Ghana

« JJ » Rawlings : du rédempteur au bâtisseur

19 min

Le 12 novembre s’est éteint « JJ » Rawlings. Arrivé au pouvoir sur un coup d’Etat, il a réussi à remettre sur pied l’économie et la démocratie au Ghana. Un homme hors du commun, devenu un modèle pour de nombreux Africains.

Jerry John Rawlings, ancien président du Ghana, en habit traditionnel lors de la célébration du 10eme anniversaire du règne du Roi Otumfuo Nana Osei Tutu II, le 26 avril 2009. PHOTO : ©George OSODI/PANOS-REA

Jerry John Rawlings est décédé à l’âge de 73 ans le 12 novembre dernier à Accra. Il avait dirigé le Ghana de 1981 à 2001. Malgré l’allure révolutionnaire qu’elle prit à ses débuts, l’ère Rawlings fut la plus stable du pays (l’ancienne Gold Coast) depuis l’Indépendance. Elle ne peut être assimilée ni à une démocrature militaire, ni à un pouvoir prédateur. Ce fut autre chose, un genre particulier de…

 

Jerry John Rawlings est décédé à l’âge de 73 ans le 12 novembre dernier à Accra. Il avait dirigé le Ghana de 1981 à 2001. Malgré l’allure révolutionnaire qu’elle prit à ses débuts, l’ère Rawlings fut la plus stable du pays (l’ancienne Gold Coast) depuis l’Indépendance. Elle ne peut être assimilée ni à une démocrature militaire, ni à un pouvoir prédateur. Ce fut autre chose, un genre particulier de populisme kaki, virant avec le temps au parlementarisme civil, entre la continuation exaltée de l’œuvre du père fondateur, Kwame Nkrumah et une rigueur intègre au service d’un projet de démocratie directe. De la spontanéité au service d’une vision à long terme et, dans sa méthode, une oscillation permanente entre ordre prétorien et légalité démocratique.

Une mutinerie, deux coups d’État

Le lieutenant d’aviation Jerry John Rawlings n’avait que 32 ans quand il prit le pouvoir. Son nom n’avait pas encore franchi l’enceinte des casernes. Il procéda en trois étapes.

Le 15 mai 1979, avec six hommes, il organisa une mutinerie pour obtenir la traduction en justice d’officiers de l’état-major qu’il accusait d’avoir sali la réputation de l’armée dans des affaires de corruption. Il fut arrêté par la police, mais le jour de son jugement devant la Cour martiale, il reçut l’ovation des soldats enflammés par la plaidoirie qu’il prononça par bravade : « Nous réclamons la justice et la dignité ! »

Poussé par le zèle purificateur des quinze jeunes militaires, il posa d’emblée des actes forts en déclarant la « guerre sainte contre les rapaces »

Le président de la Cour fut ébranlé par la manifestation bruyante autour du héros, mais aussi par la pertinence de ses propos. Condamné malgré cela, Rawlings sera vite libéré grâce à des complicités au sein de l’armée, puis conduit directement à la Maison de la radio, où il exhorta les militaires à rester mobilisés afin d’éviter un bain de sang. Il fut immédiatement installé à la tête de l’Armed Forces Revolutionary Council (AFRC). Aucune résistance ne s’opposa à la troupe qui, dans un mouvement fougueux, s’empara de tous les points stratégiques de la capitale. « J. J. » était entré dans la légende.

Métis d’une mère éwé qui l’éleva et d’un père écossais qui l’abandonna, sorti d’Achimota, l’école des élites, sans diplôme en raison de quelques problèmes de discipline, puis de l’Académie militaire de Teshie, Jerry Rawlings n’avait d’autre bagage militaire que le Speed Bird Trophy qui récompense le meilleur cadet de l’armée de l’air, et bagage politique que son volontarisme et un sens inné de l’éthique.

Poussé par le zèle purificateur des quinze jeunes militaires, dont les grades allaient de caporal à lieutenant, qui l’entouraient au sein de l’AFRC, il posa d’emblée des actes forts en déclarant la « guerre sainte contre les rapaces ». La régénération de l’Etat va s’opérer en deux phases, d’une durée presque équivalente : la catharsis puis la reconstruction.

