Chute du rouble

La Russie paie sa politique au prix fort

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Manifestation pro-Poutine a Moscou, en mars 2014. PHOTO : Anna Sergeeva/ZUMA/REA

Entre la Russie et l’Occident, la crise géopolitique, notamment en Ukraine, a laissé place à une guerre économique. Sanctions d’un côté, embargo de l’autre, chaque camp se répond avec ses armes. Mais avec la chute du cours du pétrole, la Russie pourrait perdre ce conflit : le rouble s’effondre face à l’euro et au dollar, la récession s’installe… En 2014, la croissance russe devrait péniblement atteindre 0,6 %. Et cela ne devrait pas s’arranger : alors que le gouvernement espérait une croissance de 1,2 % en 2015, il anticipe désormais une récession de 0,8 %. Quant à la banque centrale russe, elle estime que si le pétrole reste aussi peu cher, le produit intérieur brut (PIB) pourrait se contracter de 4,5 % à 4,8 % l’année prochaine. Retour sur les quatre faiblesses d’une économie au bord du chaos.

La Russie a une économie de rente

L’économie russe repose en grande partie sur les exportations d’hydrocarbures. Le pétrole représente 40 % du PIB, les deux tiers des exportations et un tiers du budget fédéral. Mais le cours du baril est en chute libre : il est passé sous la barre des 60 dollars le 16 décembre. Or, chaque fois que le prix du baril diminue d’un dollar, cela coûte 2,3 milliards de dollars de recettes à l’Etat russe, selon l’Economic Expert Group, un cabinet russe.

Conséquence de la chute du pétrole et des sanctions contre Moscou, le rouble dévisse. Il a perdu près de la moitié de sa valeur face au dollar et à l’euro depuis le début de l’année et les autorités n’arrivent pas à arrêter cette descente aux enfers. La banque centrale a augmenté progressivement son taux directeur, avant de lui faire faire un bond spectaculaire à 17 % en décembre (contre 5,5 % début mars et 9,5 % en octobre).

Pour soutenir sa monnaie, la banque centrale russe s’est également mise à vendre ses réserves de devises. Les réserves de change fondent ainsi à grande vitesse, plus de 1 % par semaine depuis trois mois : elles dépassent désormais à peine 415 milliards de dollars, contre 510 milliards fin 2013. Mais l’effet sur le rouble reste très limité.

Plus de 128 milliards de dollars de capitaux ont fui le pays

La chute du rouble a provoqué une forte inflation, en renchérissant le prix des produits importés. Les prix ont augmenté de 10 % en 2014 et cette hausse devrait s’élever à 15 % en moyenne l’année prochaine, selon des prévisions de la banque centrale.

Résultat, les Russes voient leur pouvoir d’achat fortement rogné, ce qui a un impact direct sur leur consommation. C’est d’autant plus problématique qu’avec des taux d’intérêt si hauts, le crédit ne peut pas prendre le relais.

Les Russes les plus aisés ont choisi de convertir leurs devises ou d’investir ailleurs

Les Russes les plus aisés ont donc choisi de convertir leurs devises ou d’investir ailleurs… quand ils le peuvent, les sanctions occidentales gelant les crédits de certaines personnes. Toutefois, 128 milliards de dollars ont quitté la Russie depuis le début de l’année. Vladimir Poutine, dont la main de fer faisait trembler les oligarques, s’est retrouvé obligé de promettre l’amnistie fiscale à ceux qui rapatrieraient leurs capitaux en Russie.

L’investissement en panne

Les investissements se sont contractés de 2,5 % sur les huit premiers mois de 2014. Une partie de cette baisse s’explique par les sanctions européennes, qui représentent les trois quarts des investissements directs étrangers (IDE) du pays.

Ces sanctions vont du gel des avoirs de certaines banques, d’entreprises d’Etat et des oligarques, à l’impossibilité pour certaines sociétés d’emprunter à plus de 90 jours sur les marchés internationaux.

Mais le manque d’investissement ne date pas de la crise, il est bien plus structurel et s’explique notamment par le climat des affaires. Le pays n’a en effet pas très bonne réputation – il est à la 62e place du Ease of Doing Business 2014 de la Banque mondiale, classement qui évalue l’environnement réglementaire et la facilité de développer une activité commerciale dans les différents pays du monde.

Les gisements ont dépassé leur pic de production

A cela s’ajoute un embargo sur les technologies liées à l’énergie, pourtant indispensables au développement de ce secteur. En effet, 90 % des gisements pétroliers en Sibérie ont dépassé leur pic de production et les coûts d’exploitation augmentent.

Autre enjeu, l’exploitation des gisements situés dans l’Arctique en eaux profondes (l’Institut géologique américain estime que cela représente 20 % des réserves d’hydrocarbures planétaires restant à découvrir) et les schistes (les dernières estimations tablent sur 75 milliards de barils de pétrole et 31 573 milliards de m3 de gaz). Rien que les premiers réclament 700 milliards de dollars d’investissements d’ici à 2035 et des technologies de pointe. Or, la Russie n’a ni les moyens de payer seule, ni les technologies pour exploiter ces ressources. D’autant plus qu’elles ne sont pas rentables avec un baril à 60 dollars. Pourtant, Moscou devra bien trouver les investissements pour puiser dans ces nouvelles réserves. Sans quoi le pays verra sa rente fondre.

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