Afrique

Le Mali de nouveau sur la corde raide

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Personne déplacée pendant le conflit malien de 2012, à Konna. Faute d'accord signé par toutes les parties, le Mali risque d'entrer dans une nouvelle zone de turbulences. PHOTO : ©Tom PILSTON/PANOS-REA
Par Yann Mens

Deux ans après l’opération militaire lancée par la France qui avait chassé les groupes jihadistes des grandes villes du nord du Mali (Kidal, Tombouctou, Gao…), la violence n’a jamais cessé dans cette région septentrionale : les factions armées se sont repliées dans les zones montagneuses et rurales, ainsi que dans les pays voisins, d’où elles se livrent à des coups-de-poing réguliers. Mais en attaquant Bamako, la capitale malienne, le 7 mars lors d’un attentat (fusillade, lancer de grenade) contre le restaurant La Terrasse, fréquenté par des expatriés, certaines de ces factions ont montré qu’elles étaient capables d’intervenir aussi dans le sud du pays, jusque-là épargné par leurs exactions.

L’attaque, qui a fait cinq morts (trois Maliens, un Belge et un Français), a été revendiquée par le groupe al-Mourabitoun, créé en août 2013. Il regroupe, d’une part, d’anciens membres d’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) emmenés par Mokhtar Belmokhtar, spécialiste des prises d’otage, et ,d’autre part, le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest), autre scission d’Aqmi née en octobre 2011 celle-là, et qui regroupe des combattants subsahariens en révolte contre le leadership algérien du groupe.

Vengeance

Aqmi est en effet née en Algérie et les principales positions de pouvoir y restent contrôlées par des ressortissants de ce pays. Pour justifier l’attentat contre La Terrasse, al-Mourabitoun a avancé deux arguments : les attaques contre le Prophète en Occident et aussi (surtout ?) la volonté de venger l’un des responsables du mouvement, Ahmad al-Talmasi, tué par les forces françaises au Mali en décembre 2014.

L’attentat de Bamako a été suivi le lendemain d’une autre attaque, à Kidal, c’est-à-dire tout au nord du Mali, et dirigée contre un camp de la Minusma, la Mission des Nations unies au Mali. Bilan de cette opération, jusqu’ici non revendiquée : un soldat de la Minusma et deux enfants tués.

Le dialogue intra-malien censé résoudre la question du nord progresse très lentement

Ces événements s’inscrivent dans un double contexte, régional et national. Sur le plan régional, les exactions du mouvement nigérian Boko Haram, qui vient de faire allégeance à l’Etat islamique, se sont étendues aux pays voisins dont les armées sont désormais, à des degrés divers, impliquées dans la crise : Tchad, Cameroun et Niger (frontalier du Mali). Or, il existe des liens anciens entre Mokhtar Belmokhtar et certains responsables de la nébuleuse Boko Haram, notamment ceux du mouvement Ansaru. Par ailleurs, la présence de Belmokhtar a été signalée ces derniers mois au sud de la Libye, région particulièrement instable dans un pays où des mouvements jihadistes, qu’ils soient affiliés à Al-Qaïda ou à l’Etat islamique, sont très actifs.

Médiation algérienne

Au plan national surtout, le dialogue intra-malien censé résoudre la question du nord, qui crée des tensions dans le pays depuis son indépendance en 1960, progresse très lentement. Une série de réunions organisées sous médiation algérienne depuis sept mois ont réuni le gouvernement, différents mouvements touaregs qui demandent l’autonomie de l’Azawad (nom par lequel ils désignent le nord du Mali), mais aussi des représentants des diverses populations non touarègues (Songhaï, Peuls, Arabes…) vivant, elles aussi, dans les régions septentrionales. Ces négociations ont abouti le 1er mars à un texte qui a été paraphé par le gouvernement et par la plupart des mouvements non touaregs. Les groupes touaregs, en revanche, ont demandé un délai pour pouvoir consulter les populations, notamment dans la région de Kidal à majorité touarègue.

Pas de référence à l’autonomie ni au fédéralisme

Car si le texte mentionne le terme d’Azawad, il ne contient en revanche aucune référence ni à une autonomie pour le nord, ni à l’instauration du fédéralisme au Mali. Deux exigences des mouvements armés touaregs, tels le MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), dont il faut rappeler que l’exigence originelle était l’indépendance de l’Azawad et qui ne se sont résignés à une autonomie qu’en juin 2012, après avoir été mis en déroute par les jihadistes alors qu’ils s’étaient alliés à certains d’entre eux pour lancer une offensive militaire contre l’armée malienne.

Il sera difficile pour les négociateurs touaregs de convaincre leur base que l’accord est satisfaisant

Il sera difficile pour les négociateurs touaregs de convaincre leur base que l’accord est satisfaisant alors même qu’il ne fait mention ni d’autonomie ni de fédéralisme. Mais de son côté, le gouvernement fait aussi face, dans son propre camp, aux protestations de ceux qui sont mécontents que le texte utilise le terme « Azawad », fût-ce avec des précautions oratoires et un contenu qui reste à définir plus précisément dans l’avenir.

Si l’accord devait ne pas être paraphé et signé par toutes les parties, le Mali rentrerait alors dans une nouvelle zone de turbulences. Or, certains des protagonistes de la crise de 2012-2013 qui avaient été chassés de Kidal par l’intervention française y ont, semble-t-il, fait aujourd’hui publiquement leur retour. Ainsi surtout d’Iyad Ag Ghali, ancien commandant des insurrections touarègues des années 1990, qui s’est ensuite radicalisé sur le plan religieux au point de fonder début 2012 le mouvement Ansar Dine. Et de s’allier quelques mois plus tard aux jihadistes d’Aqmi et du Mujao, revendiquant alors l’application de la loi islamique dans sa version la plus radicale non seulement au nord, mais dans l’ensemble du Mali.

 

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