La catharsis

Ce fut l’alliance du fusil et de la révolution morale. Au début, le programme de Rawlings était succinct : éradiquer rapidement la corruption, ensuite installer un gouvernement civil. « Les forces armées ghanéennes rendront le pouvoir aux civils en temps utile. Les élections auront bien lieu (…) mais avant, il faudra rendre aux travailleurs la justice qui leur a été déniée. Je vous le promets », s’engagea-t-il alors.

Ce qu’il fit en cent treize jours, dans une atmosphère incandescente, d’abord avec les exécutions devant une foule enthousiaste et après des procès sommaires, de huit officiers dont trois anciens chefs de l’Etat – exécutions qu’il dira par la suite ne pas avoir contrôlées – et par une purge sévère de l’armée et de la haute fonction publique.

Par la suite, Rawlings saisissait souvent l’occasion de revenir sur ces premiers moments de la révolution et d’expliquer qu’il n’avait pas pu contenir le zèle purificateur de ses jeunes capitaines. Il vivait mal ce souvenir et cherchait à se justifier :

« Je n’avais pas le choix. Les jeunes frontistes avaient la rage contre les généraux. J’étais l’otage de la situation. L’autorité dont je jouissais était morale et provenait du peuple. L’exécution des officiers par les jeunes militaires avait pour but de satisfaire la haine du peuple. »

Au nom de la lutte contre les « contrôlés positifs au Kalabule » (le marché noir), il fit raser quelques marchés

Les trois premiers mois, poussé par l’aile ultra-radicale des jeunes officiers, Rawlings fit fermer la frontière avec le Togo pour mettre un terme à l’activité des contrebandiers du cacao et de l’or dénoncés comme les « destructeurs de la nation » ; il imposa le couvre-feu du coucher au lever du soleil.

Au nom de la lutte contre les « contrôlés positifs au Kalabule » (le marché noir), il fit raser quelques marchés, dont celui de Makola, au centre d’Accra, espace du commerce féminin par excellence, mais pour le pouvoir symbole des affaires interlopes. Des débits de boissons furent pillés, les lupanars dévastés, des commerçants passés à tabac. Les biens mal acquis de nombreuses personnalités furent confisqués.

Une discipline militaire s’instaura, costumes et cravates furent bannis des bureaux. Les femmes se virent obligées de porter le pagne. Celles qui oubliaient la consigne étaient déshabillées en public sous les cris odieux : eye kanea, eye hann ! (les yeux ont vu l’intimité de la femme !). Dans les ministères, ceux qui ignoraient les « ordres révolutionnaires » étaient humiliés et parfois licenciés avec effet immédiat. La répression était insupportable.

Le pouvoir brièvement rendu aux civils

La purge engagée, Rawlings pouvait appeler le peuple aux urnes et concéder le pouvoir aux civils. Hilla Limann fut élu président en septembre 1979. Docteur en sciences politiques de la Sorbonne et diplômé de la London School of Economics, il était l’un des plus brillants intellectuels du Ghana, comme Kofi Busia, un ancien dirigeant, mais plus à gauche. Rawlings retourna dans sa caserne, mais prévint le nouvel élu d’une de ces phrases énigmatiques dont il avait le secret, le ton comminatoire à peine masqué : « Ne perdez jamais de vue la nouvelle conscience ! »

Le chaos régnait alors au Ghana et un million de Ghanéens avaient fui le pays pour le Nigeria. Limann, qui se réclamait de l’héritage de Nkrumah, pouvait-il remettre de l’ordre ? L’entreprise se révéla vite impossible avec la manière douce. Le Président manquait de charisme. Il faut dire que, surveillé de près par les jeunes officiers révolutionnaires, il ne disposait d’aucune autonomie de décision.

Bientôt convaincu que Limann n’était pas à la hauteur du poste, ayant fait la démonstration que les civils, sortis de leur cabinet d’avocat ou descendus de leur chaire professorale, sont des incapables, Rawlings refit un coup d’Etat, la nuit de la Saint Sylvestre 1981, le second réussi et cette fois pour s’installer au pouvoir pendant dix-neuf ans.

