Société

Education : les mauvais calculs de la France

6 min

[Mon école va craquer !] Rien ne vaut une population bien formée pour favoriser la croissance économique et l’inclusion ; pourtant, depuis quarante ans, l’Hexagone a fait le choix inverse, délaissant toute ambition éducative.

PHOTO : Serprix
Dossier 3/6

A priori, cela coule de source : si l’on veut une « start-up nation », il faut miser à fond sur l’éducation. C’est en tout cas l’un des leitmotive des économistes de toute obédience : pour améliorer la productivité du travail, réduire le chômage et stimuler la capacité d’innovation du pays, rien ne vaut une population bien formée.

D’autant que cela permet aux individus d’acquérir des compétences socio-comportementales (ou soft skills : intelligence relationnelle, capacité à résoudre des problèmes, persévérance, aptitude à la coopération…) guère remplaçables par des machines ou une intelligence artificielle.

Des actifs bien formés, c’est aussi, potentiellement, des effets positifs sur les finances publiques...

A priori, cela coule de source : si l’on veut une « start-up nation », il faut miser à fond sur l’éducation. C’est en tout cas l’un des leitmotive des économistes de toute obédience : pour améliorer la productivité du travail, réduire le chômage et stimuler la capacité d’innovation du pays, rien ne vaut une population bien formée.

D’autant que cela permet aux individus d’acquérir des compétences socio-comportementales (ou soft skills : intelligence relationnelle, capacité à résoudre des problèmes, persévérance, aptitude à la coopération…) guère remplaçables par des machines ou une intelligence artificielle.

Des actifs bien formés, c’est aussi, potentiellement, des effets positifs sur les finances publiques (plus de recettes en raison du surcroît d’activité, moins de dépenses avec la baisse du chômage), le bien-être et, bien sûr, l’émancipation et la participation civiques. Autant les sociologues s’interrogent parfois sur les risques de déclassement que subit une population dont le niveau de diplôme progresse plus vite que le nombre d’emplois qualifiés, autant le message des économistes, repris par toutes les institutions internationales, est limpide : l’éducation, c’est bon, mangez-en !

Malheureusement, depuis de nombreuses années, la France semble faire la sourde oreille, et délaisser toute ambition éducative. Hormis une période faste au cours des années 1990, l’effort de la nation en faveur de l’éducation ne s’est pas renforcé au cours des quarante dernières années : en 2021, la dépense intérieure d’éducation1(169 milliards) représentait 6,8 % du produit intérieur brut (PIB), exactement la même proportion qu’en 1982. Elle reste assurée à 80 % par la puissance publique, les collectivités locales se substituant en partie à l’Etat pour la financer.

La fac et l’école primaire sous-investies

Mais c’est surtout la structure de cette dépense qui interroge. L’enseignement secondaire en absorbe en effet près de 40 %. Cela se fait notamment au détriment de l’enseignement supérieur : la dépense par étudiant a diminué d’environ 10 % depuis 2010, entraînant d’immenses difficultés pour les universités alors qu’elles accueillent un public de plus en plus important.

Mais l’autre bout de la chaîne est également délaissé : la France sous-investit ses écoles primaires (maternelles et élémentaires), avec un niveau de dépenses dédiées inférieur à la moyenne des pays de l’Union européenne, très loin des pays scandinaves qui caracolent en tête des classements. Or, c’est bien là (et même dès la petite enfance) qu’il est le plus efficace d’investir si l’on entend prévenir les difficultés scolaires et augmenter globalement les compétences de la population.

Avec plus de 22 élèves en moyenne, c’est en France que les classes primaires sont les plus chargées d’Europe

De ce point de vue, les mesures de dédoublement des classes, mises en œuvre au début du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, allaient dans le bon sens, d’autant qu’avec plus de 22 élèves en moyenne, c’est en France que les classes primaires sont les plus chargées d’Europe (c’est aussi le cas au collège).

Cela ne doit pas faire oublier la portée au fond très limitée de ce dispositif, qui s’est déployé à moyens quasi constants, et ne concerne que trois niveaux (grande section, CP et CE1) des seules écoles classées en éducation prioritaire, alors que l’on sait que trois quarts des élèves défavorisés sont scolarisés ailleurs.

En bas des comparaisons internationales

Les annonces clinquantes cachent ainsi mal l’absence de projet éducatif d’ensemble, alors même que les comparaisons internationales qui se succèdent confirment que les performances françaises oscillent entre le passable et le mauvais.

Le pays peut certes s’enorgueillir d’avoir un fort taux de diplômés de l’enseignement supérieur au sein de sa jeunesse, et d’avoir une proportion relativement faible de décrocheurs (jeunes ayant quitté l’école précocement). Mais il est aussi l’un de ceux où le lien entre les compétences cognitives et l’origine sociale est le plus fort et où les élèves sont le plus anxieux. Le diagnostic est connu, mais n’a jusqu’à présent pas engagé d’action d’ampleur pour changer l’ordre des choses.

