Opinion

Les APE: accords de partenariat économique ou arrangements pour la pauvreté économique?

3 min
Jean Gadrey Professeur honoraire d'économie à l'Université Lille 1

Les populations qui seraient les plus touchées par les projets de libre-échange ou APE qui se négocient entre l’Union européenne et des chefs d’Etat africains sont les paysans et leurs familles. En Afrique subsaharienne, la population rurale représentait 63 % de la population totale en 2013, selon la Banque mondiale.

Peu de personnalités sont plus légitimes pour en parler que Mamadou Cissokho, président d’honneur du Roppa (Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest). Il est lui-même paysan au Sénégal et c’est à ce titre qu’il a adressé le 12 décembre une lettre ouverte aux dirigeants africains. En voici des extraits :

« Un adage nous enseigne que : “Si nous ne nous occupons pas de nous-mêmes, d’autres viendront le faire comme bon leur semblera !” La Cedeao [Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest]… est une grande productrice de bananes, d’ananas, de gomme arabique, de noix de cajou, d’huile de palme, de céréales, d’arachides, et bien nantie en produits d’élevage et de pêche, etc. A cela s’ajoutent les grandes richesses minières, forestières et les grands fleuves…

Pourquoi et comment cette région est-elle victime de la coopération internationale ? Est-ce lié au fait que : (i) nous avons été colonisés ; (ii) nous n’avons pas de secteur privé suffisamment consolidé ni d’industries ; (iii) nos monnaies ne nous appartiennent pas ; (iv) nous sommes pauvres…

Il a été demandé aux paysans de l’Afrique de l’Ouest de s’engager dans la transformation maîtrisée de leurs systèmes de production… Comment les convaincre que la compétition avec les produits agricoles de l’UE va faire leur bonheur en mettant entre parenthèses l’application de ces politiques agricoles ?

(…) L’accord de Cotonou en 2000 se compose de deux chapitres : (i) le Fonds européen de développement [FED], avec moins de 30 milliards d’euros pour les 77 pays sur vingt ans ; (ii) les “Accords de partenariat économique” [APE]. Les Américains en leur temps avaient été plus courageux en disant “Trade, Not Aid”. Notons que la dotation du FED par habitant et par an est d’environ 4 euros !
L’Union européenne nous a signifié cette limite : “Il n’y aura pas de fonds FED si on ne signe pas les APE !” “Ventre affamé n’a point d’oreilles !”

(…) On s’attendait à ce que la Cedeao cède eu égard au contexte sociopolitique difficile (la guerre civile au Sahel, la crise politique en Côte d’Ivoire, les dernières élections au Ghana, Boko Haram au Nigeria, Ebola…), mais aussi à la pression de l’Europe sur les Etats. (…) L’Europe a bien profité de son amitié avec nos régimes pour nous mettre la pression au moment où la stabilité, base de développement, est menacée. C’est cela “le partenariat” ? Profiter des faiblesses de ses partenaires pour avancer des pions ? » Fin de citation.

Bien que le Conseil européen vienne d’approuver ces APE, de vraies possibilités de les bloquer existent encore, tant en Europe qu’en Afrique. J’en reparlerai.

 

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