Transition énergétique

50 % de nucléaire en 2025 : réaliste ou irréaliste ?

7 min
Centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin). Entre le prolongement de la durée de vie des centrales prévu par EDF et l'objectif de 50 % d'électricité verte dans le mix électrique en 2025, l'Etat va devoir choisir. PHOTO : ©AM/ROPI-REA

« Réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % à l’horizon 2025. » Cet objectif phare de la loi relative à la transition énergétique est-il vraiment crédible ? Depuis la fin de la COP21, cette question est revenue d’autant plus vivement dans le débat public que l’exécutif se montre incapable d’y répondre. Il accumule les retards pour publier les décrets d’application de la loi promulguée le 17 août dernier, ainsi que la très attendue programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE)1. Pire, dans son chapitre consacré à la maintenance des centrales nucléaires, le rapport annuel de la Cour des comptes publié le 10 février dernier précise qu’ « aucune évaluation n’a encore été réalisée, ni par l’Etat, ni par EDF, sur les conséquences économiques potentielles » d’un passage à 50 % de nucléaire dans le mix électrique français (contre 77 % actuellement)2.

Deux dilemmes à trancher

Au moins deux points sont certains. Le premier : appliquer à l’ensemble des 58 réacteurs français le programme d’EDF dit de « grand carénage » et destiné à prolonger leur durée de vie de 40 à près de 60 ans, et que la Cour des comptes a estimé à 100 milliards d’euros sur la période 2016-2030, serait une absurdité s’il fallait fermer d’ici à 2025 près de 20 réacteurs pour atteindre l’objectif des 50 % (en supposant constante la production actuelle, 562 TWh en 2014). Il est donc urgent de trancher ce sujet.

Le deuxième : il est moins coûteux de prolonger la durée de vie de centrales nucléaires déjà amorties que de remplacer celles-ci par de nouvelles capacités de production électriques, même s’il devient désormais plus rentable d’investir dans des nouvelles capacités renouvelables que dans des nouvelles capacités nucléaires3. La Cour des comptes estime ainsi que le programme de « grand carénage » d’EDF (destiné à remplacer les équipements usés remplaçables et à améliorer la sécurité suite à la catastrophe de Fukushima) aurait une incidence modeste sur les coûts de production : de 63 à 70 euros/MWh. Un coût qui serait nettement plus élevé en cas de réduction du parc nucléaire.

EDF raisonne comme si le prolongement des centrales était un fait acquis

Cet argument d’EDF – que la Cour des comptes… reprend à son compte – laisse toutefois à l’arrière-plan la question de la sécurité du prolongement des centrales et le fait qu’il faudra de toutes façons arrêter les réacteurs un jour ou l’autre, donc payer pour leur démantèlement et investir dans des capacités électriques nouvelles. Par ailleurs, seule l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), en principe indépendante, est habilitée à autoriser le prolongement de centrales qui ont été conçues pour durer quarante ans et force est de constater qu’EDF raisonne comme si c’était là un fait acquis. Selon le dernier rapport de la Cour des comptes, les incidents dans les centrales – 971 en 2014, indique le dernier rapport de l’ASN – ont connu une évolution à la hausse depuis 2004 et le vieillissement des réacteurs ne devrait pas arranger les choses.

Querelle d’estimations

Ceci posé, combien ramener à 50 % la part du nucléaire dès 2025 coûterait-il en termes d’investissement dans les capacités renouvelables ? Pour le spécialiste Alain Grandjean, la facture serait très élevée. En prenant l’exemple d’un scénario médian de 440 TWh de consommation électrique, soit 560 TWh de production électrique (dont 280 TWh nucléaires)4, il a calculé qu’il faudrait accroître la puissance renouvelable installée de 100 GW au cours des dix prochaines années, et donc consentir un investissement de 100 à 150 milliards d’euros sur cette période. Ce qui voudrait dire multiplier par un facteur 4 à 7 l’effort actuel de création de capacités nouvelles. Non seulement coûteux, mais irréaliste au vu du rythme actuel de développement des filières renouvelables, conclut Alain Grandjean dans un article choc très argumenté publié début janvier sur son blog5.

Selon Benjamin Dessus et Bernard Laponche, atteindre 50 % de nucléaire en 2025 ne serait pas hors de portée sur un plan financier

Un article auquel deux autres spécialistes, Benjamin Dessus et Bernard Laponche, ont répondu de façon tout aussi précise6. Selon eux, si l’on retenait non un scénario médian de consommation mais un scénario bas (380 TWh, correspondant à une baisse de 15 % de la demande d’ici à 2025), si la France cessait d’exporter de l’électricité (92 TWh en 2014 pour des importations de 27 TWh) et si l’on tenait compte dans l’équation du fait que les pertes de production et de réseau sont plus faibles dans le cas des renouvelables que du nucléaire, les besoins de capacités d’électricité renouvelable additionnelles pour atteindre l’objectif des 50 % seraient en réalité bien moindres. Ces auteurs estiment les besoins d’investissement entre 53 et 83 milliards d’euros (au lieu de 100 à 150). Des montants dont il faudrait par ailleurs déduire les investissements évités pour prolonger la durée de vie des réacteurs nucléaires. Une dépense que la Cour des comptes estime à 1,7 milliard en moyenne par unité, ce qui ferait de l’ordre de 42 milliards de moins pour environ 25 tranches définitivement mises à l’arrêt dans un scénario bas de consommation électrique. Dans ces conditions, atteindre 50 % de nucléaire en 2025 ne serait pas hors de portée sur un plan financier. D’autant qu’il ne faut pas oublier que l’investissement dans les énergies renouvelables est très loin d’être l’affaire exclusive d’EDF. Il est en réalité porté par une kyrielle d’acteurs : grandes et petites entreprises, agriculteurs, coopératives, collectivités territoriales, particuliers...

Projets incompatibles

Un tel scénario, qui implique la fermeture de plus du tiers du parc nucléaire, on le voit, est totalement incompatible avec le « grand carénage » programmé par EDF, dont l’hypothèse structurante est une production électrique constante. Seules deux fermetures de réacteurs sont envisagées (Fessenheim 1 et 2), dont l’arrêt de production sera compensé par la mise en service de l’EPR de Flamanville. Donc, sauf à être taxé de schizophrénie ou d’hypocrisie, l’Etat, actionnaire très majoritaire d’EDF (84 %) va devoir choisir : soit il valide dans sa forme actuelle le « grand carénage » d’EDF et il abandonne l’objectif de 50 % d’électricité verte dans le mix électrique en 2025, soit il fait l’inverse.

En l’état actuel, l’objectif d’atteindre 50 % de nucléaire en 2025 est irréaliste

Les avis des experts divergent sur ce que le passage à 50 % de nucléaire d’ici à 2025 impliquerait en termes d’investissements verts. Mais il y a deux certitudes. La première, au vu des écarts entre les estimations présentées par Alain Grandjean d’une part et par Benjamin Dessus et Bernard Laponche de l’autre (qui sont le reflet de scénarios différents), c’est que de l’ampleur des efforts de maîtrise de la demande d’électricité dépendra très lourdement le niveau des besoins d’investissement dans les capacités renouvelables. La seconde, c’est que ni les efforts actuels de maîtrise de la demande électrique, ni le rythme actuel de développement des renouvelables ne mettent la France en capacité d’atteindre l’objectif de 50 % de nucléaire dans le mix électrique en 2025. En l’état actuel, c’est irréaliste. Un point au moins sur lesquels tous les experts sont d’accord.

  • 1. Elle est annoncée pour la fin du mois de février.
  • 2. « La maintenance des centrales nucléaires : une politique remise à niveau, des incertitudes à lever », Cour des comptes, Rapport public annuel, 10 février 2016, https://www.ccomptes.fr/Accueil/Publications/Publications/Rapport-public...
  • 3. EDF a obtenu pour son projet de construction de deux réacteurs EPR au Royaume-Uni un tarif de rachat garanti de 92,50 livres par mégawattheure pendant trente-cinq ans, soit 119 euros au cours actuel. Le coût de l’éolien terrestre se situe autour de 70 euros. Celui d’une centrale solaire dans la moitié sud de la France court entre 70 et 80 euros, voir http://www.alterecoplus.fr/environnement/photovoltaique-un-objectif-enco...
  • 4. La différence entre consommation et production vient des pertes en ligne, de l’autoconsommation (l’électricité consommée pour produire de l’électricité) et de la balance du commerce extérieur de l’électricité. Le scénario médian de 560 TWh en 2025 correspond à la production actuelle, les transferts d’usage (véhicule électrique, pompes à chaleur...) annulant notamment les économies d’énergie.
  • 5. « 50 % de nucléaire en France : un objectif réaliste ? », 11 janvier 2016, https://alaingrandjean.fr/2016/01/11/50-de-nucleaire-en-france-un-object...
  • 6. « Irréaliste de respecter les 50 % de nucléaire en 2025 ? », 25 janvier 2016, https://www.mediapart.fr/tools/print/605128

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Commentaires (2)
MICHEL 18/02/2016
la puissance nécessaire à installer pour avoir 50% d'électricité renouvelable en 2025 est en fait encore plus élevée que ne l'estime Alain Granddjean; en effet il s'agit de produire au minimum entre 200 et 250 Terawh avec l'éolien et le photovoltaîque ; comme le photovoltaîque est beaucoup mieux accepté que l'éolien, il faudrait installer principalement des panneaux photovoltaîques (PV); pour produire 1 terawh avec du PV, il faut une puissance crête installée d'environ 1GigaW en supposant 1000 heures d'ensoleillement proche du maximum par an ; pour produire 200 à 250 Terawh, il faut donc installer une puissance d'environ 200 à 250 GigaW, soit pour un coût de 1000 Euros par kW installé, au minimum 200 à 250 milliards d'Euros, correspondant à un investissement d'au moins 25 milliards par an jusqu'en 2025 !! conclusion: il faut prolonger les centrales nucléaires en maintenant un niveau de sûreté suffisant tout en investissant régulièrement mais raisonnablement dans le renouvelable (une dizaine de Terawh de plus chaque année) et en visant un remplacement complet du nucléaire à un horizon plus lointain (40 à 60ans) ; sinon, si on ferme trop vite les centrales nucléaires, on fera comme l'Allemagne en utilisant des centrales thermiques au charbon fortement émettrices de CO2 et de polluants divers (SO2, particules fines,...) n'oublions pas non plus qu'il faudra prévoir à long terme le stockage de l'énergie en particulier pour l'hiver (probablement par conversion électricité=> méthane=> électricité) en raison de l'intermittence du renouvelable (et surtout du solaire) et donc une puissance installée en renouvelable nettement supérieure à ce qui serait nécessaire sans intermittence de la production la barre du tout renouvelable est très haute ; ne la sous-estimons pas! ingénieur physicien en retraite
Jean-Frédéric 19/02/2016
Esprit clair, parole juste... bravo M. Antoine de Ravignan pour tous vos articles, que je ne manque pas de lire. Concernant les "50% de nucléaire en 2025 : réaliste ou irréaliste ?"- in fine, vous écrivez "en l'état actuel, c'est irréaliste.", selon les déclarations des experts. Irréaliste, irréaliste... et s'il y avait un accident majeur ?! Coût évalué en centaines de milliards d'euros. Les 50% de nucléaire ne deviendrait-il pas réaliste de force, à défaut de l'avoir été de gré ?
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