Dans le salon du Parlement, plusieurs photos sont accrochées aux murs. L’une montre Limann assis sur le trône du chef de l’Etat à l’ouverture de la session parlementaire de 1981 ; à côté, légèrement en contrebas, Rawlings, en treillis et béret en coin, avec les lunettes Ray Ban qu’il ne quitte jamais, affiche une mine renfrognée, boudeuse.

Une autre photo, prise un an après, exactement au même endroit et sous le même angle, montre Rawlings assis à son tour sur le trône du chef, encore vêtu de son uniforme kaki, le visage toujours aussi affligé devant les députés jugés inaptes. L’honnête Limann a disparu.

Rawlings, tacticien politique

Au Ghana, la dimension personnelle du pouvoir est essentielle. Rawlings, homme primesautier, impulsif, brutal parfois, se laissa difficilement enfermer dans une catégorie, même s’il entendait, avec certainement beaucoup de sincérité au début, changer radicalement le pays. Il était probablement le seul à pouvoir fédérer les oppositions au régime corrompu des généraux. Son métissage n’est pas pour rien dans l’alchimie de son charisme : Ghanéen certes, mais aussi venu d’ailleurs.

Aviateur, Jerry Rawlings excelle dans la navigation par temps de brouillard. Il sut caboter entre les radicaux et l’opposition conservatrice, jouant les uns contre les autres. Il déjoua au passage de nombreux attentats.

Il s’entoura d’une équipe efficace, composée d’hommes de confiance. Derrière une apparence d’improvisation se cachait en fait une habileté de tacticien consommée, pas trop encombré de préoccupations morales, en un mot : du machiavélisme.

La confiscation des biens d’une série de personnalités, pour cause de redressement fiscal, précipita le départ en exil de nombreux entrepreneurs laissant derrière eux ces bâtiments inachevés que l’on voit encore à Accra ou à Tema.

Les aspirations révolutionnaires de l’Indépendance étaient encore fraîches. Comme au Burkina Faso voisin, avec son ami Thomas Sankara. Le parti unique, le Congrès national démocratique (CND) avec à sa tête neuf membres civils et militaires, qui avec ses Comités de défense du peuple, des travailleurs, des femmes… occupa le devant de la scène politique de 1981 à 1992, manifesta une hostilité ouverte à l’égard des formes occidentales de la démocratie qui, affirmait-il, avaient échoué au Ghana.

La base idéologique du régime était sommaire : l’absence d’une division horizontale en classes socio-économiques dans le pays réduit les sources de conflits ; les seules menaces qui s’opposent à la recherche du consensus politique proviennent des divisions ethniques, régionales, religieuses, incarnées notamment pas les chefs traditionnels.

L’ajustement économique atypique

Cette période ne manque pas de paradoxes. Le plus flagrant réside dans la politique économique qui fut conduite. Le régime ne trouva pas d’aide significative ni de l’Union soviétique, ni de l’Allemagne de l’Est, ni de la Libye. La négociation avec le FMI, l’incarnation du capitalisme, était incontournable. Un expédient plutôt qu’un ralliement. Rawlings n’avait guère de marges de manœuvre.

L’économie était à l’agonie, avec une inflation de 23 % en 1983, un pouvoir d’achat des salariés réduit au dixième de ce qu’il était dix ans avant, et un taux de croissance négatif depuis plusieurs années. Le Ghana ne produisait que 150 000 tonnes de cacao en 1983. Les produits de base manquaient. Les usines étaient au point mort, sans approvisionnement et sans marché. La disette régnait en ville. Les tensions politiques étaient à vif.

De cette période, Rawlings laisse à la postérité plusieurs belles formules, dont celle-ci : « Je ne connais aucune loi et je ne comprends rien à l’économie, mais je sais quand j’ai l’estomac vide ! »

Rawlings et son équipe d’économistes compétents surent trouver la voie du redressement économique, sans quitter le cap social

Avec 4 milliards de dollars de la Banque mondiale, Rawlings et son équipe d’économistes compétents surent trouver la voie du redressement économique, sans quitter le cap social, mais en empruntant des routes sinueuses.

