Logement

Faut-il envoyer les Dalo hors des quartiers sensibles ?

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Ville de Schiltigheim en Alsace
Ville de Schiltigheim en Alsace. Le sociologue Pierre-Edouard Weill a analysé la localisation des propositions de logements faites aux ménages Dalo sur la communauté urbaine de Strasbourg. PHOTO : ©Frederic MAIGROT/REA

« Arrêter d’ajouter de la pauvreté à la pauvreté » : c’est avec ce noble objectif que Manuel Valls a annoncé vendredi 6 mars vouloir interdire le relogement dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville des personnes relevant du droit au logement opposable (Dalo) dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté. Une nouvelle façon de promouvoir la fameuse « mixité sociale » dont beaucoup espèrent qu’elle mette fin à la supposée situation d’« apartheid » dénoncée par le Premier ministre le 20 janvier dernier.

Même hors quartiers sensibles, les Dalo restent dans des zones précaires

Une telle mesure est-elle susceptible de changer la donne ? Le travail du sociologue Pierre-Edouard Weill amène à en douter, car il montre que les ménages Dalo qui évitent les quartiers sensibles n’évitent pas pour autant la pauvreté.

Les ménages Dalo qui évitent les quartiers sensibles n’évitent pas pour autant la pauvreté

Analysant en particulier la localisation des propositions de logements faites aux ménages Dalo sur la communauté urbaine de Strasbourg en 2009-2010, il montre tout d’abord que seuls 35,9 % d’entre elles sont situées dans des ZUS (disparus en 2014 du fait de la réforme de la politique de la ville) en périphérie de l’agglomération. Mais le reste ne se répartit pas au hasard. Un quart d’entre elles sont localisées dans des quartiers ciblés par d’autres dispositifs de la politique de la ville et connaissent parfois des situations encore plus difficiles que celle des ZUS (taux de chômage ou de logements sociaux supérieurs, revenu médian inférieur…). Enfin, même quand ils sont situés hors « zones prioritaires », les logements proposés aux ménages Dalo sont pour l’essentiel situés dans les zones les plus précaires de l’agglomération.

Au final, selon Pierre-Edouard Weill, « 81 % des propositions de logement se situent dans des zones de l’agglomération où le revenu fiscal par habitant est inférieur à la médiane de la population ». A l’inverse, les quartiers favorisés (revenu supérieur de 30 % à la médiane) n’accueillent presque aucun ménage Dalo (ou alors uniquement en centre d’hébergement). Or, dans le Bas-Rhin, 77 % d’entre eux avaient, au moment de l’enquête, des ressources inférieures au seuil de pauvreté…

La mauvaise volonté des acteurs

Comment l’expliquer ? Cela tient d’abord, naturellement, à la structure du parc social, particulièrement peu développé dans les quartiers aisés. Mais cela tient aussi à une certaine mauvaise volonté des acteurs. Les élus locaux acceptent mal que l’Etat (ce sont les préfets qui désignent les ménages prioritaires) vienne contrarier leur politique de peuplement.

Nombre de bailleurs rechignent à accueillir ces ménages stigmatisés

Nombre de bailleurs, voulant préserver l’attractivité de leur parc, rechignent à accueillir ces ménages stigmatisés. Au final, ce sont le plus souvent les offices publics d’HLM, dont le parc est majoritairement situé en ZUS, qui se voient chargés de les reloger.

Dans les zones tendues comme l’Ile-de-France, l’importance du flux (fin 2014, sur les 159 474 demandes classées « prioritaires et urgentes » au niveau national, 59 502 n’ont pas encore reçu de proposition de logements) fait que, de toute façon, les bailleurs ont toute latitude pour choisir parmi les ménages prioritaires ceux dont le profil leur convient le mieux.

A cet égard, Pierre-Edouard Weil montre que la composition du ménage et son habitat d’origine sont des facteurs importants de leur relocalisation. Les couples avec un maximum de trois enfants, davantage solvables que les autres requérants et généralement issus de territoires non ciblées par la politique de la ville, sont plus souvent orientés vers les franges les moins paupérisées du parc social que les personnes seules (orientés vers l’hébergement) ou les familles nombreuses, les grands appartements étant majoritairement concentrés dans les ZUS.

Une mesure à contre-emploi

Selon Pierre-Edouard Weill, « Il est indéniable que le Dalo a des effets aggravants sur la pauvreté de certains quartiers ». Ces effets étaient d’ailleurs redoutés dès la naissance du dispositif : une circulaire de 2008 avait indiqué que, dans chaque département, la part des propositions de logement Dalo située en ZUS ne devait pas dépasser 30 % – mais elle n’a jamais été respectée...

« Il est indéniable que le Dalo a des effets aggravants sur la pauvreté de certains quartiers »

Une application plus stricte de la loi SRU (également annoncée par le Premier ministre) ou encore développement de l’intermédiation locative restent de toute évidence des préalables à une proposition qui, dans l’état actuel des choses, a paradoxalement toutes les chances de compliquer encore la vie des demandeurs de logement social les plus modestes.

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