L’empire urbain de la finance. Pouvoirs et inégalités de gestion d’actifs

par Antoine Guironnet et Ludovic Halbert Editions Amsterdam, 2023, 317 p., 22 €.

Une partie croissante de nos villes deviennent des actifs financiers. On assiste au développement d’une propriété urbaine actionnariale qui a toutes les caractéristiques du capitalisme financiarisé. Certes, la chose n’est pas une nouveauté. Comme le rappellent d’emblée les auteurs de ce livre, la seconde moitié du XIXe siècle a déjà connu ce genre de situation, les frères Emile et Isaac Pereire étaient des investisseurs financiers très actifs dans l’immobilier. Ils ont pu s’appuyer à l’époque sur trois socles : la reconnaissance de la propriété privée du sol, la marchandisation des titres fonciers et la disponibilité de capitaux pour investir dans ce type de placement. La « pierre-­papier » a ensuite connu des fluctuations jusqu’à s’imposer aujourd’hui.

Avec le soutien de l’État

Les fonds de pension, les compagnies d’assurances ainsi que les fonds souverains sont les premiers investisseurs dans le domaine. Ils y cherchent du rendement à long terme. Mais ceux qui font le marché, ce sont en fait les gérants de fonds immobiliers français et étrangers, le géant Blackstone en tête.

L’ouvrage montre bien comment l’Etat, par ses assouplissements réglementaires et fiscaux, soutient cette financiarisation des espaces urbains qui concerne essentiellement l’immobilier commercial. Il est aiguillonné par la Fédération des sociétés immobilières et foncières, le lobby du secteur, qui sait se faire entendre des dirigeants politiques mais aussi des hauts fonctionnaires dont le pantouflage est accueilli à bras ouverts.

Il faut dire que la tentation est grande, les salaires sont élevés dans le secteur (un manager capé tourne autour de 10 000 euros par mois). Comme dans le reste de la finance, tout un ensemble de professionnels du droit et du chiffre (fiscalistes, comptables, juristes, notaires) se sert au passage en contrepartie de conseils d’optimisation fiscale et financière (les auteurs appellent à juste titre à creuser le rôle des paradis fiscaux dans tout cela) en faveur des actionnaires des structures de placement qui vont des institutionnels aux particuliers très aisés.

Business plan et rentabilité

Les économistes spécialistes en finance s’étonneront peut-être de voir les deux auteurs faire grand cas du fait que ce genre de pratiques suit un business plan, que la rentabilité des placements se fait en valeur actualisée et que les acteurs suivent des pratiques autoréférentielles dans le cadre de conventions d’investissement partagé. Des acquis assez anciens pour eux.

On se trouve dans un cas où la finance n’est pas du tout déconnectée du réel. La forme des villes se doit de suivre les profits des gestionnaires immobiliers qui veulent du tout-bureau et refusent la mixité fonctionnelle. Le livre montre comment se tissent les liens entre gestionnaires et décideurs locaux dans les observatoires de l’immobilier et le fameux Mipim (Marché international des professionnels de l’immobilier). Contrairement au reste de la finance, la propriété urbaine actionnariale et ses inégalités territoriales font peu l’objet de contestation de la part de la société civile. Voici un livre qui l’incitera sûrement à agir !

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