Avec le programme d’ajustement structurel, le Ghana devint bientôt le « bon élève » du FMI et de la Banque mondiale, un élève indiscipliné et brouillon, mais doué et travailleur. Les institutions internationales ont toujours besoin de désigner des bons élèves pour justifier les politiques qu’elles préconisent et rappeler aux autres qu’il faut revenir sur les rails. A compter de cette période, les satisfecit successifs accordés par les institutions de Bretton Woods vont radicalement changer le regard de l’Occident sur le pays.

Il serait trop facile de reprocher à Rawlings d’avoir cédé devant le modèle prêt-à-penser du FMI, alors qu’à l’époque tous les pays adoptaient les mêmes politiques. En réalité, la négociation fut âpre et, même si le Ghana dut appliquer les recettes classiques du redressement (dévaluation, libéralisation de l’économie, baisse des protections et des subventions), le résultat fut atypique.

L’originalité du « modèle ghanéen » tient au fait que Rawlings est parvenu à maintenir les commandes de l’économie dans les mains de l’Etat, à ralentir le démantèlement des entreprises publiques créées pendant la période Nkrumah, à protéger la fonction publique et même à attirer quelques capitaux étrangers. Visible, la politique d’investissement public était appréciée.

Et le pouvoir se montra soucieux d’atténuer l’impact social des mesures d’ajustement par des mesures de compensation sur les salaires, sur le prix des transports et avec des aides sociales bien ciblées. Le bilan de la décennie 1983-1992 donne la mesure de la réussite : une croissance en moyenne de 5 %, une inflation réduite à moins de 10 %.

La rigueur idéologique ne céda pas tout de suite à la doctrine de l’ajustement. Les partisans de la « révolution morale » avaient été recrutés au début parmi les urbains, parmi les small boys, ces révoltés contre les big men qui formaient l’oligarchie possédante et la hiérarchie militaire. Devant la tournure que prenait la révolution, la désillusion advint. Les ouvriers renâclèrent devant la violence des mesures d’austérité et les nombreux licenciements.

Le gouvernement s’appuya donc davantage sur le monde rural, que sur les villes avec la création de puits et l’extension du réseau électrique, jusque dans les villages éloignés. Pour calmer les tensions qui naissaient en ville, le charisme de Rawlings joua à plein, avec d’autant plus d’efficacité qu’il avait rompu avec le coûteux apparat de ses prédécesseurs.

La ville d’Accra produit 1 800 tonnes de déchets chaque jour. La pratique du nettoyage collectif remonte à l’époque de Rawlings. Une loi de 1993 sur le gouvernement local avait fait du troisième samedi de chaque mois, le « jour de la santé ». Des volontaires organisaient régulièrement des opérations dans la capitale. Ils venaient de l’université et de l’Ecole polytechnique. Une organisation, Global dream, pouvait mobiliser 400 jeunes. Avec le temps et le relâchement du sens civique qui accompagne lamentablement l’urbanisation accélérée ; cette bonne habitude tomba en désuétude.

Le tournant démocratique

Le virage du régime intervint en 1992. La situation politique était devenue difficile. Le pouvoir se trouvait devant l’alternative suivante : soit poursuivre la voie dure avec l’encadrement des Comités de défense de la Révolution, soit ouvrir le régime vers plus de démocratie sur le mode parlementaire. La même pression toucha toute l’Afrique à la même époque : le multipartisme. Elle s’imposa au Ghana. Rawlings fit donc adopter une nouvelle Constitution en 1992 – toujours en vigueur – avec l’espoir de mener le Ghana sur la voie du « bon élève de la gouvernance » après avoir été celui de l’ajustement.

La vie politique va alors se démilitariser et l’armée se dépolitiser. Rawlings va s’arrondir dans ses convictions comme il va prendre de l’embonpoint. Il quitta alors l’armée et l’uniforme pour le smock, une chasuble de coton portée par les hommes du Nord, et devenir le porte-drapeau présentable de son nouveau parti, le National Democratic Congress (NDC), qui décida de travailler dans un cadre constitutionnel, avec son système d’équilibres et de contrôles. Ce parti est toujours en activité aujourd’hui.

