Opinion

L’illusion Gabriel Attal face au mur du RN

5 min
Hervé Nathan Journaliste

On aura presque tout lu ou entendu sur Gabriel Attal à la suite de sa nomination comme Premier ministre par Emmanuel Macron : il est jeune (avec comme sous-entendu : il est photogénique, ça compte aussi), il est homosexuel (cf. Libération), ambitieux, avec un bagage universitaire, rappelle Le Figaro étudiant, et les archives de l’INA nous apprennent qu’il a fait du théâtre en CM2 à l’Ecole alsacienne, institution de la grande bourgeoisie éclairée. On sait aussi qu’il a été élevé dans la religion orthodoxe par sa mère d’origine russe blanche. Enfin, il ressemblerait… au Président ! La cour étant pleine d’éloges, on arrêtera ici la longue liste des qualités prêtées au nouveau locataire de Matignon.

A l’inverse, si l’on s’interroge sur ce pour quoi il a été nommé à ce poste, on ne trouve qu’une explication : ce jeune homme si populaire paraît être le seul membre du staff macroniste en position de « faire barrage au Rassemblement national », à cinq mois de l’élection du Parlement européen, où la liste de Jordan Bardella promet (selon les sondages, attendons de voir) d’écrabouiller celle de Renaissance, qui peine même à trouver une tête de liste présentable.

Pour camper un anti-Bardella, Gabriel Attal n’a pas attendu plus d’une heure après la passation de pouvoir à l’hôtel Matignon. Il s’est précipité chez les inondés du Nord-Pas-de-Calais. A une propriétaire dont le bar-tabac est embourbé par les pluies, il assure : « Vous êtes l’incarnation de la France qui se lève tôt. » Du Nicolas Sarkozy dans le texte, en somme. Car le Premier ministre n’aurait pas fait preuve de moins de compassion en lui disant : « Vous êtes une victime de l’incurie des pouvoirs publics qui ont négligé cette terre de polder, située sous le niveau de la haute mer depuis le XIIe siècle… ».

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Voici donc la méthode Attal, qui a fait de lui le chouchou des commentateurs : contourner le fond des problèmes, pour concentrer la communication sur ce qui fait mouche dans les médias. C’est ainsi qu’il a percé en quelques semaines à l’Education nationale à coups de propositions – remplacer l’abaya par l’uniforme, le brevet par un mini-bac couperet, le collège unique par des classes de niveau, l’esprit critique et citoyen des élèves par le respect de l’autorité – pour ne pas avoir à affronter le véritable problème : la crise dramatique de recrutement des enseignants (lire ici l’analyse de Philippe Watrelot).

Le chouchou du Figaro

En cinq mois de présence à l’Education nationale Gabriel Attal est devenu le préféré… du Figaro, organe central des partis de droite français. Celui-ci consacre sa une à saluer le « pari audacieux » en la personne de jeune ministre mais fixe la ligne qu’il devra suivre : « Au souci de l’autorité, de la transmission, du travail qu’il a montré rue de Grenelle, il va devoir ajouter l’obsession de la sécurité du quotidien, la maîtrise des frontières et des comptes publics, le retour aussi d’une fierté collective. »

L’éditorialiste ne cache pas son plaisir à la perspective de voir ce programme commun de la droite conservatrice et du RN mis en œuvre par un homme venant du PS (il y a longtemps, il est vrai).

Mais (faire) croire qu’on peut contrer l’extrême droite en reprenant ses mots et surtout en faisant son boulot à sa place, c’est là une illusion ! Le triste épisode de la loi immigration est là pour le démontrer : en votant une loi qui reprend les thématiques de la « priorité ou préférence nationale », plutôt que de faire reculer les thèses de Marine Le Pen, les macronistes n’ont fait que visser les boulons de leur futur cercueil.

Le piège dans lequel Emmanuel Macron a choisi d’enfermer non seulement son gouvernement et ses soutiens parlementaires mais aussi le pays tout entier n’a pas fini de produire des effets délétères. Le 25 janvier, le Conseil constitutionnel rendra sa décision sur le projet de loi qui lui est soumis. Près de 25 articles sont menacés de censure car contraires à la Constitution, soit sur le fond, soit sur la forme.

