La question

Les féminicides ont-ils vraiment baissé de 20 % en 2023 ?

5 min

Début janvier, le garde des Sceaux a annoncé une baisse de 20 % des féminicides entre 2022 et 2023, mais ces chiffres sont contestés. Qu’en est-il ?

Le 2 janvier, le garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti a affirmé au Figaro que le nombre de meurtres de femmes par leur conjoint ou ex-conjoint était en baisse en 2023, et atteignait 94, contre 118 en 2022, soit une diminution de 20 %.

« Nous savons que lutter contre ce fléau prend du temps (…). Mais l’engagement de la justice française pour endiguer les féminicides porte tout de même ses premiers fruits », a-t-il commenté. Ces chiffres ont rapidement été contestés par plusieurs associations et collectifs féministes. Qu’en est-il ?

Premier sujet d’étonnement : en évoquant les 118 féminicides de 2022, le garde des Sceaux fait référence aux chiffres de la Délégation aux victimes (DAV) du ministère de l’Intérieur… 

Le 2 janvier, le garde des Sceaux Eric Dupont-Moretti a affirmé au Figaro que le nombre de meurtres de femmes par leur conjoint ou ex-conjoint était en baisse en 2023, et atteignait 94, contre 118 en 2022, soit une diminution de 20 %.

« Nous savons que lutter contre ce fléau prend du temps (…). Mais l’engagement de la justice française pour endiguer les féminicides porte tout de même ses premiers fruits », a-t-il commenté. Ces chiffres ont rapidement été contestés par plusieurs associations et collectifs féministes. Qu’en est-il ?

Premier sujet d’étonnement : en évoquant les 118 féminicides de 2022, le garde des Sceaux fait référence aux chiffres de la Délégation aux victimes (DAV) du ministère de l’Intérieur, « l’étude nationale sur les morts violentes au sein du couple », publiée chaque année depuis 2006. Or pour l’année 2023, la DAV n’a publié aucun chiffre et indique qu’aucun bilan provisoire ne sera disponible avant le 31 janvier 2024.

Le chiffre avancé par Eric Dupont-Moretti correspond, selon Franceinfo, aux remontées des parquets, et pourrait être corrigé ultérieurement, même si ce sera vraisemblablement à la marge. Reste une question : pourquoi le garde des Sceaux ouvre-t-il l’année en communiquant sur le sujet au mépris du calendrier retenu par le ministère de l’Intérieur ?

Des écarts avec les associations féministes

Deuxième sujet d’étonnement : les associations et collectifs féministes qui ont contribué depuis plusieurs années à mettre le sujet des féminicides sur le devant de la scène obtiennent des chiffres plus élevés, à partir de la veille qu’elles font de la presse nationale et de la presse quotidienne régionale.

Le collectif des féminicides par compagnon ou ex, qui mène ce travail depuis 2016, en est ainsi à 102 féminicides conjugaux en 2023 et souligne que plusieurs enquêtes pour mort suspecte sont toujours en cours. De son côté, l’Inter-Orga Féminicides (IOF), constituée en 2021, recense 134 féminicides en 2023, dont 72 % conjugaux, soit 97.

Précisons que les écarts entre les chiffres associatifs sont aisés à expliquer : le travail est entièrement réalisé par des bénévoles et repose sur les articles de presse. Il peut donc y avoir des « trous dans la raquette ».

Les institutions internationales retiennent une définition du féminicide plus large que celle de la France

A l’inverse, les chiffres du ministère de l’Intérieur reposent sur les déclarations des causes d’homicides par les services de police et de gendarmerie, complétées par une vérification auprès des parquets afin de préciser la qualification pénale. Sachant que le droit français ne reconnaît pas la notion de féminicide – le meurtre d’une femme en raison de son genre –, mais distingue le meurtre, l’assassinat (meurtre avec préméditation) et les violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

Une définition institutionnelle trop restreinte

Si les chiffres avancés par le ministre font réagir, c’est aussi que la définition du féminicide retenue par les institutions françaises est très restreinte : elle ne tient compte que des féminicides conjugaux et laisse de côté d’autres féminicides, les meurtres de mères par leurs fils, celui de femmes par des collègues ou un inconnu, ou encore les meurtres par des clients ou d’autres personnes sur des femmes exerçant le travail du sexe.