La vie politique va alors se démilitariser et l’armée se dépolitiser

Jerry Rawlings s’amenda beaucoup, il se coupa des ultras, des syndicalistes de l’Association of Local Unions, des pro-Cubains et des nostalgiques du « Rédempteur ». La violence arbitraire et sécuritaire dans laquelle le PNDC avait enfermé le pays se relâcha rapidement pour laisser la place à un régime présentable à l’extérieur.

Les partis politiques, jusque-là interdits, renaquirent de leurs cendres. La décentralisation fut inscrite comme une composante importante de l’organisation de l’Etat. La nouvelle Constitution, en partie inspirée du modèle américain avec son exécutif unique et ses mandats de quatre ans, ouvrit la voie à deux élections successives, aisément remportées par Rawlings et ses partisans, face à des petits partis nkrumaistes incapables de s’adapter à la nouvelle donne et face au courant Danquah-Busia, incarnant la bourgeoisie akan, encore très secouée par les réformes qui l’avaient particulièrement affaiblie.

Il obtint 93 % des suffrages dans la région de la Volta, sa région d’origine, et même en pays ashanti, la région qui a priori lui était la plus hostile, il recueillit environ un tiers des voix. Abattue, l’opposition libérale céda alors à la tentation de soutenir une opération fort douteuse : la mise en cause de la « ghanéité » du « demi-caucasien » Rawlings. Restera l’image de cet épisode incongru, rapporté par l’historien Yves Benot, de la cour d’appel statuant sur le droit à la nationalité d’un citoyen ghanéen qui avait exercé les responsabilités de chef de l’Etat pendant onze ans !

L’élan révolutionnaire de Jerry Rawlings était loin derrière lui. Avec le temps, il s’éloigna peu à peu de ses préoccupations originelles. Il prit goût aux voyages et aux invitations.

Difficultés économiques

Avec le desserrement de la pression révolutionnaire, se relâcha la contrainte de l’ajustement. Curieuse coïncidence, pendant que le pays s’ouvrait à la démocratie parlementaire, l’économie se dégradait de nouveau : inflation, dépréciation de la monnaie, chômage, nouvelle fuite des capitaux.

Faute d’une véritable politique de développement à moyen terme, le pays retomba dans ses spécialisations originelles, dans l’extraction et l’exportation d’une gamme restreinte de produits : cacao, or, diamant, bois. L’agriculture stagnait. Rawlings multiplia les missions à l’étranger pour chercher de quoi perfuser l’économie. Mais l’impatience et la désillusion régnaient.

Alors qu’ils vivaient dans un état d’exception, dans le souvenir vivace du chaos antérieur, avant l’arrivée de Rawlings, qui leur avait fait accepter la rigueur du redressement, les gens des villes réagirent et exprimèrent sporadiquement leur rejet de la politique de rigueur. En 1995, la colère éclata après l’introduction de la TVA préconisée par la Banque mondiale. A la fin de la période Rawlings, les prix augmentaient de 60 % par an, le chômage était proche de 30 % et la monnaie locale, le cédi, en chute libre malgré un taux d’intérêt bancaire de 50 %. Le revenu par habitant était de 360 dollars alors qu’il avait été de 410 dollars vingt ans plus tôt. Le seuil de tolérance fut franchi à Accra avec la première émeute anti-FMI qui fit plusieurs morts.

Inquiets, les investisseurs étrangers boudèrent de nouveau le pays, les apports étrangers ne furent pas à la hauteur des espoirs engendrés par le programme de réformes, et le salariat urbain resta frustré. Dans le même temps, l’or accusait une chute de ses cours, mettant en péril la première entreprise nationale – l’Ashanti Goldfields – et celle du cacao fut vertigineuse. En bref, la rigueur se relâcha, le train de vie de l’Etat augmenta. Des cas de corruption furent signalés.

