Syrie

La guerre éclair de Donald Trump

6 min
Conférence de presse de Donald Trump, sur des frappes américaines visant une base militaire syrienne. PHOTO : ©DOUG MILLS/The New York Times-REDUX-REA
Par Yann Mens

La preuve est faite s’il en était encore besoin : Donald Trump est vraiment imprévisible et il n’est pas Barack Obama. En faisant tirer 59 missiles Tomahawk contre une base militaire syrienne, d’où avaient décollé les avions de chasse responsables d’une attaque chimique présumée le 4 avril contre la ville de Kahn Cheikhoun, le président américain a provisoirement rompu avec la priorité qu’il s’était fixée pour le Moyen Orient : détruire l’Etat Islamique. Un objectif qui, en Syrie, supposait de laisser de côté la question du devenir de Bachar al-Assad et de son régime. Le 30 mars, Nikki Haley, ambassadrice américaine auprès de l’Organisation des Nations unies, déclarait d’ailleurs : « Notre priorité n’est plus de rester assis là, à nous concentrer sur faire partir Assad. » Le 3 avril, elle qualifiait certes le président syrien de « criminel de guerre », mais précisait dans le même souffle que les Etats-Unis pourraient avoir besoin de travailler avec lui pour battre l’Etat Islamique.

L’avenir incertain d’Assad

Mais l’attaque du 4 avril contre Kahn Cheikhoun, qui a fait au moins 86 victimes civiles, parmi lesquelles de nombreux enfants, et dont les images ont été largement diffusées par les médias du monde entier, a bouleversé, au moins pour un temps, l’agenda de l’administration Trump. Au point que quelques heures avant le tir de missiles américains contre la base syrienne d’Al-Chaayrate, Rex Tillerson, Secrétaire d’Etat américain, déclarait : « Le rôle d’Assad à l’avenir est incertain et avec les actes qu’il a perpétrés, il semblerait qu’il n’ait aucun rôle pour gouverner le peuple syrien. »

Le tir de Tomahawk est aussi une rupture avec la politique de Barack Obama, qui avait d’abord fait de l’utilisation de l’arme chimique une ligne rouge, puis s’était ensuite refusé à utiliser la force contre le régime syrien après la mort de plusieurs centaines de personnes, victimes d’un bombardement au gaz sarin en août 2013. Cette volte-face de Barack Obama faisait suite à un vote du Parlement britannique qui, à la surprise du Premier ministre d’alors, le conservateur David Cameron, s’était refusé à autoriser l’usage de la force contre le régime Assad, alors que la France, par la voix de François Hollande, y était favorable.

Pour Donald Trump, il est dans « l’intérêt vital de la sécurité des Etats-Unis d’empêcher l’usage et la prolifération d’armes chimiques mortelles »

Pour justifier le tir de missiles contre la base d’Al-Chaayrate, Donald Trump, élu sur la promesse d’un recentrage des Etats-Unis sur leurs affaires intérieures, a invoqué la violation par la Syrie de conventions internationales. Mais il a surtout affirmé qu’il était dans « l’intérêt vital de la sécurité des Etats-Unis d’empêcher l’usage et la prolifération d’armes chimiques mortelles ». Et donc, leur éventuelle banalisation. Dans la foulée des déclarations de son Secrétaire d’Etat sur l’avenir incertain de Bachar al-Assad, le président américain a aussi appelé « toutes les nations civilisées à se joindre [aux Etats-Unis] pour mettre fin au massacre et au bain de sang en Syrie ». En revanche, il s’est gardé d’affirmer que les Etats-Unis étaient décidés à user de l’arme militaire pour renverser le tyran de Damas.

