Négociations climatiques

COP21 : l’accord de Paris sera-t-il contraignant, oui ou non ?

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L’accord de Paris visant à contenir le réchauffement de la planète dans la limite des 2 °C et qui doit être adopté le 11 décembre par 195 Etats sera-t-il contraignant ? Beaucoup s’imaginent qu’il peut et qu’il doit l’être, si l’on en juge par le refroidissement de l’atmosphère provoqué par les propos de John Kerry deux semaines avant l’ouverture de la COP. Le ministre américain des Affaires étrangères avait alors déclaré (le 12 novembre dans le Financial Times) : « Il n’y aura pas d’objectifs de réduction [des émissions de gaz à effet de serre] juridiquement contraignants, comme cela avait été le cas à Kyoto. » Cette perfide attaque des Etats-Unis, régulièrement présentés comme des délinquants climatiques alors qu’au chapitre de la transition bas carbone, leurs ambitions sont désormais comparables à celles de l’Union européenne1, avait aussitôt entraîné cette riposte cinglante du président des Français : l’accord de Paris sera « contraignant ou il n’y aura pas d’accord ».

Surréaliste

A la veille de la COP21, cette passe d’armes a quelque chose de surréaliste. Ceux qui se sont émus des propos de John Kerry semblent avoir oublié (ou font semblant d’oublier) que cela fait exactement cinq ans, onze mois et deux semaines que le monde a tourné le dos au protocole de Kyoto et a abandonné le principe d’un accord international sur la baisse des émissions juridiquement contraignant.

Copenhague marque une rupture dans l’histoire des négociations climatiques

Copenhague, 18 décembre 2009. Cette date marque une rupture dans l’histoire des négociations climatiques et la prise d’un nouveau cap dont la conférence de Paris est le résultat. De la signature de la convention de Rio sur les changements climatiques (1992) à la COP15 de Copenhague, l’approche de la question climatique était descendante, ou « top-down » comme disent les Anglo-Saxons.

L’idée était, compte tenu du budget carbone à ne pas dépasser pour contenir le réchauffement de la planète dans la limite de l’acceptable, de répartir l’effort entre les 196 pays signataires de la convention de Rio, et donc de négocier la répartition de l’effort en fonction de la « responsabilité commune mais différenciée » de chacun.

Du « top-down » au « bottom-up »

Or, cette logique, mise en œuvre avec le protocole de Kyoto, s’est avérée un échec : ni les Etats-Unis, ni la Chine et les autres pays émergents n’en ont voulu, tandis que d’autres pays en sont sortis (Canada) ou ne l’ont pas respecté (Japon, Australie). Il a bien fallu se rendre à l’évidence et abandonner un protocole de Kyoto de fait restreint à l’Union européenne et qu’il a été impossible d’étendre au reste du monde. L’acte de décès a été signé lors de la COP15 de Copenhague où l’Union européenne s’est ralliée à la proposition sino-américaine : abandonner la logique « top-down » pour lui substituer une approche « bottom-up » (du bas en haut). Autrement dit construire un accord climatique universel sur la base de la somme des efforts que chaque Etat aura souverainement décidé de faire (ou non).

Dans l’accord de Paris chacun réduit donc ses émissions de combien il veut, comme il veut et quand il veut

Dans l’accord de Paris, dont les contours sont actés depuis six ans, chacun, souverainisme oblige, réduit donc ses émissions de combien il veut, comme il veut et quand il veut. Ce texte n’est donc en aucune manière un engagement international à contenir le réchauffement climatique dans la limite des 2 °C. Et de fait, la somme des contributions nationales à l’atténuation du réchauffement climatique, les INDCs en anglais, présentées par 161 pays couvrant 91 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre nous propulsent vers un monde à au moins 3 °C, c’est-à-dire un monde violent et inhabitable pour une grande partie de l’humanité.

De nombreux Etats, dont la France, voudraient que figure dans l’accord de Paris un objectif chiffré sur l’évolution de long terme des gaz à effet de serre, de manière à définir une trajectoire de baisse des émissions compatible avec l’objectif des 2 °C. Mais de nombreux Etats s’y opposent, dont les Etats-Unis et les émergents, de crainte que cela ne soit la porte ouverte au retour de la logique top-down récusée à Copenhague.

Le texte final ne comportera pas d’obligation de résultat, car de nombreux pays s’y refusent

A défaut d’être contraignant sur l’objectif des 2 °C, les parties signataires de l’accord de Paris peuvent-elles s’entendre pour rendre contraignants leurs objectifs chiffrés nationaux d’atténuation ? Non. Le texte final ne comportera pas d’obligation de résultat, car de nombreux pays s’y refusent. Jamais, entre autres, le Congrès américain, à majorité républicaine, ne ratifiera un traité international qui comporterait une telle obligation. Ce qui ne signifie pas que les Etats ne soient pas crédibles vis-à-vis de leurs objectifs nationaux. La proposition de Washington (une baisse des émissions de 26 % à 28 % en 2025 par rapport à 2005) a été calibrée de manière à reposer uniquement sur les marges de manœuvre réglementaires dont dispose l’administration américaine, et donc éviter tout passage devant le Congrès.

Pas de sanction

Sur quoi au final l’accord de Paris pourrait-il être « contraignant », sachant par ailleurs qu’il ne prévoit aucun mécanisme de sanction à l’égard d’un Etat qui ne respecterait pas ses engagements internationaux quels qu’ils soient, mécanisme qui serait du reste impossible à mettre en œuvre ? A défaut d’obligation de résultat, la COP21 pourrait instaurer une obligation de comportement, en particulier sur deux points essentiels : la révision régulière et à la hausse des contributions nationales (dont la somme ne permettra pas à ce jour de respecter l’objectif des 2 °C) et la transparence sur leur mise en œuvre afin que les engagements pris soient crédibles. Deux points qui appellent un renforcement de la solidarité internationale en matière de politique climatique et sur lesquels le projet de texte de l’accord de Paris est truffé, comme ailleurs, de passages entre crochets. Ce qui promet ces deux semaines d’âpres batailles entre les négociateurs. L’accord de Paris sera-t-il contraignant sur quelque chose ?

  • 1. Voir « Etats-Unis : à l’Ouest, enfin du nouveau ? », par Emilie Alberola et Marion Afriat, I4CE et « L’Europe peine à assumer ses ambitions climatiques », par Olivier Sartor et Mathilde Mathieu, IDDRI, dans « Climat. Les solutions pour sauver la planète », Alternatives Internationales, numéro spécial Cop 21, novembre 2015.

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Commentaires (1)
ELEGEHESSE 30/11/2015
La situation est très raisonnable : la sensibilité climatique = augmentation de la température de la terre pour un doublement de la concentration en CO2 n'est pas encore calculable sur les observations, mais au fur et à mesure que le temps passera, 2025-2030, les stats accumulées permettront de calculer cette sensibilité climatique et de savoir quelle est la baisse d'émissions de CO2 vraiment nécessaire à quel rythme et à quels coûts d'énergie par rapport aux coûts qu'auront atteint les énergies non carbonées.
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