La transition de 2000

Rawlings restera l’homme qui a tenu ses promesses. Il tira sa révérence, non sans une certaine élégance en 2000, la Constitution lui interdisant de briguer un nouveau mandat présidentiel. Il appuiera alors la candidature de son vice-président, John Atta-Mills qui ne parvint pas à s’imposer. Le New Patriotic Party (NPP) de l’opposant libéral John Agyekum Kufuor gagna les élections de 2000.

Il n’eut pas trop de mal à trouver les arguments pour dresser un portrait apocalyptique de la situation économique et des droits de l’homme dans le pays. Pourtant, le NPP ne peut le nier : il hérita aussi d’un État « récréé », « revertébré » grâce à l’œuvre de Rawlings, qui en fin de compte, par tâtonnements successifs, avait mis fin à plusieurs décennies d’insécurité et d’incrédibilité institutionnelles et avait préparé le terrain politique où la norme enfin pouvait prévaloir.

Rawlings restera l’homme qui a tenu ses promesses. Il tira sa révérence, non sans une certaine élégance en 2000

La fierté des Ghanéens s’est manifestée dans la liesse populaire des cérémonies du Golden Jubilee, le 50e anniversaire de l’Indépendance, le 6 mars 2007. Vingt-cinq chefs d’Etat présents, une parade militaire de trois heures et une chorégraphie de 1 750 jeunes en tenue blanche réalisée avec l’assistance technique de Pékin, un immense banquet en l’honneur du grand frère, le président nigérian Olusegun Obasanjo, le mentor de Kufuor qui fut si compréhensif en 2001 quand le Ghana avait une lourde dette pétrolière. La fête fut reprise en écho dans toutes les villes du pays. Ce fut une nouvelle consécration pour Kufuor, le démocrate vertueux.

Rawlings ronchonnait souvent. Il bouda la cérémonie. Une délégation de dix personnalités, politiciens et religieux ne parvint pas à le convaincre de venir à la tribune officielle sur l’immense place de l’Indépendance pour assister à la parade militaire (trois heures) et à la séance de gymnastique des 1 750 jeunes. La réconciliation annoncée entre les deux Présidents du Ghana, l’ancien et le présent, n’eut pas lieu.

Après le pouvoir

L’Histoire est ingrate : elle vous choisit et vous abandonne. Comment un chef d’Etat occupe-t-il son temps quand il quitte le pouvoir à 52 ans après l’avoir tenu vingt ans ? Rawlings aurait pu décider de prendre du recul, devenir ambassadeur de la paix pour l’ONU, cultiver son jardin, créer un aéroclub. Mais l’oisiveté ne convenait guère à un homme d’action qui se targuait d’avoir un si beau palmarès : trois coups d’Etat dont deux réussis, puis une fois au pouvoir une dizaine de déjoués.

La possibilité de l’alternance, fait exceptionnel en Afrique, est inscrite dans les gènes de la démocratie ghanéenne

À défaut d’occupations à temps complet, sa précoce retraite venue, il voyageait à travers le continent, aux Etats-Unis ou en Europe, pour participer en guest star à des conférences sur des thèmes qui lui étaient chers : le panafricanisme, la bonne gouvernance et le développement… Il trouvait à s’employer dans de multiples provocations verbales et en traitant ses laudateurs d’incapables. La carrure était massive, le cou puissant, la coupe de cheveux en brosse, les Ray Ban sont cerclées d’or. Rawlings aimait la foule, il s’en nourrissait. Il était un adepte du coup d’éclat permanent.

Rawlings ne pourra pas assister le 7 décembre prochain au duel entre Nana Akufo-Addo, le président sortant, membre du NPP et John Mahama, membre du NDC et qui revendique la filiation avec « JJ ». Il s’agira de la troisième confrontation électorale consécutive entre ces deux hommes politiques, avec une victoire pour chacun des deux partis. La possibilité de l’alternance, fait exceptionnel en Afrique, est inscrite dans les gènes de la démocratie ghanéenne.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !
Sur le même sujet
Foo Série 7/16
Histoire

La guerre civile, laboratoire du totalitarisme soviétique

Hervé Nathan