Opinion

Afrique : des terres accaparées au nom de la lutte contre la faim

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Mathilde Dupré Co-directrice de l'Institut Veblen

Pour lutter contre la pauvreté et la faim en Afrique1, les Etats du G8 ont lancé en 2012, la « Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition » (NASAN). Neuf milliards d’euros d’investissements dans dix pays sont alors annoncés, portés pour moitié par les Etats et moitié par des entreprises visant notamment à « libérer le pouvoir du secteur privé ». En dépit des mises en garde de la société civile2 et les critiques de l’actuel gouvernement à l’égard de l’initiative, la France en est le troisième contributeur après les Etats-Unis et l’Union européenne.

Trois ans après son lancement, les résultats sur le terrain sont accablants. Les Etats africains ont été encouragés à introduire de nombreuses réformes notamment fiscales et foncières pour offrir un climat favorable aux investisseurs. Et les principaux bénéficiaires de l’initiative sont sans surprise les multinationales du trading de matières premières agricoles, les semenciers internationaux et les spécialistes des cultures agricoles de rente destinées à l’exportation.

Rapports contractuels déséquilibrés

En Côte d’Ivoire par exemple, qui figure parmi les 10 pays africains membres de la Nouvelle Alliance,  des projets sont annoncés par Cargill, Danone, Export Trading Group (ETG), Cémoi, Nestlé ou Louis Dreyfus Commodities. Et dans la filière riz, une enquête récente menée par le CCFD-Terre Solidaire et son partenaire Inades Formation révèle les impacts négatifs des projets menés par ETG ou Yaanovel et les risques d’accaparement de terres liés à des rapports contractuels plus que déséquilibrés avec des petits producteurs. Si ce mode d’intervention - privilégié désormais par de nombreuses entreprises - permet en théorie d’éviter l’achat massif de terres, il ne garantit pas pour autant la sécurité foncière des agriculteurs.

L’initiative phare du G8 pourrait se solder dans certains cas par un endettement accru et une cession des terres des paysans, menaçant ainsi directement leur souveraineté alimentaire et leur droit à l’alimentation.

L’ensemble des risques ou presque sont supportés par les paysans, dont certains témoignent s’être appauvris en travaillant avec ces entreprises

Les contrats passés entre les paysans et l’entreprise prévoient que cette dernière fournit les semences, les intrants, voire du conseil et du prêt de machines. En contrepartie, elle s’engage à acheter l’ensemble de la production, en déduisant le coût de ses services. Mais les producteurs qui ont tout d’abord accueilli à bras ouverts ce projet en raison des opportunités de débouchés qu’il offrait, ont découvert à leurs dépens la face cachée de ces contrats.

En effet, l’ensemble des risques ou presque sont supportés par les paysans, dont certains témoignent s’être appauvris en travaillant avec ces entreprises. Retards de livraisons des semences et des intrants, services non rendus en matière de conseils techniques, machines non performantes, etc. ; plusieurs dysfonctionnements ont généré de mauvaises récoltes et des pertes de revenus pour les agriculteurs qui, dans l’incapacité de payer les services de l’entreprise et afin de rembourser leur dette, ont été invités à hypothéquer leurs terres. L’initiative phare du G8 pourrait ainsi se solder dans certains cas par un endettement accru et une cession des terres des paysans, menaçant ainsi directement leur souveraineté alimentaire et leur droit à l’alimentation.

Un début de remise en cause ?

Un scénario catastrophe qui malheureusement ne fait pas l’objet d’un suivi précis par les bailleurs de l’initiative. Interrogé par une journaliste d’Interceptions, le groupe AFD qui finance via sa filiale dédiée au secteur privé l’entreprise ETG, semblait ne pas avoir pris connaissance des conditions imposées aux paysans locaux.

L’appel lancé début juin par près de cent vingt organisations de la société civile de plus de 30 pays sera-t-il entendu ? Pour la première fois depuis le lancement de l’initiative, la NASAN n’a pas été mentionnée dans la déclaration principale des Etats du G7 lors de la dernière réunion qui s’est tenue en Allemagne les 7 et 8 juin 2015 et se retrouve relayée par une simple référence dans les annexes. Les ONG veulent y voir un signe de remise en cause de l’initiative et ont d’ores et déjà annoncé qu’elles suivront avec attention les développements à venir.

  • 1. Améliorer la sécurité alimentaire de 22 millions de personnes et contribuer à faire sortir de la pauvreté quelques 50 millions de personnes d’ici 2022 sur le continent africain.
  • 2. « La Faim un bu$iness comme un autre. Comment la nouvelle alliance du G8 menace la sécurité alimentaire en Afrique », CCFD-Terre Solidaire, Oxfam France et Action contre la faim, septembre 2014.

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