Opinion

La diplomatie à la ramasse d’Emmanuel Macron

6 min
Jean-François Bayart Professeur d'anthropologie et de sociologie à l'Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID)

Avec Emmanuel Macron à la barre, la politique étrangère de la France est devenue un bateau ivre.

La loi du 19 décembre 2023 contre l’immigration lui portera un rude coup que ne veut pas voir le populisme « d’atmosphère » – pour parodier la formule de Gérald Darmanin et de son professeur Gilles Kepel à propos du djihadisme.

D’abord, parce qu’elle affaiblira économiquement la France, qui aura besoin de 3,9 millions de travailleurs étrangers d’ici à 2050, selon le Medef. Ensuite, parce qu’elle amputera sa capacité de rayonnement culturel et universitaire, qui devrait pourtant être un atout maître de son soft power à l’échelle internationale.

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Voilà maintenant des lustres que le ministère des Affaires étrangères a été dépossédé de ses compétences régaliennes en matière de délivrance des visas, au profit du ministère de l’Intérieur, d’une part, et, de l’autre, d’entreprises privées auxquelles a été confiée l’instruction des demandes, sur une base purement statistique et sans plus guère de considération pour la qualité des demandeurs ou l’intérêt, pour la France, de leur venue.

Crédibilité pulvérisée

La réduction drastique des visas délivrés au Maghreb, qu’a décrétée Gérald Darmanin en 2021 à l’approche des élections présidentielles, pour donner le change aux électeurs du Rassemblement national et des Républicains, y a déjà pulvérisé son attractivité et sa crédibilité.

Singulièrement au Maroc, son premier partenaire en la matière. En deux ans, le recul de l’usage de la langue française parmi la jeunesse est sidérant, et le choix du Palais de ne pas retenir la France parmi les pays disposés à intervenir en urgence après le tremblement de terre des 8-9 septembre a été un indice clair de la crise de confiance entre le royaume et Emmanuel Macron.

La suspension des mobilités étudiantes ou artistiques avec le Niger, le Mali et le Burkina Faso pendant l’été 2023, en guise de punition collective de l’insolence des juntes militaires à l’encontre de l’ancienne puissance coloniale, a été une autre maladresse lourde de conséquences dans l’ensemble de l’Afrique. Celle-ci aura compris qu’à tout moment, Paris peut briser un parcours estudiantin ou un projet culturel au gré des fantaisies de sa politique étrangère ou intérieure.

La loi contre l’immigration achèvera de mettre la France hors-jeu sur le marché international de l’enseignement supérieur et de la création artistique

Avec ses mesures iniques contre les étudiants étrangers, la nouvelle loi contre l’immigration achèvera de mettre la France hors-jeu sur le marché international de l’enseignement supérieur et de la création artistique – dimensions pourtant majeures de la globalisation. Emmanuel Macron fait soudain mine de s’en inquiéter. Hypocrisie ou inconséquence ?

Pendant trois décennies, les chercheurs ont averti que la politique anti-migratoire reposait sur des fantasmes : ceux d’une vague incontrôlable d’arrivants, d’un prétendu « appel d’air » que provoquerait le modèle social français, de la théorie encore plus fumeuse du « grand remplacement ». Qu’elle engendrait une sourde colère à l’encontre de notre pays en Afrique et ailleurs. Qu’elle nuisait à notre propre avenir. En vain.

La « perte » du Maghreb et du Sahel, comme diraient certains nostalgiques de l’Empire ou idéologues de la puissance, est un premier prix à payer. Ne doutons pas qu’il sera bientôt suivi d’autres défaites, d’autres rétrécissements diplomatiques, culturels, scientifiques. Quel peut être le futur d’une nation qui se ferme aux étudiants, aux artistes, aux chercheurs étrangers et qui réduit sa place dans le monde à celle de son industrie du luxe, il est vrai florissante ?

Mais cette série d’aberrations, du point de vue de l’intérêt bien compris de la France, n’est qu’un symptôme parmi d’autres du caractère erratique de la politique étrangère suivie depuis 2017.

Diplomatie illisible

Face à la Russie, Emmanuel Macron a été d’une naïveté aussi confondante que celle de Nicolas Sarkozy et François Fillon. Avec l’Ukraine, il a ensuite multiplié les faux pas et rendu illisible la diplomatie française, dans le contexte dramatique de la guerre, non sans ruiner son crédit dans les pays baltes.

