Documentaire

Cuba ou le dédain de l’Empire américain

6 min

Avec Epicentro qui sort demain en salles, Hubert Sauper, réalisateur du Cauchemar de Darwin, livre un portrait subtil et sans concessions de Cuba.

Epicentro, film documentaire d'Hubert Sauper. PHOTO : Les films du Losange

En ces temps estivaux où beaucoup, plus encore qu’à l’accoutumée, doivent rester chez eux, difficile de refuser une invitation au voyage, surtout quand la destination est une île enchanteresse au milieu des Caraïbes. Mais lorsque l’on apprend que notre guide ne sera autre qu’Hubert Sauper, le réalisateur des remarqués Cauchemar de Darwin et Nous venons en amis, quelque chose nous dit que l’on ne va pas assister à un de ces prospectus en images insipides qui semblent tournés pour vendre des billets d’avion ou de croisière aux vacanciers en mal de sable blanc et d’eaux turquoises.

Et l’on n’est pas déçu, car si le réalisateur autrichien semble avoir mis un peu d’eau dans son rhum par rapport à ses précédents opus, ce n’est qu’en apparence. C’est bien la même dénonciation des méfaits cachés de la mondialisation capitaliste qui anime le documentariste, même s’il a délaissé les zones de guerre de Tanzanie ou du Soudan pour les rives plus pacifiées de Cuba.

Et ce faisant, il s’est en fait même rapproché de l’œil du cyclone global. C’est d’ailleurs pour bien le signifier qu’il a intitulé ce nouveau film Epicentro.

Cuba livrée

Coincée entre la Floride, le Mexique, les Bahamas et Haïti, la longue île célèbre pour ses cigares et ses révolutionnaires barbus, constitue en effet selon Hubert Sauper rien moins que l’épicentre de l’impérialisme états-unien. L’acte de naissance de ce dernier peut ainsi être daté avec précision : le 15 février 1898. Ce soir-là, l’explosion du cuirassier USS Maine retentit dans toute la rade de La Havane.

Aussitôt Washington se saisit du prétexte pour accuser l’Espagne, qui contrôle l’île en même temps qu’une bonne part de l’Amérique latine, et déclenche une guerre pour prendre leur place en invoquant, non sans cynisme, les revendications indépendantistes qui y montent depuis plusieurs années. Le prélude à de nombreux autres plantés de drapeaux, jusque sur la lune. Dans cette entreprise effrénée de colonisation qui ne dit pas son nom, le belliqueux Theodore Roosevelt, qui succède à la Maison Blanche à William McKinley au tournant du siècle, peut compter sur un allié de poids : la propagande médiatique, dont la force est alors redoublée par le développement d’une redoutable machine à fabriquer les rêves comme les images truquées : le cinématographe.

L’île aux enfants

Non content de rappeler que les fake news ne sont pas nées de la dernière décennie, le film d’Hubert Sauper nous montre que les images animées peuvent également porter l’antidote à l’hégémonie de la patrie de l’Oncle Sam par la culture d’autres mythes. Celui par exemple de la révolution de 1959 qui a vu le dictateur Fulgencio Batista renversé par une poignée de guerilleros communistes emmenés par Fidel Castro. Ce sont ainsi leurs successeurs en droite ligne qui président encore aux destinées du pays avec l’assentiment d’une grande partie de la population, au grand dam des « exilés » états-uniens et de la CIA qui ont maintes fois tenté de les renverser.

Ce n’est pas tant l’accomplissement des promesses de prospérité du communisme, définitivement mises à mal par l’effondrement de l’Union soviétique, qui cimente la population que l’entretien d’un sentiment anti impérialiste qui commence dès les dessins animés pour enfants rappelant la fourberie des riches voisins du Nord. En témoignent les propos et les chansons des enfants cubains avec lesquels Hubert Sauper se promène longuement, et avec qui il visionne également des films de Charlie Chaplin en compagnie de la propre petite-fille de ce dernier, Oona, ou qu’il emmène se baigner dans la piscine d’un palace de La Havane.

Hubert Sauper donne à voir toute l’ambiguïté des Cubains, qui tout en dénonçant vivement l’impérialisme états-unien, restent fascinés par certains pans de l’American Way of Life

Dans le même temps, et c’est ce qui fait toute la force du cinéma de Sauper, celui-ci évite l’écueil de nous asséner un message lourd et univoque. Il donne également à voir toute l’ambiguïté des Cubains, petits et grands, qui tout en dénonçant vivement l’impérialisme états-unien ou la condescendance des hordes de touristes dont les paquebots ont remplacé les cuirassés des armées coloniales, restent fascinés par certains pans de l’American Way of Life. Ainsi de ces fillettes qui jouent à prendre la pose comme les mannequins des magazines de mode en papier glacé ou de ce vieil homme qui se félicite devant une ancienne raffinerie sucrière désaffectée qu’elle ait apporté une contribution décisive à la production du Coca-Cola. Cela n’empêche cependant pas l’existence d’un bonheur made in Cuba ou plutôt hecho en Cuba, dont la recette semble confiée par l’une de ses habitantes : du rhum et de la salsa –  avec peut-être aussi un zeste de croyance dans l’utopie socialiste.

Epicento de Hubert Sauper. Les fims du Losange

 

En parsemant son film de plans oniriques dénués de tout commentaire, comme ces vagues spectaculaires qui s’abattent sur les quais de La Havane ou ce tango entre un vieil homme blanc bedonnant et une jeune Cubaine métissée dans l’ambiance tamisée d’un bar déserté, Hubert Sauper oblige les spectateurs à être réflexifs. Et il ne s’épargne pas l’exercice. A rebours des ego-documentaristes qui font florès de nos jours, il n’apparaît que furtivement devant sa caméra, et se demande si au fond son travail n’est pas si éloigné du voyeurisme de ces touristes qui s’amusent à photographier les habitants des quartiers pauvres comme des animaux de cirque. Une scène édifiante de dispute entre une mère et sa fille offre ainsi un rappel salutaire. Tout aussi bien que les propagandistes professionnels, lui aussi peut mener ses spectateurs en bateau.

Au terme de cette promenade à Cuba entre critique et utopie, Hubert Sauper semble nous dire que le passé se réécrit sans cesse et ne se laisse jamais enfermer dans une seule version, fût-ce celle des vainqueurs. En accordant le rôle principal de son film aux enfants, à leurs jeux, à leurs pensées et à leurs aspirations, le cinéaste souligne que c’est finalement par leurs mains que l’avenir va s’écrire. En espérant qu’ils fassent en sorte, contrairement à leurs aînés, que le monde cesse d’empirer.

Epicentro, par Hubert Sauper, en salles le 19 août 2020.

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Commentaires (1)
Christian 20/08/2020
J'adore "un zeste d'idéal socialiste...."!!! le zeste dans le rhum ?
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