Contrairement à son prédécesseur, Donald Trump a donc tiré rapidement les conséquences du bombardement contre Kahn Cheikhoun, sans attendre l’aval improbable du Conseil de sécurité de l’ONU, au sein duquel la Russie soutient fermement Damas. Pour autant, le message qu’il adresse à Bachar al-Assad reste substantiellement le même que celui de Barack Obama : vous et vos alliés pouvez continuer à bombarder votre population à coups d’armes conventionnelles, des armes responsables de la quasi-totalité des centaines de milliers de morts du conflit syrien, mais abstenez-vous d’employer des substances interdites par le droit international. Et de le faire, qui plus est, sous l’œil des caméras.

Opposition affaiblie

Si elle est confirmée, l’utilisation d’armes chimiques par le régime Assad est d’autant plus surprenante que, depuis la chute d’Alep Est en décembre dernier, obtenue grâce au soutien russe, iranien et du Hezbollah libanais, le pouvoir syrien est en bien meilleure posture qu’avant l’intervention militaire directe de Moscou dans le conflit, décidée en septembre 2015. Les différents groupes armés d’opposition au régime contrôlent des zones disparates et ne tiennent plus de très grandes villes. Leur principal bastion est la province d’Idlib, dont deux coalitions, l’une emmenée par l’ex-filiale d’al-Qaida en Syrie, l’autre par un groupe salafiste nationaliste, se disputent le contrôle. Certes ces dernières semaines, certains de ces groupes ont lancé une offensive en direction de la province voisine de Hama, reprenant plusieurs localités au régime. Leur progression a-t-elle inquiété le pouvoir au point qu’il se risque à utiliser des armes chimiques ? Dans ce cas, à quel niveau de sa hiérarchie politico-militaire la décision a-t-elle été prise ? Et surtout, les autorités russes en ont-elles été informées ? L’utilisation d’armes chimiques serait en effet publiquement embarrassante pour la Russie qui s’était portée garante de l’accord conclu en 2013, lequel prévoyait l’élimination totale des armes chimiques syriennes.

La Russie, qui annexé la Crimée, parle en Syrie d’une agression américaine contre un Etat souverain…

La priorité de Moscou ces derniers jours a d’abord été de dégager sa propre responsabilité dans le bombardement de Kahn Cheikhoun en affirmant rapidement que les avions qui avaient frappé la ville étaient syriens. Le régime de Vladimir Poutine a ensuite tenté de disculper son allié en avançant une explication qui ne semble pas convaincre les experts des armes chimiques : les appareils de Bachar al-Assad auraient frappé un dépôt de munitions chimiques des rebelles… Puis Moscou s’est opposé à un projet de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Enfin, quelques heures après le bombardement de la base d’Al-Chaayrate par les Tomahawk américains, Vladimir Poutine a affirmé que ces frappes étaient une « agression » contre« un Etat souverain ». Une affirmation qui ne manque pas de piquant venant d’un pays qui occupe deux régions géorgiennes (l’Abkhazie, l’Ossétie du Sud), a annexé une région d’Ukraine (la Crimée) et fomenté une guerre sécessionniste dans une autre (le Donbass)...

La peur de l’escalade

Les Etats-Unis et la Russie ont jusqu’ici pris grand soin de ne pas risquer une confrontation directe de leurs armées en Syrie, et notamment de leurs aviations, toutes deux actives dans le pays. Le Pentagone affirme avoir ainsi prévenu ses homologues russes du tir de missiles contre la base syrienne, afin qu’il puisse en évacuer leurs militaires présents sur la base. Cela n’a pas empêché Moscou d’annoncer rapidement que la Russie suspendait l’accord avec les Etats-Unis sur la sécurité de leurs vols respectifs des opérations en Syrie. Une décision qui pourrait profiter à l’Etat Islamique si, par crainte d’un incident, Washington décidait de limiter ses bombardements contre Raqqa, capitale du califat autoproclamé ; et ce alors même que l’éradication de l’Etat Islamique reste la priorité de Donald Trump, bien avant la chute du régime Assad. Un régime que la Russie, elle, continuera de soutenir, armes chimiques ou pas.

 

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !