Le groupe d’experts sur le Smic propose dans son dernier rapport de modifier le système de revalorisation automatique du salaire minimum. ©Michel GAILLARD/REA
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Entretien

Faut-il geler la revalorisation automatique du Smic ?

4 min
Michaël Zemmour Maître de conférences en économie à l'université Paris Panthéon Sorbonne, chercheur au LIEPP (Sciences Po)

Le groupe d’experts sur le Smic, présidé par Gilbert Cette, a publié hier son rapport annuel. Si, comme chaque année depuis sa création en 2008, les experts conseillent au gouvernement de ne pas accorder de « coup de pouce » au salaire minimum, ce neuvième rapport va plus loin. En effet, les auteurs y avancent plusieurs propositions pour réformer en profondeur le mode de revalorisation du Smic. Si l’exécutif ne semble pas favorable à leur application directe, ce rapport relance le débat sur le coût du travail. Explications avec Michael Zemmour, enseignant-chercheur en économie à l’Université de Lille, spécialiste des questions de protection sociale.

Aujourd’hui, comment est revalorisé le Smic ?

Le Smic peut être revalorisé selon deux mécanismes. Le premier mécanisme est discrétionnaire, il tient uniquement à la volonté du gouvernement de donner un « coup de pouce » au salaire minimum. En période de prospérité, il peut par exemple être décidé de booster le Smic pour mieux répartir les fruits de la croissance. En réalité, le seul coup de pouce accordé au Smic depuis 2008 a été décidé par François Hollande juste après son élection en juillet 2012 (+ 0,6 %).

En parallèle, le Smic est revalorisé systématiquement chaque année en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation – calculé pour un panier de biens représentatif des 20 % des ménages les plus modestes – et de la moitié des gains de pouvoir d’achat du salaire horaire brut moyen des ouvriers et des employés.

Que propose le groupe d’experts ?

Outre sa volonté affichée de ne pas accorder de coup de pouce au Smic, le groupe d’experts propose deux pistes de réforme. La première consiste à supprimer le salaire moyen du calcul de l’indexation systématique du Smic, et la seconde à supprimer tout mécanisme d’indexation.

« Le principal message du rapport consiste à dire que le coût du travail est l’ennemi de l’emploi »

Le principal message du rapport consiste à dire que le coût du travail est l’ennemi de l’emploi. C’est d’ailleurs la doctrine qui a guidé toutes les politiques de l’emploi menées depuis une dizaine d’années. C’est cependant loin d’être le cas, comme en témoigne le bilan mitigé du Cice et du pacte de responsabilité, qui ont directement diminué le coût du travail pour les employeurs, sans effet sensible sur l’emploi.

Autre argument, plus technique, mis en avant par les auteurs du rapport pour justifier une désindexation : la volonté de rompre le mécanisme de « circularité de l’indexation » selon laquelle une hausse du Smic entraînerait une hausse du salaire moyen puis, par effet retour, une nouvelle hausse du Smic l’année suivante. En effet, dans les négociations salariales de branches ou d’entreprises, la revalorisation du Smic détermine l’évolution de tous les bas salaires. Mais cet effet de diffusion est relativement limité : l’impact étant concentré sur les salaires inférieurs à 1,3 Smic, une revalorisation de 1 % du Smic n’entraînerait qu’une hausse de 0,1 % du salaire moyen ; et donc un effet retour de 0, 05 % sur le Smic.

Selon les auteurs, une autre faiblesse du Smic serait son incapacité à réduire la pauvreté…

En effet, le rapport pointe l’inefficacité du salaire minimum à lutter contre la pauvreté laborieuse. Plutôt que de miser sur des revalorisations du Smic, les auteurs préconisent donc le renforcement de dispositifs plus ciblés – tels que la prime d’activité – qui ciblent des ménages relativement plus pauvres que certains travailleurs et travailleuses au Smic.

« La redistribution ex-post ne permet jamais de rattraper les inégalités que l’on laisse se creuser sur le marché du travail »

En réalité, les deux mesures sont tout à fait compatibles. D’autant plus que les comparaisons internationales nous prouvent que la redistribution ex-post ne permet jamais de rattraper les inégalités que l’on laisse se creuser sur le marché du travail.

Quel impact aurait cette réforme sur le pouvoir d’achat des salariés ?

En ne prenant en compte que la moitié des gains de pouvoir d’achat du salaire horaire brut et en se focalisant que sur l’inflation du 1er quintile, le système actuel de revalorisation du Smic organise déjà son décrochage. Depuis dix ans, le Smic n’a augmenté que de 0,4 % par an, moins que la croissance et le salaire moyen dans l’Hexagone. La désindexation proposée par les experts rompt tout de même l’accord tacite qui consistait, depuis le début des années 1990, à alléger le coût du travail pour les entreprises sans toucher aux salaires nets, via des allégements de cotisations.

Aucune inflation majeure ni hausse des salaires n’étant prévue à l’horizon, vouloir désindexer le Smic ne répond certainement pas à un risque d’emballement à la hausse des salaires, mais bien à une volonté de diminuer le Smic réel, en le laissant se faire grignoter petit à petit par l’inflation.

Propos recueillis par Aude Martin

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Commentaires (4)
morand 11/12/2017
J'admire les très bonnes intentions de ceux qui s'opposent à cette hypothèse; mais il faut tout de même prendre conscience que dans un contexte de gel des autres salaires, de baisse des pensions, (souvent employeurs, et que je désapprouve certes) le décalage devient important et bientôt, les smicar vont paraîtres riches
JEAN LUC 07/12/2017
Entièrement d'accord avec François, cette volonté d'appauvrir les salariés modestes revient à la même maladie que, pour une personne donnée, la boulimie (ou l'anorexie) : Vision à très court terme de se rassasier jusqu'au gavage, sans réfléchir au long terme. Question aux tenants de cette théorie : pourquoi croyez-vous que Henry Ford payait bien ses salariés ? pour qu'ils achètent ses voitures, non ?
Bernard GARRIGUES 07/12/2017
Nous ne pouvons que rester pantois devant l'absurdité généralisée des conclusions qu déposent à un rythme soutenu les différents collèges d'experts qu'entretien la République ... où est passé notre règle constitutionnelle du ne pas nuire ? Comment pouvons-nous discourir de l'emploi alors que nous n'avons même pas une unité robuste pour le mesurer ?
FRANCOIS 07/12/2017
L'étude avance que le SMIC ne réduit pas la pauvreté.Au lieu de réfléchir sur le moyen de baisser les capacités financières des premiers déciles,pourquoi ne pas réfléchir sur une limitation de versements de dividendes. Ainsi,les entreprises seraient astreintes à investir(de fait,créations d'emplois) et les actionnaires percevront leurs fonds......qui seront croissants en raison de la prosperation des commandes.
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