmer un regain d’intérêt romanesque pour la figure des spéculateurs – on peut penser à La fortune de Sila (2010) de Fabrice Humbert, aux Frères Lehman (2020) de Stefano Massini ou encore à Oligarque (2022) d’Elena Morozov –, plus d’un siècle après l’œuvre pionnière de Frank Norris, Le gouffre (1903), qui pointait la présence, déjà, de ces derniers sur les marchés des matières premières agricoles.

Trust propose ainsi le récit à tiroirs de la vie d’un magnat de la finance à New York qui bâtit sa fortune en arbitrant sur le délai entre le passage et la saisie des ordres de Bourse – un précurseur du trading à haute fréquence en quelque sorte. Ce héros des temps modernes, espèce d’incarnation des forces du marché, parvient à passer entre les gouttes et les doutes de la crise de 1929, mais perd sa femme des suites d’une longue maladie.

« Le marché a toujours raison »

Outre une construction très habile qui prend les lecteurs à revers à plusieurs reprises et place ainsi en son cœur la notion de confiance qui lui donne son titre, le roman explore bien l’ambiguïté d’un capitalisme financier triomphant, hier comme aujourd’hui. « La plupart d’entre nous préfèrent croire que nous sommes les sujets actifs de nos victoires mais seulement les objets passifs de nos défaites. Nous triomphons, mais ce n’est pas vraiment nous qui échouons – nous sommes ruinés par des forces qui nous dépassent », déclare ainsi l’un des narrateurs, tandis que le protagoniste principal ne cesse de s’autocélébrer en sauveur de l’économie réelle.

Pour redorer son blason, il embauche une jeune écrivaine en devenir en lui demandant de rédiger sa biographie. Celle-ci se retrouve tiraillée entre fidé­lité à son anarchiste de père et la crainte mêlée de fascination que lui inspire son employeur. Reste le mystère entourant la défunte épouse de ce dernier : a-t-elle été emportée par l’autre grande dépression ou par un « banal » cancer ? Et surtout quel rôle a-t-elle joué exactement auprès de son mari ?

Trust met en évidence le rôle crucial de la famille, mais aussi de la philanthropie, dans la « réussite » des ultrariches qui ne cessent d’affirmer que « le marché a toujours raison. Ceux qui essaient de le contrôler ont toujours tort ».

Impressions de la grande dépression

La plupart des romans qui traitent de cette période nous emmènent plutôt à l’autre bout de l’échelle sociale. On pense évidemment au chef-d’œuvre de John Steinbeck, Les raisins de la colère (1939), qui nous plonge au milieu d’une famille de l’Oklahoma, forcée, comme tant d’autres, d’abandonner sa ferme pour rallier la Californie en espé­rant se faire embaucher dans l’une des plantations encore sur pied. Outre les effets très concrets de la crise économique sur le petit peuple des Etats-Unis transformé en réfugiés de l’intérieur, subissant toutes sortes de violences, le roman est parsemé d’analyses bien senties sur le (dys)fonctionnement de ce système socio-économique.

« La banque ce n’est pas la même chose que les hommes. Il se trouve que chaque homme dans une banque hait ce que la banque fait, et cependant la banque le fait. La banque est plus que les hommes, je vous dis. C’est le monstre. C’est les hommes qui l’ont créé mais ils sont incapables de le diriger. »

Ou : « Jadis, la Californie appartenait au Mexique et ses terres aux Mexicains ; mais une horde d’Américains dépenaillés et avides submergea le pays. Et leur soif de terre était telle qu’ils s’en emparèrent (…). Le temps aidant, les “squatteurs” se métamorphosèrent en propriétaires ; et leurs enfants grandirent sur ce sol et eurent des enfants à leur tour. » Marx n’aurait pas mieux décrit l’accumulation primitive.

De Steinbeck, il faut encore lire En un combat douteux (1936) et Des souris et des hommes (1937) qui complètent sa « trilogie du travail » sur fond de Grande Dépression, que Gallimard vient de publier dans la Pléiade. Le premier campe une grève de travailleurs saisonniers dans un verger californien, initiée par deux militants communistes et contre laquelle s’abat une répression féroce.

Certains continuent à s’accrocher au « rêve américain » et à l’espoir fou de faire partie de l’extrême minorité pouvant passer des haillons à l’opulence

Le second met en scène un autre tandem de saisonniers mais qui aspire à la petite propriété plutôt qu’à la révolution, et ne se confronte pas moins à une violence implacable venant de tous les côtés. Dans une veine proche de Steinbeck, Erskine Caldwell dépeint dans La route au tabac (1932) l’exode urbain forcé d’une famille de métayers géorgiens, où l’obsession de la mort des aînés voisine avec les aspirations contrariées des plus jeunes.

L’année suivante, Caldwell publie Le petit arpent du Bon Dieu (1933) dont l’action se passe toujours dans la campagne géorgienne, mais où les protagonistes sont cette fois la proie de leurs obsessions, pour l’or ou le sexe. Nul mieux que Tom Kromer n’a décrit le mélange de dénuement et de désespoir qui caractérise le vécu de ceux qui prennent la crise de plein fouet dans Les vagabonds de la faim, paru en 1934. Sans doute parce que c’est sur sa propre expérience que s’appuie cette fois l’auteur dont les pages suintent le nihilisme.

On comprend alors mieux pourquoi certains continuent à s’accrocher tant bien que mal au fameux « rêve américain » et à l’espoir fou de faire partie de l’extrême minorité pouvant passer des haillons à l’opulence. C’est cette fausse promesse et ses conséquences mortifères que décrit Horace McCoy dans On achève bien les chevaux (1935) à travers le récit d’un marathon de danse à l’issue tragique à Hollywood. Ces concours très populaires jusqu’à leur interdiction en 1937 pouvaient durer plusieurs semaines jusqu’à ce qu’un seul couple reste en piste. Une métaphore assez transparente du capitalisme de marché, aussi impitoyable dans les années 1930 qu’aujourd’hui.

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