Autre exemple : s’interrogeant sur les raisons de la baisse de la productivité en France, le Conseil d’analyse économique a récemment montré que l’une des raisons se trouve dans le « décrochage », au fur et à mesure des années, des compétences des élèves français, y compris les meilleurs, en mathématiques, dont attestent plusieurs évaluations internationales 2.

Le même constat vaut pour les compétences socio-comportementales. Or, « malgré l’importance de l’enjeu, l’éducation n’est pas un sujet suffisamment prioritaire dans le débat économique », notent les auteurs, qui pointent la stagnation du budget de l’Education nationale. « Pour enrayer ce décrochage éducatif, la priorité devrait être de se fixer une ambition », ajoutent-ils.

Des réformes incompréhensibles

Une ambition, un projet, un cap, c’est sans doute ce qui manque de façon primordiale au système éducatif français, dont les réformes récentes suscitent non plus seulement la critique, mais de plus en plus souvent l’incompréhension. C’est le cas, puisqu’on en parlait, des mathématiques au lycée, qui ont été sorties du tronc commun des enseignements pour devenir un enseignement de spécialité extrêmement exigeant et décourageant, pour les filles en particulier.

Plus globalement, la réforme du baccalauréat a fait s’arracher les cheveux aux personnels de l’Education nationale, produisant un surcroît de stress (y compris pour les élèves) pour des résultats inverses à ceux escomptés en termes de reconquête du temps scolaire en fin d’année.

La réforme du lycée pro, annoncée au débotté il y a quelques mois, plonge ces filières dans le désarroi

De la même façon, la réforme du lycée professionnel (la deuxième en cinq ans !), annoncée au débotté il y a quelques mois, plonge ces filières dans le désarroi, tant les changements annoncés sont brutaux et dénués de perspective d’ensemble, hormis, apparemment, celle de former à moindre coût des travailleurs taillables et corvéables à merci. Le feuilleton de la rémunération des enseignants, enfin, suscite beaucoup d’acrimonie car les promesses faites ne sont jamais à la hauteur des attentes, très élevées après des années de disette.

Ce marasme est sans doute ce qui conduit de plus en plus d’enseignants à démissionner (2 500 en 2020-2021) et de moins en moins de candidats à tenter d’entrer dans le métier. C’est sans doute aussi ce qui entraîne une perte de confiance dans l’institution et alimente la fuite vers le secteur privé des parents aisés, que ce soit dans le secondaire ou le supérieur.

Une dynamique de ségrégation sociale qui suscite une large inquiétude mais face à laquelle l’exécutif fait preuve, sinon de complaisance, du moins d’une grande passivité. A l’image, finalement, de sa politique éducative d’ensemble.

 

Retrouvez notre dossier « Mon école va craquer ! »

 

  • 1. Dépense intérieure d’éducation : ensemble des dépenses effectuées, sur le territoire national, par l’ensemble des agents économiques, pour les activités d’éducation : rémunération des agents, cantine, transports, manuels et fournitures…
  • 2.   Voir « Cap sur le capital humain pour renouer avec la croissance de la productivité », par Maria Guadalupe et alii, Note du CAE n° 75, septembre 2022.

À la une

Commentaires (5)
ALAIN MULARD 28/08/2023
Un effort constant en pourcentage du Pib signifie une régression si on rapporte ce pourcentage au taux de scolarisation qui s'est élevé. L'école française à deux fonctions principales pour certains décideurs : l'une de "gardiennage social" et l'autre d'instance de légitimation de la sélection sociale par le diplôme. Corriger les inégalités nécessite de permettre une réelle mobilité professionnelle tout au long de la vie pour redistribuer des chances et des positions sociales.
Frédéric BOULARD 28/08/2023
De quoi "l'Hexagone" est-il le nom ? De la "France métropolitaine" (appellation qu'une récente loi a condamnée), de toute la France (mais comment fait-on rentrer dans un hexagone les DROM, les zones marines et oécaniques de la France ?), de la France étriquéeque condamnait le chanteur Renaud dans sa chanson du mitan des années 1970 ?... Dans le doute, il vaut mieux s'abstenir de recourir à cette image éculée et dénuée de sens réel et non ambigû.
RAHMA HOUHOU OUSALAH 27/08/2023
Bonjour , Je suis professeure de Maths et ne peux que déplorer la sortie des Maths du tronc commun au lycée , cependant je n’aime pas la formulation expliquant que la Spé est davantage exigeante et décourageante pour les filles. Cela sous entend une moindre capacité des filles. Je préfère plutôt expliquer que les filles s’auto censurent davantage depuis la réforme , de plus il y a encore malheureusement des collègues et des parents ( atavisme) qui découragent les filles .
elegehesse 26/08/2023
https://www.cae-eco.fr/cap-sur-le-capital-humain-pour-renouer-avec-la-croissance-de-la-productivite https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae_Note075(3).pdf 12 pages https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae_Note075_Slides.pdf 22 slides https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/cae_Focus091.pdf échec maths 24 pages
Elegehesse 26/08/2023
""que faire des #400 000 non-enseignants rattachés à la rue de Grenelle "" Belle question ! Que font ils ? Que sont ils supposés faire ? Sur Internet , la première mention du sujet date de 1971. Qui trouvera des infos sur cette question clé ?
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