Entreprise

Faut-il s’attendre à un « mur des faillites » ?

7 min

Le nombre de défaillances d’entreprises augmente et pose une question : se heurte-t-on au mur des faillites que certains économistes craignaient après trois ans de « quoi qu’il en coûte » ?

Pour les salariés de la chaîne de restauration Courtepaille, le mois de juin a été synonyme d’angoisse d’abord. De désolation ensuite. « Je ne vous cache pas que je n'avais pas envie de partir… Je suis en pleine réflexion. Qu'est-ce que je vais faire dans les jours et semaines à suivre ? », confessait Océane, employée de l’enseigne à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), au micro de nos confrères de France Info.

La sentence est tombée le 21 juin : le tribunal de commerce de Nanterre a validé la reprise partielle de la marque, en redressement judiciaire, par le groupe La Boucherie…

Pour les salariés de la chaîne de restauration Courtepaille, le mois de juin a été synonyme d’angoisse d’abord. De désolation ensuite. « Je ne vous cache pas que je n’avais pas envie de partir… Je suis en pleine réflexion. Qu’est-ce que je vais faire dans les jours et semaines à suivre ? », confessait Océane, employée de l’enseigne à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis), au micro de nos confrères de France Info.

La sentence est tombée le 21 juin : le tribunal de commerce de Nanterre a validé la reprise partielle de la marque, en redressement judiciaire, par le groupe La Boucherie. Courtepaille ne disparaîtra pas totalement. Mais sur plus de 2 000 employés, seule la moitié des postes ont été sauvegardés. Et 130 des 200 établissements ont fermé. Dont celui de Livry-Gargan.

Les chiffres publiés par la Banque de France mi-août l’attestent : le nombre de défaillances d’entreprises1 continue de croître dans l’Hexagone. Fin juillet, le nombre cumulé sur les douze derniers mois atteignait les 49 863 (contre environ 35 000 en juillet 2022 et 28 000 en août 2021).

Il est vrai que certaines entreprises peuvent éprouver des difficultés liées à la conjoncture. L’inflation, par exemple, modifie les comportements, ce qui se répercute sur certains secteurs. « Les activités à destination des consommateurs sont les plus durement sinistrées : restauration rapide, alimentation générale, coiffure, habillement, soins, etc. », indique ainsi Thierry Millon, directeur des études au cabinet Altares.

Début juillet, dans un état des lieux des défaillances d’entreprise en France, il observe :

« 1 477 établissements de restauration ont défailli au cours de ce 2e trimestre. Le secteur des services aux particuliers est porté par les activités de coiffure et instituts de beauté, qui connaissent une sinistralité au plus haut sur dix ans [459 défaillances]. »

Le commerce d’habillement, par ailleurs, « affiche la hausse la plus sévère [308 défaillances], un nombre qui n’avait plus été atteint depuis plus de cinq ans ».

La hausse des taux d’intérêt, qui touche les frais financiers, peut également peser sur les comptes des entreprises, ajoute Jacques Fineschi, président du tribunal de commerce de Nanterre :

« Les banques vont être plus dures qu’elles n’ont pu l’être pendant le Covid pour ce qui est de négocier des moratoires ou des taux d’intérêt. »

Un retour progressif à la normale

Toutefois, pour expliquer cette hausse actuelle des défaillances, il faut aussi rappeler que des dispositions particulières avaient été prises avec la crise sanitaire. 

« Les faillites augmentent si l’on se réfère au creux historique de la période Covid-19. Mais si l’on regarde les chiffres d’avant la crise, on se retrouve à des niveaux similaires à 2019, rassure Nadine Levratto, économiste et directrice de recherche au CNRS. Ce qui était vraiment atypique finalement, c’est cette baisse incroyable des défaillances pendant la pandémie. Même au moment de l’explosion de la bulle Internet ou lors de la crise de 2008-2009, il n’y avait pas eu de chiffres si bas et pourtant l’économie était à l’arrêt. »

En 2020-2021, le fameux « quoi qu’il en coûte » a octroyé aux entreprises des aides, « généreuses et sans condition de bonne santé par exemple », rappelle Lionel Nesta, professeur à l’université Côte-d’Azur (Gredeg) et chercheur associé à l’OFCE.

Pendant cette même période, les tribunaux de commerce ont fonctionné au ralenti et les poursuites en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire des sociétés ont un moment été mises à l’arrêt.

