Opinion

Pacte vert européen : les conditions de la réussite

6 min
Eloi Laurent Economiste, professeur à Sciences Po et à l’université de Stanford

En mars 1933, le président des Etats-Unis nouvellement élu Franklin D. Roosevelt engage son pays dans un programme inédit de régulation économique, de protection sociale et d’investissement public. Dès ce premier « New Deal », Roosevelt prend soin d’articuler l’impératif de progrès social au défi émergent de la protection de l’environnement. Le Civilian Conservation Corps (CCC) – qui assurera de 1933 à 1942 un « emploi vert » (forêts, barrages, etc.) à un total de 3 millions de chômeurs – figure parmi les toutes premières mesures de la nouvelle administration.

Cette problématique sociale et écologique est la matrice de la proposition de loi pour un « Green New Deal », présentée en février 2019 par la parlementaire Alexandria Ocasio-Cortez et ses collègues de la Chambre des représentants. Rejeté par le Sénat républicain sans examen, le Green New Deal identifie comme cause fondamentale du mal-être américain les « inégalités systémiques » (sociales et écologiques). Pour les atténuer, le texte assigne au gouvernement fédéral le « devoir » de mettre en œuvre une transition « juste et équitable », en priorité au bénéfice des « communautés exposées et vulnérables ».

Présenté dans les grandes lignes le 11 décembre dernier par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, le « Pacte vert pour l’Europe » ne s’inscrit pas dans cette double filiation. L’exécutif européen définit son projet comme une « nouvelle stratégie de croissance » pour le continent. Pour lui donner corps, il mobilise des instruments visant majoritairement l’efficacité économique, et marginalement la justice sociale (le texte ne mentionne pas le terme « d’inégalité »), afin de rendre crédible l’ambition de « devenir le premier continent climatiquement neutre au monde d’ici à 2050 ».

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Une ambition louable à consolider

L’ambition de la nouvelle Commission européenne, qui a fait du « Pacte vert » son acte fondateur, mérite d’être saluée pour deux raisons : elle rompt avec l’attentisme écologique du mandat précédent et elle réaffirme sur la scène mondiale la vocation écologique de l’Union européenne (UE), perdue de vue au cours de la décennie 2010. Mais, précisément du fait de cette mise en retrait, l’urgence est aujourd’hui plus grande et le niveau d’exigence plus élevé, car les crises écologiques n’ont fait pendant ce temps que s’accélérer.

L’ambition de la nouvelle Commission européenne, qui a fait du « Pacte vert » son acte fondateur, mérite d’être saluée

Qui plus est, l’Union européenne a déjà, dans un passé récent, voulu se donner une stratégie de moyen terme. En 2000, la stratégie de Lisbonne entendait faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Deux défauts majeurs avaient alors été identifiés, et expliquent en grande partie, rétrospectivement, son échec : l’incohérence des objectifs et l’inadéquation des instruments aux fins.

Si l’on veut éviter ces deux écueils, il faut étudier de près la solidité de l’architecture de la nouvelle stratégie écologique européenne alors qu’elle est encore en construction, et donc encore amendable. Après un examen attentif des ambitions, de l’architecture conceptuelle et des indicateurs du Pacte vert, il paraît souhaitable de le réviser selon cinq directions.

Mettre de la cohérence

D’abord, il faut engager dès à présent une réflexion sur l’adéquation aux objectifs actuels et la complémentarité des instruments européens d’atténuation climatique existants : réglementation, quotas d’émission, fiscalité carbone. Puis, les réviser au besoin et fixer les nouveaux objectifs climat de l’UE. Il y a de ce point de vue une contradiction logique dans le projet du Pacte vert, qui propose de formuler de nouveaux objectifs climat en mars 2020, mais reporte à juin 2021 le passage en revue et la révision éventuelle de « l’ensemble des instruments d’action liés au climat ».

Il faut engager dès à présent une réflexion sur l’adéquation aux objectifs actuels et la complémentarité des instruments européens d’atténuation climatique existants

Ensuite, il faut viser un découplage net des délocalisations de pollutions, en prenant comme référence les émissions de gaz à effet de serre de consommation, et promouvoir sur cette base une nouvelle stratégie mondiale de justice climatique – entendue comme la juste répartition des efforts d’atténuation. La finalité est de donner de la substance à l’accord de Paris de 2015 lors de sa révision à la COP26 à Glasgow en novembre 2020.

Il apparaît également nécessaire de réduire la consommation de ressources naturelles prenant en compte l’empreinte matérielle globale de l’Union européenne, et d’engager dès à présent une réflexion sur la compatibilité entre cette réduction des volumes consommés comme extraits et l’accélération de la transition numérique sur le continent.

Développer de nouveaux indicateurs

Il importe plus largement de définir comme référence du découplage promu par le Pacte vert, un ensemble d’indicateurs de bien-être humain, plutôt que le seul PIB. De même qu’il y serait pertinent de confier au Parlement européen la responsabilité de repenser le semestre européen, en définissant les dimensions du bien-être européen devant être privilégiées, les indicateurs correspondants et leur articulation avec les objectifs du développement durable des Nations unies et le Pacte de stabilité et de croissance.

Enfin, il faudrait élargir la notion de « transition juste » pour définir et mettre en œuvre une véritable stratégie de lutte contre les inégalités environnementales dans l’Union européenne, en prenant notamment appui sur les travaux de l’Agence européenne de l’environnement.

Le projet de Pacte vert est une tentative bienvenue de prolonger, de renforcer et d’élargir la vocation écologique du continent européen. Mais cette ambition ne sera atteinte qu’à la condition de construire une stratégie, non seulement ambitieuse, mais surtout pertinente et cohérente. Il faut consacrer les mois prochains à cette tâche.

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