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Les JO de Paris peuvent-ils échapper à la folie des grandeurs ?

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Démonstration de plongeon dans la Seine depuis le pont Alexandre III, lors des « Journées olympiques » pour la candidature de Paris à l'organisation des Jeux olympiques de 2024, le 24 juin 2017. PHOTO : ©Romain GAILLARD/REA

Athènes 2004, Pékin 2008, Sotchi 2014, Rio 2016… Les dernières éditions des Jeux Olympiques (JO) ont été largement ternies par des investissements surdimensionnés, des dépassements de budget et des nuisances environnementales ou sociales. Paris, qui a été nommée ville hôte pour l’édition 2024, peut-elle éviter ces dérives ?

1) Pourquoi les budgets JO dérapent-ils si souvent ?

A l’exception de Los Angeles en 1984, les budgets prévisionnels des Jeux Olympiques n’ont jamais été respectés. En moyenne, ils dépassent le budget initial de 150 %, notent dans une étude Robert A. Baade et Victor A. Matheson, deux chercheurs américains. Il est difficile de donner des chiffres parfaitement fiables, car il existe des désaccords sur ce qui doit être compté dans le budget des Jeux : une nouvelle ligne de métro à Athènes, dont les JO ont accéléré la construction, mais qui était prévue, et qui servira pendant plusieurs décennies aux Grecs, doit-elle rentrer dans le budget ? Reste que les estimations des spécialistes sont unanimes : les prévisions initiales sont largement sous-estimées.

La ville gagnante promet beaucoup, quitte à minorer la facture présentée lors de la candidature

Comment expliquer de tels dépassements ? La principale raison vient du mode de désignation des villes hôtes. Le Comité International Olympique (CIO) choisit entre plusieurs dossiers de candidature. Chaque ville candidate est donc tentée de proposer un projet plus clinquant que ses concurrentes pour empocher la mise. C’est ce que les économistes appellent « la malédiction du gagnant aux enchères ». La ville gagnante promet beaucoup, quitte à minorer la facture présentée lors de la candidature.

La pratique n’étonne pas beaucoup dans les pays peu démocratiques, où les dépenses publiques ne sont pas transparentes. Mais elle se vérifie aussi dans les pays démocratiques : Londres a ainsi sous-estimé de nombreux postes de dépenses, dont la sécurité, les Jeux Paralympiques et certaines taxes. Au total, la facture des Jeux britanniques est passés de 2,4 milliards de livres à 8,77 milliards de livres. Il existe en fait un seul contre-exemple : Los Angeles en 1984. Après le fiasco des JO de Montréal de 1976 (budget final dix fois supérieur au budget initial !), seule Los Angeles est candidate. En position de force, Los Angeles négocie alors avec le CIO, réutilise des équipements déjà existants (même vieux) et fait massivement appel au privé. Au final, elle parvient à dégager un bénéfice direct estimé à 233 millions de dollars.

2) Les Jeux Olympiques peuvent-ils être rentables ?

Face aux dépassements de budget, les promoteurs des Jeux utilisent alors un autre argument pour prouver que la balance est positive : les retombées économiques liées à l’organisation de la compétition. Mais ces retombées sont cependant largement surestimées. Cela s’explique par le fait que souvent, les études sont commandées par les comités de candidature. Or, « si vous voulez savoir quel est le vrai impact d’un grand événement sportif, prenez n’importe quel chiffre avancé par les promoteurs de l’événement, et déplacez la virgule d’un chiffre vers la gauche », ironisent Robert A. Baade et Victor A. Matheson. Les dépassements s’expliquent par trois biais de calcul.

« Pour connaître le vrai impact d’un grand événement sportif, prenez le chiffre avancé par les promoteurs de l’événement et déplacez la virgule d’un chiffre vers la gauche »

Le premier est la sous-estimation de « l’effet de substitution ». Quand les Français achètent des tickets pour aller voir une épreuve des JO, c’est autant d’argent en moins pour aller au théâtre ou au cinéma. Toute étude sérieuse doit donc soustraire les dépenses des locaux des recettes des Jeux Olympiques.

Le second biais concerne « l’effet d’éviction » (crowding out effect). Certes, les Jeux font venir de nombreux supporters étrangers, mais ils font aussi fuir les touristes « normaux » qui préfèrent éviter la foule et la flambée des prix des hôtels qui accompagnent chaque olympiade. Londres a ainsi perdu 400 000 visiteurs étrangers pendant l’été 2012, et plusieurs théâtres ont même fermé pendant les Jeux. Pékin, en 2008, et Salt Lake City (JO d’hiver 2002) ont également constaté une baisse de la fréquentation touristique pendant les Jeux. 