Aujourd’hui, un retour progressif à la normale s’opère. Ce que confirme « sur le terrain » Jacques Fineschi, au tribunal de commerce de Nanterre :

« Depuis le mois de mars 2022, nous remarquons effectivement une reprise des procédures collectives. Celles-ci avaient beaucoup chuté pendant les deux années de Covid (2020-2021) et retrouvent désormais un niveau à peu près identique à celui de 2019. Il faut, par ailleurs, s’attendre au retour de plusieurs milliers de dossiers puisqu’en septembre-octobre, l’Urssaf va reprendre les assignations en redressement ou en liquidation judiciaire pour les mauvais payeurs. »

Pléthore d’outils pour les entreprises

Pour autant, pas de « mur des faillites » à l’horizon pour l’économiste Lionel Nesta, plutôt un simple rattrapage.

« Il est normal qu’une entreprise qui n’arrive plus à couvrir ses charges sorte du marché » – Nadine Levratto

Après avoir étudié les effets des aides versées par l’Etat aux entreprises pendant le Covid-19, il estime que les entreprises qui devaient mourir, meurent et que les firmes efficientes, elles, résistent. Il n’y aurait donc pas de « zombification de l’économie2 » liée à ces aides.

La hausse du nombre de défaillances serait même, pour l’économiste, plutôt un bon signe : « La sortie des entreprises non efficientes doit permettre de réallouer les ressources à d’autres activités plus profitables. » Bref, le processus de « destruction créatrice », identifié par l’économiste Joseph Schumpeter ferait son œuvre.

Nadine Levratto renchérit :

« Il ne faut pas minimiser les conséquences sociales que cela peut avoir, il risque d’y avoir un impact sur le chômage, à un moment, en plus, où les droits sociaux ont été détériorés. Mais sur le plan de la gestion des entreprises, il est normal qu’une entreprise qui n’arrive plus à couvrir ses charges sorte du marché. »

Au tribunal de commerce de Nanterre, Jacques Fineschi ne s’attend pas non plus à un tsunami de défaillances :

« Notamment parce qu’en France, nous avons toute une panoplie d’outils à disposition des entreprises (même si certains sont encore trop peu connus des PME qui n’effectuent ou ne peuvent pas effectuer la même veille que les grosses firmes). »

Parmi ces outils, il cite par exemple l’intervention du médiateur du crédit ou du conseiller départemental à la sortie de crise, pour ce qui concerne les Prêts garantis par l’Etat (dont seuls 4 % rencontrent des difficultés de remboursement3). Ou encore les procédures de conciliation et mandat ad hoc, qui permettent de déboucher, dans huit cas sur dix au sein des tribunaux de commerce, sur un arrangement entre les entreprises et les créanciers, les fournisseurs ou les clients.

Un dernier constat conforte encore le Nanterrien dans ses prévisions plutôt optimistes : « Même s’il y a une reprise des procédures collectives, les sauvegardes et redressements judiciaires – qui sont une étape vers du mieux – progressent beaucoup plus que les liquidations elles-mêmes. »

  • 1. Il y a défaillance d’entreprise lorsqu’elle rencontre des difficultés plus ou moins graves à payer les salaires, ses fournisseurs ou ses autres dettes. Lorsque les premières difficultés apparaissent, elle peut avoir recours à la procédure de sauvegarde, ce qui entraîne la nomination d’un administrateur judiciaire, chargé d’assister le dirigeant dans la mise en place d’un plan de sauvegarde. En cas de difficultés plus graves, l’entreprise est alors contrainte de déposer le bilan et doit se soumettre à la décision du tribunal de commerce, qui décide du redressement judiciaire ou de sa mise en liquidation.
  • 2. Des entreprises dont l’efficience productive est si faible qu’elles devraient sortir du marché, mais qu’elles y restent, grâce à des aides.
  • 3. Interrogé par BFM Business, Philippe Brassac, président de la Fédération bancaire française (FBF) indiquait au mois de janvier qu’environ 25 % des montants des PGE, en capital, avaient déjà été remboursés.

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Commentaires (2)
FRANCIS TISON 03/09/2023
Comme beaucoup de journalistes on confond faillite qui est une sanction pénale pour des dirigeants qui ont commis des infractions avec liquidation judiciaire La même erreur est constatée par les journalistes qui parlent de déclarations d’impôt au lieu de déclaration de revenus FRANCIS TISON PROFESSEUR AGREGE EXONOMIE GESTION ET EXPERT COMPTABLE
DANIEL 31/08/2023
Conclusion : PERSONNE ne s'attend à un mur de faillites. Alors pourquoi ce titre ? Encore une fois, AE semble le regretter !
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