Si la notion de féminicide fait l’objet de discussions dans les milieux féministes depuis de longues années, c’est avec la publication en 1992 du livre des chercheuses Diana Russel et Jill Radford Femicide: the politics of women killing qu’il gagne en popularité, rappelle la journaliste Laurène Daycard dans Nos Absentes. A l’origine des féminicides (Seuil, 2023).

Les institutions internationales retiennent elles aussi une définition plus large que celle de la France. Les Nations unies distinguent depuis 2012 les féminicides intimes, commis par des proches, qu’ils soient conjoints ou parents de la victime, des féminicides non intimes, ceux commis contre les professions stigmatisées comme la prostitution, et les féminicides sexuels systémiques où il n’y a pas de lien préalable entre la victime et son meurtrier, comme les massacres de femmes parce qu’elles sont des femmes.

D’autres typologies sont possibles. En Espagne, comme le rapporte Le Monde, cinq types de féminicides sont comptabilisés : conjugaux, familiaux, sociaux (exécuté par un inconnu, un collègue de travail, un ami), sexuels (lié à la violence ou à l’exploitation sexuelle ainsi qu’au travail du sexe, mariage forcé ou mutilation génitale), et enfin, les féminicides par procuration, soit l’assassinat d’une personne (proches, enfants) pour nuire à une femme.

En France, si le collectif Féminicides par compagnon ou ex recense les féminicides conjugaux, l’Inter-Orga Féminicides retient une définition plus extensive. Elle distingue les féminicides conjugaux, familiaux (commis par un enfant ou un parent) et sociaux.

Au-delà des féminicides ?

Au-delà de la définition même du féminicide, d’autres phénomènes s’inscrivent dans le continuum des violences de genre qui structurent encore les sociétés contemporaines et doivent être a minima pris en compte.

C’est le cas des suicides forcés, reconnus dans le Code pénal depuis 2020, et définis comme des suicides ou tentatives de suicides provoquées à la suite de harcèlement dans le cadre de violences conjugales.

Certains plaident pour leur intégration dans la définition du féminicide. En 2022, les services du ministère de l’Intérieur en ont recensé 759, presque exclusivement des femmes. Cela correspond à une multiplication par 3,3 depuis 2020, qui dit aussi une meilleure appréhension du phénomène.

A cela s’ajoutent les tentatives de féminicides, qui, si elles n’aboutissent pas à la mort de la victime, ont pourtant des conséquences destructrices. Le ministère de l’Intérieur recense ainsi 366 tentatives d’homicides au sein du couple en 2022, dont 267 contre des femmes. Cela, sans compter les infanticides commis dans le cadre de violences conjugales, ou les traumatismes d’enfants survivants d’un féminicide. Bref, pas de quoi pavoiser.

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Commentaires (3)
Pascale Brachet 14/01/2024
Voici où trouver la méthodologie des décomptes des féminicides par les associations féministes ou alliées : https://www.noustoutes.org/comprendre-les-chiffres/ et sur la même page https://www.noustoutes.org/mur-femmages-2023/#decompte-methodologie
Charlie P 11/01/2024
Article très fort car effectivement, ne pas qualifier les meurtres de femmes non conjugaux, fait baisser le chiffre : les femmes subissant du harcèlement violent pouvant conduire au suicide ou celles assassinées à la sortie d'une boite de nuit. Alors est ce pour communiquer sur un bilan positif que le ministre manipule sciemment la réalité. Quelle prévention ? On entend les alertes sur les abus de l'alcool mais rien sur les comportements masculins dangereux pour autrui (ex le violentomère).
DANIEL 10/01/2024
"Pourquoi le garde des Sceaux ouvre-t-il l’année en communiquant sur le sujet au mépris du calendrier retenu par le ministère de l’Intérieur ?" Ah ? Et Qu'est-ce qui oblige le garde des Sceaux à se plier au calendrier du ministère de l’Intérieur ?
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