Opinion

Ukraine : les dollars ne meurent pas à la guerre

5 min
Hervé Nathan Journaliste

Il aura fallu des mois au Congrès des Etats-Unis pour débloquer l’aide de 60 milliards de dollars en faveur d’une Ukraine dont l’armée était – et demeure, on y reviendra – au bord de la rupture. La faute en revient bien entendu en premier lieu à Donald Trump et ses amis du Parti républicain, qui ont bloqué le texte à la Chambre des représentants où ils sont majoritaires.

Mais ces partisans du « MAGA » (Make America Great Again) ne faisaient que s’inscrire dans le courant isolationniste, animé par des admirateurs de Mussolini et de Hitler comme Charles Lindbergh ou Henry Ford qui avaient freiné l’intervention de l’armée américaine au secours des nations démocratiques contre le nazisme.

Et c’est bien en référence à cette époque que le speaker de la Chambre, le républicain Mike Johnson, a fini par apporter son soutien en affirmant : « Pour le dire franchement : je préfère envoyer des munitions à l’Ukraine qu’envoyer nos garçons se battre. »

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Les Européens sont-ils plus brillants ? Pendant que les Américains discutaient, ils se chamaillaient pour savoir qui avait envoyé le plus de vieux chars (ex-soviétiques, ou d’un modèle occidental des années 1980), de vieux avions (ex-soviétiques), de vieux canons (même les Caesar français n’étaient plus de toute jeunesse), de vieux fusils… Le ministère des Armées français a même eu le culot de déclarer ces dons de matériels, comme le vieil AMX-10 RC au prix du remplacement en neuf d’un Griffon ultramoderne !

Promesses non tenues

Personne, semble-t-il, n’avait pensé… aux munitions ! La France, si fière de ses canons, a dû avouer qu’elle ne pouvait pas produire plus de 30 000 obus par an, à condition de trouver de la poudre à l’étranger.

Le commissaire Breton, chargé de l’armement, a fait le tour des usines de l’Union européenne (UE) en catastrophe pour se rendre compte de son incapacité à livrer le million d’obus promis en 2024 avant l’année prochaine.

La France, si fière de ses canons, a dû avouer qu’elle ne pouvait pas produire plus de 30 000 obus par an

En 2022, le ministre de l’économie Bruno Le Maire nous assurait que « la guerre économique » à coups de sanctions allait provoquer « l’effondrement de l’économie russe ». Le Kremlin est toujours debout. On nous promet désormais la mobilisation générale, et « une industrie de la défense en mode industrie de guerre ».

On y croira lorsque Renault et Stellantis transformeront leurs beaux SUV en automitrailleuses, qu’Airbus embarquera des bombes dans ses A320, que l’Europe aura décidé de lever un impôt ad hoc et que la Banque centrale européenne (BCE) achètera les bons de la défense par dizaines de milliards.

Ce serait risible si les soldats ukrainiens n’étaient pas en attendant condamnés à recevoir dix obus russes, quand ils parviennent à en tirer un. Et que plusieurs mois dans cette situation ont grandement contribué à renverser la situation : de l’offensive ratée, les Ukrainiens ont dû passer à la défensive, et, aux dernières nouvelles, ne sont pas à l’abri d’un désastre.

Des munitions et des hommes

Diplomatiquement, les généraux américains disent s’attendre à « une situation difficile » dès la mi-mai, c’est-à-dire demain, lorsque les Russes déclencheront l’offensive de printemps attendue. Le temps que les nouveaux armements arrivent en quantité et qualité suffisantes – on parle de la fin de l’année pour les avions F15… –, l’armée russe pourrait bien s’approprier de nouveaux villages, sinon de nouvelles villes.

Les stratèges occidentaux ont déjà fait leur deuil des pertes de l’année 2024, et sortent la calculette. Aux côtés des 60 milliards de dollars de Washington, l’UE a versé ou promis 85 milliards d’euros. La Russie consacre environ 150 milliards de dollars (6 % de son PIB) pour l’ensemble de sa défense.

Au « dollaromètre », l’Ukraine devrait donc l’emporter et on entend des analyses selon lesquelles l’argent – donc le temps – travaillerait pour l’Ukraine et contre la Russie, comme au temps de la drôle de guerre. Un raisonnement pour le moins contestable : l’aide militaire américaine stricto sensu s’élève à 14 milliards. Celle des Européens est du même ordre de grandeur.

Pour gagner du terrain à la guerre et a fortiori pour la gagner tout court, il faut non seulement des armes mais aussi des soldats pour s’en servir

En face, avec beaucoup moins d’argent, la Russie et ses alliés nord-coréen et iranien parviennent à produire plus d’armes, même si elles sont plus rustiques que celles des Occidentaux. S’il en était autrement, on ne comprendrait pas la pluie de missiles et de drones qui s’abattent sur les infrastructures de l’Ukraine. Surtout, les dollars et les euros pourraient bien arriver non pas comme la cavalerie américaine, juste à temps pour sauver la caravane, mais comme les carabiniers italiens, c’est-à-dire trop tard.

Car pour gagner du terrain à la guerre et a fortiori pour la gagner tout court, il faut non seulement des armes mais aussi des soldats pour s’en servir. Ceux qui tiennent les 2 000 kilomètres de front sont sous les drapeaux depuis près de deux ans, et à l’arrière on ne se précipite pas pour les remplacer. Preuve que la relève est délicate, le gouvernement a abaissé l’âge de la conscription de 27 à 25 ans, et exige que les hommes exilés en âge de combattre reviennent dans leur pays.

L’explication est simple : les jeunes hommes ukrainiens, témoins effarés des tergiversations des Américains et de l’impéritie des Européens, sont de moins en moins motivés, et on peut les comprendre, pour rejoindre les combats, tant il est vrai que ce sont des êtres humains, et pas des dollars, qui meurent à la guerre.

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Commentaires (4)
Karl PAOLO 04/05/2024
un papier en tout pount décevant, partiel et partial!!!! Les declarations du Pic de la Mirandole de l’econoyqu’est Bruno Le Maire qui assurait que la fédération de Russie s’effondrerait ne sont meme pas relevées pas plus que les propositions et avertissements des autorités russes que les occidentaux, pretentieux et arrogants, ont choisi d’ignorer depuis 2007. La Russie n’est pas le Burkina Fasso ou le Mali dt la France devrait le savoir! Cet affrontement aurait pu se terminer des mars 2022!
FERNANDO FRANCO 01/05/2024
Dément, les arguments de la défaite sont toujours mitigés par des pronostiques impossibles à vérifier, le constat est donc toujours aussi inutile que le conflit lui-même. Cette guerre est devenue l'autoportrait d'une civilisation qui s'autodétruit par son recours à la sophistication technologique. Le moins important sont les êtres humains et pour cela on a inventé la comptabilité, on envoie donc des armes sans quil soit important d'y prévoir des bras pour les manœuvrer, quelle astuce!
FERNANDO FRANCO 01/05/2024
...heureusement, alors que les êtres humains y font défaut pour démontrer la suprématie annoncé des armes occidentales, c'est cet épisode rocambolesque qui finira par être l'acteur le plus judicieux et pertinent, du fait que ces armes restant stockées dans les hangars Ukrainiens sauront précipiter, enfin, la fin du conflit. Voilà que les occidentaux ont finalement joué la bonne carte.
Elegehesse 30/04/2024
Hélas ! L'Europe est nulle sur cet N-ième sujet.
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