Plutôt que signer une victoire définitive du droit sur l’opportunisme et la démagogie, le verdict des juges suprêmes relancera, voire décuplera la polémique. Il est certain que les élus LR et RN relanceront la machine en exigeant le vote d’une loi reprenant tous les articles déclarés « cavaliers législatifs », c’est-à-dire, non contraires à la loi fondamentale, mais censurés car étrangers au but de la loi.

Mieux encore, ils proposeront de changer la constitution pour permettre enfin aux représentants du peuple de légiférer sur l’immigration, balayant dans le même mouvement un soi-disant « gouvernement des juges opposé aux aspirations du peuple souverain ». Encore un thème, porté par les extrêmes droites depuis des décennies en Hongrie, Pologne ou Israël, qui pourra prospérer un peu plus en France.

A peine deux semaines après sa prise de fonction, Gabriel Attal devra expliquer au nom de quoi il s’oppose à ce que soient mises en œuvre des dispositions pour lesquelles il s’était favorablement prononcé et pour lesquelles les députés de sa majorité relative avaient voté un mois auparavant. Pour se sortir de cette impasse, gageons qu’il lui faudra montrer autre chose que de la com’…

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Commentaires (6)
HUGUES 18/01/2024
Qu'attendre de quelqu'un qui n'a jamais travaillé dans le monde réel ? De la futilité ? Pas d'actions, que de la comm.... Sa 1ère sortie est édifiante : quelles mesures face aux nordistes les pieds dans l'eau ? Rien, face à la conjonction de l'impact du réchauffement climatique et de la non résilience des territoires. L'artificialisation des sols y touche 15% des surfaces contre 10% en moyenne nationale. Et que dire de la destruction des sols agricoles qui n'épongent plus rien.
JEAN PIERRE LEGUIL 16/01/2024
Je ne parie pas un kopeck ou un maravédis sur son avenir politique, si "Renaissance" se prend une raclée aux Européennes ... La "com", c'est une brume qui se dissipe assez vite.
ALICE 12/01/2024
Ce qui est assez triste en somme c est que nos dirigeants, a priori formés pour avoir la tête bien faite, mobilisent leur intelligence sur de la com plutôt que sur des solutions de fond à envisager pour répondre aux pb des français. Ajoutons à cela leur logiciel de pensée éco ancré dans le libéralisme rentier qui les conduit à déposséder les classes moyennes et stigmatiser les classes précaires. Bref, nous aurions besoin d’un renouveau qui n’arrive pas, en particulier à gauche !
Charlie P 12/01/2024
Soit, la "valeur n'attend pas le nombre des années". OK, on peut être le plus jeune 1er de la classe et néanmoins compétent. Mais d’où vient ce nouveau ministre. La valeur ne s'exprime pas tant par une qualité humaine extraordinaire que par la naissance et l'argent. Issu de la grande bourgeoisie même culturelle et armé dans les écoles les plus distinguées, le projet politique de G. Attal va donc reproduire et incarner le plus détestable conformisme économique mais ripoliné.
Rébénacq 12/01/2024
Vous avez raison, Attal ne ressemble pas à Macron, il n'est pas un pervers narcissique et il n'a pas fait l'ENA. Et il a l'expérience de mandats électifs. Mais je n'attend pas grand chose de lui. Comme Mme Borne, il sera cornaqué par Macron sans beaucoup de liberté d'action. Il a montré qu'il pouvait être un bon porte parole de son Président.
GARRIGUES BERNARD 11/01/2024
C'est peut être un peu plus subtil que cela : Macron a (peut-être) pris conscience de sa nullité politique ; ce qui n'est pas le cas de Gabriel ATTAL. Même en France, les périodes de cohabitation ont montré que l'intérêt public y étaient mieux traité. Il est probable qu'ils vont jouer à tous les deux les rôles du gentil et du méchant et aboutir à une dissolution au mois de mai ou juin avec des législatives à environ mi-mandat.
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