Négociations climat

Où trouver les 100 milliards de dollars ?

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Rivière Burigonga à Dhaka, la capitale du Bangladesh, un pays parmi les plus pauvres du monde et les plus touchés par le dérèglement climatique. PHOTO : ZUMA Wire/ZUMA/REA

Comment financer les 100 milliards de dollars par an promis en 2009 à Copenhague aux pays du Sud pour les aider à lutter contre le changement climatique ? A Bonn, où les négociateurs climatiques sont réunis jusqu’au 11 juin, la question reste entière. Avancer sur ce sujet clé est pourtant crucial pour parvenir à un accord international sur le climat en décembre prochain, alerte un rapport du think tank américain World Ressources Institute (WRI), qui explore les pistes possibles.

« Nous ne parviendrons pas à un accord à Paris sans un accord sur le financement. Aussi, définir une feuille de route crédible pour atteindre les 100 milliards de dollars est un sujet d’une importance stratégique pour le sommet du G7 qui se tient ces jours prochains », prévient Pascal Canfin, ancien ministre du Développement et conseiller pour le climat au World Resources Institute (WRI). Lui et d’autres experts de ce think tank américain internationalement reconnu ont dessiné des pistes pour avancer, dans un rapport présenté mercredi dernier à Bonn. La date n’a pas été choisie par hasard : les membres du G7 se réunissent ce dimanche en Bavière et ces propositions leurs sont clairement adressées.

Copenhague

C’est en décembre 2009 à Copenhague, lors de la 15e Conférence annuelle des parties à la Convention des Nations unies sur le climat (la « COP 15 »), que ce sujet épineux des « 100 milliards » est venu sur la table. L’enjeu des discussions est alors de donner une suite au protocole de Kyoto, signé en 1997, entré en vigueur en 2005 et dont la première période d’engagement expire en 2012. Et de faire entrer les principaux pollueurs, la Chine et les Etats-Unis dans un accord climatique international.

Or, les Etats-Unis et la Chine n’ont jamais voulu entendre parler du protocole de Kyoto, un traité contraignant fixant une baisse des émissions au niveau mondial et répartie entre Etats signataires. Ils accepteraient, en revanche, d’intégrer un accord international reposant sur des engagements libres et volontaires des Etats. C’est cette option qui a été proposée à Copenhague, face au constat d’échec de la renégociation du protocole de Kyoto. Et pour faire accepter au reste du monde la pilule d’un accord international « à la carte » que l’on se propose d’adopter en 2015 à Paris, les pays développés ont annoncé qu’ils apporteraient 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 aux pays en développement, afin de soutenir leurs efforts en matière de réduction de leurs émissions et d’adaptation au changement climatique.

La promesse des 100 milliards reste à tenir

A six mois de la conférence de Paris cependant, force est de constater que le « deal de Copenhague » est encore bien creux. Au-delà du fait que les engagements de baisse d’émission mis sur la table sont très insuffisants (voir « A Bonn, tout reste à faire, ou presque »), la promesse des 100 milliards reste à tenir. Il n’y a toujours pas de consensus sur les moyens d’y parvenir ni sur ce que l’on compte et ne compte pas comme finance climat, entre les dons, les prêts publics concessionnels et non concessionnels, les investissements privés…

Financements publics

Le rapport du WRI permet d’y voir plus clair et délimite l’ordre des possibles. Tout d’abord, il écarte sans ambiguïté l’idée que l’on puisse atteindre les 100 milliards uniquement sur la base des financements publics.

Le rapport du WRI écarte l’idée que l’on puisse atteindre les 100 milliards uniquement sur la base des financements publics

Et encore moins sur la base de financements publics fléchés vers les fonds verts multilatéraux, tels que notifiés par les Etats au secrétariat de la Convention des Nations unies sur le climat. Ces derniers ont représenté 17 milliards d’euros en 2012. Leur sextuplement dans un contexte budgétaire très contraint est tout simplement irréaliste.

Il faudra donc également compter dans les sources publiques les financements « bas carbone » et en faveur de l’adaptation apportés par les banques internationales de développement (Banque mondiale, BERD, BAD…) ainsi qu’une part de l’aide publique au développement bilatérale. Mais même en ajoutant ces sources, le compte n’y est pas. Sur la base d’un scénario de croissance plus rapide de ces ressources que la tendance actuelle, le WRI calcule que l’on passerait de 42 milliards en 2012 à 77 milliards en 2020. Et à 67 milliards selon un scénario de croissance faible, sur la base des tendances passées, qui paraît plus réaliste.

Effet de levier et investissements privés

Pour arriver à un deal sur les 100 milliards, les pays du Sud devront donc nécessairement accepter que l’on comptabilise dans ces flux une part considérable d’investissements privés, ce qui se justifie dans la mesure où ils sont déclenchés par l’effet de levier représenté par les apports de capitaux et de garanties publics. Mais il faudra pour cela pouvoir mesurer précisément l’importance de cet effet de levier et si les investissements privés n’auraient pas été réalisés de toutes manières. Chaudes négociations en perspective.  

 

Le WRI rappelle qu’en 2011, les soutiens publics à la consommation d’énergies fossiles ont totalisé 76,4 milliards de dollars dans les pays de l’OCDE

Inversement, si le rapport du WRI montre que l’on peut boucler la boucle en intégrant l’effet de levier sur l’investissement privé, il n’en insiste pas moins vis-à-vis des pays riches sur le fait que les 100 milliards ne seront pas atteints sans une hausse des fonds publics dédiés au climat (sans laquelle l’effet de levier sera insuffisant). Ce qui ne pourra pas se faire, rappelle le WRI en réduisant les dépenses d’aide au développement affectées à d’autres secteurs, mais en développant de nouvelles ressources. Les instruments à actionner existent : annulations de dette, taxes sur les transactions financières internationales et surtout baisse des subventions aux énergies fossiles. Le WRI rappelle par exemple qu’en 2011, les soutiens publics à leur consommation ont totalisé 76,4 milliards de dollars dans les pays de l’OCDE.

Nature des fonds publics

Last but no least, il faudra aussi que pays du Sud et du Nord s’accordent sur la nature des fonds publics à comptabiliser comme aide pour le climat et sur leur

Si la France et le Japon peuvent se déclarer les plus grosses contributions au monde, c’est parce que l’essentiel de ces fonds sont des prêts à des taux commerciaux et non des dons

répartition, entre atténuation des émissions et adaptation aux risques. Aujourd’hui, si la France et le Japon peuvent s’enorgueillir de déclarer au secrétariat de la Convention climat les plus grosses contributions au monde, c’est parce que l’essentiel de ces fonds sont des prêts à des taux commerciaux et non des dons (voir graphique). La question est d’importance : il est bien plus facile de mobiliser de l’argent pour des investissements dans l’éolien ou le photovoltaïque, de plus en plus rentables, que de diriger des fonds vers l’agroécologie et le développement rural afin de prévenir les impacts d’un changement climatique, qui affectera les pauvres au premier chef.

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