Incohérente et bornée, la politique africaine d’Emmanuel Macron est un naufrage

Son arrogance paternaliste a ulcéré l’opinion publique dans le Sahel et fait le lit des régimes militaires en leur fournissant un argumentaire anti-impérialiste commode. Incohérente et bornée, sa politique africaine est un naufrage et tourne au trépignement.

Ainsi, par dépit, tel un enfant colérique, il a fermé l’ambassade et le consulat de France à Niamey en abandonnant à leur sort ses concitoyens et en sacrifiant les liens culturels et économiques entre les deux pays. Pour le plus grand bonheur de la Russie, des Etats-Unis, de la Chine, des pétromonarchies et des autres Etats européens qui se voient débarrassés de leur principal compétiteur.

Au Proche-Orient, l’épopée libanaise d’Emmanuel Macron a tourné au fiasco. Le flop de sa proposition surréaliste de coalition internationale contre le Hamas, que lui a inspirée l’inoxydable Bernard-Henri Lévy, a été la plus grande humiliation diplomatique que la France ait subie depuis des lustres.

Invité par Lula, le président de la République ne s’est pas rendu au sommet de Belém consacré à la forêt amazonienne, pour laquelle il avait pourtant pris fait et cause, semblant oublier que la France est un (certes petit) pays latino-américain de par son département de la Guyane.

Il a laissé en déshérence la relation franco-allemande, ce qui a condamné à l’échec ses ambitieux projets européens.

Encore dans l’espace aérien chinois, il s’est lavé les mains du sort de Taïwan, alors soumis à la pression militaire de Pékin, suscitant l’incompréhension de ses partenaires européens et se faisant désavouer en off par sa propre ministre des Affaires étrangères, qui rappela aux journalistes français que telle n’était pas la « position de la France ».

Au cœur de son « domaine réservé », Emmanuel Macron, peu au fait de la politique internationale, et pour avoir délibérément tenu à l’écart de ses décisions le Quai d’Orsay, qualifié d’« Etat profond » (sic), a exposé le caractère inquiétant de son mode de gouvernement personnel dont pourtant il se pavane. D’impérial il est devenu impérieux, et souvent grotesque et gênant.

N’a-t-il pas annoncé aux Suisses, petit peuple alpin, lors de sa visite officielle à Berne, qu’un jour ils comprendront qu’ils sont européens ?! Provoquant force ricanements dans un pays prompt à l’autodérision et toujours stupéfait de la morgue du grand voisin de l’Ouest. Heureusement, la France n’y a déployé aucune base militaire susceptible d’y être fermée séance tenante, sous la pression des indigènes en colère !

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Commentaires (7)
NOREDDINE BENYAHIA 10/01/2024
Toujours beaucoup de plaisirs (au pluriel) à lire Jean François Bayart. On ne dira jamais à quel point les BHL, les Kepel et autres parasites prétendument compétents mais réellement et totalement incompétents, sont une catastrophe pour le bien de la France.
Rébénacq 09/01/2024
Au niveau des bévues, on pourrait ajouter la première action diplomatique de Macron, où il s'est précipité pour aller cirer les pompes de Trump (celui-ci étant tout étonné de cet empressement), avant d'aller faire une conférence dans une université américaine pour critiquer la politique de Trump.
DANIEL 08/01/2024
Bah, facile de dauber sur l'industrie du luxe. Effectivement, pour l'avenir de la France, il aurait mieux valu,sans doute, former davantage de chercheurs en biologie ou en génie génétique, plutôt que des armées de spécialistes en sciences sociales.
ALEXIS 08/01/2024
Beaucoup d'échecs commerciaux français s'expliquent parce que justement, les ingénieurs français n'ont aucune connaissance des usages, des marchés, des demandes… Et dans les grandes transformations du monde à venir, le problème n'est pas tant technique que sociétale et politique.
DANIEL 08/01/2024
Sans doute. Ce n'est pas une méconnaissance des marchés qui explique l'échec du vaccin anti-covid français. C'est l'inexistence dudit vaccin.
GEORGES TISSOT 08/01/2024
C'est le règne des (in)compétences autoproclamées .Ce sont les plus sures,car elles n'ont pas besoin de se justifier par les faits.
MICHEL BONNET 08/01/2024
Merci monsieur BAYART, l'arrogance est souvent compagne de l'aveuglement, et qui inéluctablement mènent à l'incompétence. Comme vous le rappelez, si les diplomates avaient pu peser sur les décisions de macron, nombre de bévues auraient pu être évitées. Très surpris que notre BHL, à la clairvoyance légendaire, ait encore une influence auprès des hautes sphères du pouvoir! En tout cas merci pour votre analyse, toujours aussi lucide et percutante.
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