Opinion

Immigration : ne pas se cacher derrière le Conseil constitutionnel

5 min
Hervé Nathan Journaliste

Ce qui était attendu, est arrivé : le Conseil constitutionnel a largement censuré la loi sur l’immigration, votée le 19 décembre dernier par une large partie des députés macronistes, associés aux LR et au Rassemblement national.

Ce texte, fortement inspiré du programme de Marine Le Pen, comme le démontre une étude de Terra nova, sera donc amputé de 35 articles et parmi ceux-ci des plus scandaleux comme les délais pour obtenir certaines allocations familiales pour les familles immigrées en situation régulière, les restrictions du regroupement familial, la « caution de retour » pour les étudiants, le rétablissement du délit de séjour irrégulier, l’établissement de quotas d’immigrés annuels…

Impossible néanmoins de se sentir réellement rassuré par la décision des juges de la rue de Montpensier : la censure totale, « au fond », ne concerne qu’un seul article (sur un débat annuel au Parlement), et deux ont été assortis de réserves d’interprétation qui en limitent la portée. Tous les autres sont des « cavaliers législatifs » et pourraient être repris dans une autre loi à venir, que les LR et le RN exigent d’ores et déjà, en criant au « coup d’Etat de droit ».

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Nous aurions tort de nous sentir protégés par une sorte de parapluie constitutionnel du « pays des Droits de l’Homme », dont la réalité, au moins pour ce qui concerne les étrangers, est bien illusoire.

Machine à refouler

En attendant cet éventuel deuxième round, il faut se rendre à l’évidence, une « loi Darmanin » va bien être promulguée aujourd’hui, qui compte une cinquantaine d’articles (contre 25 dans le projet déposé par le gouvernement). Ce texte est un pâté d’alouette, dont on sait que la recette comporte deux ingrédients : un cheval et une alouette.

Nous aurions tort de nous sentir protégés par une sorte de parapluie constitutionnel du « pays des Droits de l’Homme »

Pour l’alouette, c’est l’article qui permet la régularisation des travailleurs sans papiers, dans certaines conditions, sans avoir besoin de l’accord de l’employeur. Mais là où le texte initial prévoyait un droit opposable pour les travailleurs désirant sortir de la clandestinité, sa version définitive laisse entière liberté de refuser ou d’accepter la demande de régularisation. Il n’y a pas de miracle à en attendre : le gouvernement avait annoncé les chiffres dès l’automne 2023 : environ 7 000 régularisations par an environ, soit peu ou prou comme d’habitude !

A noter l’obligation de formation payée par les employeurs pour les étrangers allophones ou la lutte contre les réseaux de passeurs. Et aussi l’interdiction de placer un mineur en centre de rétention, mais cet enfermement des enfants ne se pratiquait déjà plus…

Pour le cheval, c’est une rafale de dispositions destinées à faciliter les expulsions d’immigrés dont le juge unique pour la Cour du droit d’asile, et la possibilité de renvoyer dans son pays « d’origine » une personne présente en France avant l’âge de 13 ans (qui ne concernerait pas moins de 4 000 personnes, selon le ministère de l’Intérieur), la suppression de l’aide sociale à l’enfance pour les mineurs frappés d’une obligation de quitter le territoire (OQTF), la légalisation des visas d’entrée pour les ressortissants des pays reprenant leurs nationaux expulsés, les audiences en visioconférence pour les procédures d’expulsion, etc.

La machine à refouler les étrangers va donc pouvoir tourner à plein régime et on peut parier qu’elle ne concernera pas que les délinquants notoires et les apprentis terroristes, malgré les proclamations d’intention du ministre de l’Intérieur.

Echec des états-majors de gauche

On a tiré ici les conséquences politiques pour le camp macroniste, mais la dérive libérale autoritaire manifeste du pouvoir qui se voulait autrefois « progressiste » n’exonère pas l’opposition de gauche de son examen de conscience.

Aveuglés par leurs querelles de chapelle, les partis qui la composent se sont montrés incapables de freiner un tant soit peu la dérive anti-immigrés du débat politique. En ont-ils eu la volonté ?

La machine à refouler les étrangers va pouvoir tourner à plein régime

Pour ne prendre qu’un exemple, ce n’est qu’au lendemain du vote de la loi que les responsables de La France Insoumise se sont enquis de réunir les partis de la Nupes, qu’ils déclaraient décédée quelques semaines plus tôt…

Ce n’est qu’ensuite qu’ont retenti les appels à la mobilisation et aux manifestations des syndicalistes et des associations, qui n’auront lieu qu’en janvier, sans éviter les bisbilles de préséances.

C’était trop tard, et les assauts d’éloquence des parlementaires ont sonné creux. Rien d’étonnant alors que les sondages qui ont horreur du vide politique laissé par la gauche proclament le soutien des deux tiers de l’opinion publique à la loi Darmanin-Le Pen-Ciotti.

C’est la deuxième fois en un an que les états-majors échouent à combattre une réforme qui atteint profondément les conditions d’existence des catégories populaires, alors que c’est un des ressorts profonds du mouvement social. La première occasion gâchée était celle des retraites, lorsque l’obstruction parlementaire a empêché le vote du report de l’âge de départ à 64 ans, contre la demande des organisations syndicales. La seconde est donc l’immigration. C’est deux fois de trop.

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Commentaires (2)
Gourou51 26/01/2024
Du jamais vu sous la Vème République! Un gouvernement qui fait voter une loi qui sait qu'elle sera rejetée en partie par le Conseil constitutionnel . Une opposition de droite et d'extrême droite qui crie victoire alors qu'elle sait également comment cela va se terminer. Et puis une opposition de gauche qui crie au fascisme ! Macron et son gouvernement sont machiavéliques et nos députés et sénateurs sont incompétents pour se laisser balader de cette manière...
VERSON THIERRY 29/01/2024
Ce que je trouve pitoyable, c'est qu'on assiste à un numéro de com et d'idéologie de tous les côtés et personne ne se soucie d'étudier le sujet en détail. Pour ma part, je pense qu'il faut une convention citoyenne chargée de faire le point sur tous les aspects de l'immigration pour en finir avec les fantasmes et définir les termes d'un référendum.
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