Opinion

Les apprentissages de Jony Ive, le designer le mieux payé du monde

5 min
Marc Mousli Enseignant et consultant indépendant en management et en prospective

Le 9 mars dernier, Tim Cook a présenté la « montre Apple » attendue depuis des mois. L’événement a été couvert par tous les médias du monde. Dans les journaux britanniques, du Guardian au Financial Times, l’article n’était pas illustré par la photo du PDG d’Apple, mais par celle de son numéro deux, Jony Ive (Sir Jonathan Ive depuis qu’il a été anobli par Sa Gracieuse Majesté).

Derrière la « montre connectée », comme derrière tous les produits créés par Apple depuis l’iMac en 1998, il y a des centaines d’informaticiens, de chercheurs, d’ingénieurs de diverses spécialités, et surtout une équipe de designers dirigés par Jony Ive.

Un apprentissage précoce et approfondi

Jony Ive, un Anglais de quarante-huit ans, est avant tout un artisan amoureux fou de son métier, dont il est difficile de dire à quel âge il a commencé à l’apprendre. Son premier maître a été son père, un excellent orfèvre, professeur de design et de technologie dans le collège local. Mike Ive a très tôt donné à son fils libre accès à son atelier personnel, et Jony se souvient encore d’un cadeau de Noël inoubliable : passer une journée, pendant les vacances scolaires, dans l’atelier du collège où enseignait son père. Seule condition pour accéder à ces lieux de rêve : dessiner les objets avant de les réaliser.

A seize ans, Jony Ive termine ses études secondaires et entre en classe préparatoire aux examens d’entrée à l’université. Il y étudie le design et la technologie, matières auxquelles il choisit d’ajouter la physique et la chimie. En première année, les élèves apprennent à connaître et à utiliser tous les matériaux courants : bois, métaux, plastiques et textiles. En deuxième année, ils reçoivent un enseignement théorique et réalisent un projet. Jony Ive se fait remarquer par un excellent coup de crayon – talent partagé avec plusieurs de ses camarades – et par le niveau exceptionnel de finition de ses travaux, qualité beaucoup plus rare chez un garçon de son âge. Ce souci extrême du détail séduira Steve Jobs dix ans plus tard.

Le goût de Jony Ive pour des formes très épurées le situe dans la droite ligne du minimalisme du Bauhaus

Lors d’une exposition de travaux d’élèves, le talent de Jony est repéré par Philip J. Gray, directeur de RWG (Roberts Weaver Group), une agence de design londonienne. Il lui conseille une école qu’il considère comme la meilleure du pays pour le design industriel, la Newcastle Polytechnic. Les notes de Jony lui permettent de prétendre à toutes les universités, y compris Oxford ou Cambridge. Il prend le temps de visiter plusieurs établissements et choisit de suivre le conseil de Gray.

En 1985, il intègre la Newcastle Polytechnic, soutenu financièrement par RWG. Le cursus comporte trois parties : théorique, pratique et stages. Dans la partie théorique, les étudiants étudient bien sûr les maîtres britanniques du XIXe siècle : William Morris, père du design moderne, et le mouvement Arts and Crafts ; mais l’enseignement de l’école est aussi fortement influencé par les théories du Bauhaus (dont plusieurs professeurs : Walter Gropius, Marcel Breuer et Laslo Moholy-Nagy, avaient été accueillis à Newcastle après la fermeture de leur école par les nazis en 1933). Le goût de Jony Ive pour des formes très épurées le situe dans la droite ligne du minimalisme du Bauhaus, dont le dernier directeur, Ludwig Van Der Rohe, avait pour maxime « Less is more » (Moins, c’est plus).

Eloge de la pratique

La partie pratique est très manuelle : les étudiants dessinent beaucoup et manient les perceuses, les tours et les machines à découpe numérique des ateliers de l’école. Ils approfondissent aussi leur connaissance des matériaux, qui sera fort utile à Jony Ive lorsqu’il créera l’iMac.

Steve Jobs va faire du design la fonction la plus importante chez Apple, et de Jony Ive son collaborateur le plus proche

Durant les stages qui constituent la troisième partie du programme, Jony Ive concevra une superbe ligne de portefeuilles en cuir puis une ligne de stylos originaux pour Zebra, une firme japonaise. Il créera aussi un téléphone portable en forme de point d’interrogation très remarqué, un appareil auditif pour les étudiants malentendants et un distributeur automatique de billets qui lui vaudra un prix de 1 500 £, somme rondelette qui lui permet de partir à la découverte des États-Unis.

Il est fasciné par la Californie, et une agence de design de la Silicon Valley lui offre un poste, mais loyal envers Philip Gray, qui l’a aidé à financer ses études, il rentre à Londres pour travailler chez RWG. Il y restera jusqu’en 1989, année de crise où l’agence doit fermer ses portes. Jony Ive crée alors sa propre agence, ce qui l’oblige à se former au métier d’entrepreneur, un apprentissage plus rude que celui de designer.

Steve et Jony : un coup de foudre

A l’automne de 1991, Bob Brunner, le responsable du design industriel chez Apple, que Jony Ive avait rencontré en Californie, vient le voir à Londres, et le décide à rejoindre Cupertino. Ive va faire un nouvel apprentissage, celui des relations de travail complexes dans cette grande entreprise qui ne ressemble en rien à celles qu’il a connues en Angleterre. Les projets auxquels il participe le passionnent, mais Apple est alors une société mal gérée, en perdition, et dans laquelle le design est la cinquième roue du carrosse, loin derrière l’ingénierie, le marketing et la finance.

En 1997, malgré son flegme britannique et sa persévérance, Ive est sur le point de démissionner quand Steve Jobs, qui avait été chassé douze ans plus tôt de l’entreprise qu’il avait créée, revient en sauveur. Entre les deux hommes, le courant passe aussitôt, et ils deviennent inséparables. Steve Jobs va faire du design la fonction la plus importante chez Apple, et de Jony Ive son collaborateur le plus proche. Le jeune et timide apprenti anglais a fini ses apprentissages et il est enfin passé maître.

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