Le dernier biais de calcul concerne le « multiplicateur économique ». Lorsqu’on injecte 100 euros dans une économie, l’impact économique varie selon les pays et les époques : il peut être inférieur à 100, par exemple si la majorité de l’injection initiale fuit dans un paradis fiscal. Mais l’impact peut aussi être de 200, si l’injection initiale permet de créer des emplois locaux, car les nouveaux travailleurs vont consommer les 100 euros de départ.

La flambée temporaire du prix des hôtels pendant les JO améliore surtout la rentabilité des grandes chaînes hôtelières

Or, les études sur les retombées des Jeux Olympiques ont tendance à surestimer ce multiplicateur. Alors que généralement, le coefficient de 2 est retenu pour les dépenses des étrangers dans un pays (pour 1 euro dépensé, on a alors 2 euros de retombées), le multiplicateur est bien inférieur en ce qui concerne les JO, parce que les dépenses entrantes ne vont pas dans les circuits économiques classiques. La flambée temporaire du prix des chambres d’hôtel pendant les Jeux Olympiques, par exemple, ne se traduit pas par une hausse des salaires des employés. Elle améliore surtout la rentabilité des grandes chaînes hôtelières, dont l’actionnariat, souvent international, a peu à voir avec l’économie du pays hôte.  

Les promoteurs des Jeux avancent alors d’autres types d’arguments, et notamment les bénéfices intangibles des Olympiades. Des chercheurs ont tenté de mesurer le « sentiment de bien-être » des Britanniques grâce aux Jeux, et de lui donner une valeur monétaire. Outre que ce type de calcul est sujet à discussion, le résultat n’est pas très probant : les Jeux de Londres de 2012 auraient certes apporté 2 milliards de livres de bénéfices intangibles au pays, mais la somme reste bien inférieure au dépassement de budget de cette édition (6,3 milliards).

3) Les Jeux sont-ils bénéfiques à long terme ? 

Pas rentables à court terme les Jeux ? Peut-être, mais c’est faire l’impasse sur les bénéfices de long terme estiment les partisans de l’accueil de l’événement. Quatre effets positifs peuvent être distingués.

Le premier concerne « l’héritage » (mot très en vogue dans le vocabulaire olympien) des équipements sportifs. La nouvelle piscine olympique de Saint Denis ne va pas uniquement servir pendant les JO, mais ce sera aussi le futur siège de la Fédération française de natation, ainsi qu’un lieu d’entraînement, de compétition et de loisirs promettent les organisateurs. Mais les bons exemples sont plus rares que les « éléphants blancs », ces équipements majeurs tombés en désuétude, que ce soit à Athènes, Rio, ou dans une moindre mesure à Pékin.

Les bons exemples de réutilisation des équipements des JO sont plus rares que les « éléphants blancs »

Quant à la réutilisation des équipements une fois les Jeux terminés, les coûts sont là aussi souvent sous-estimés, à l’image du Stade olympique de Londres, centre névralgique des JO 2012, qui accueille désormais le club de football de West Ham. Outre que son coût de construction a dérapé (429 millions de livres au lieu de 280 millions prévus), le coût de reconversion (piste d’athlétisme à enlever, etc) a atteint 272 millions de livres, dont seulement 15 millions ont été pris en charge par le club de West Ham.  

Deuxième effet bénéfique de long terme supposé : les infrastructures non-sportives qui sont construites à l’occasion des Jeux. Les Olympiades permettraient en effet d’accélérer des projets bénéficiant à la ville pendant des décennies. Indiscutablement, une ligne de métro est un investissement de long terme, et les villages olympiques des précédentes éditions ont souvent été transformés en logements durables. Mais cet effet bénéfique ouvre aussi le débat majeur de ce que les économistes appellent « le coût d’opportunité » : en choisissant d’investir dans quelque chose, on renonce à d’autres investissements. Le métro qui dessert le nouveau stade olympique est-il plus utile (ou plus urgent) que des hôpitaux ou des écoles ? Pour répondre à cette question : « Il faut faire des études coûts-avantages sur 30-35 ans, plutôt que des études sur les retombées économiques quelques mois après les Jeux », avance Wladimir Andreff, économiste du sport à Paris 1. « Les économistes savent attribuer une valeur monétaire à différents investissements sociaux. Regardons donc tous les aspects positifs et négatifs du nouvel hôpital ou de la nouvelle piscine, et tranchons sur cette base-là ».

Le métro qui dessert le nouveau stade olympique est-il plus utile ou plus urgent que des hôpitaux ou des écoles ?

Les promoteurs des Jeux assurent aussi que la compétition permet d’améliorer l’image de long terme de la ville hôte, à l’image de Barcelone, 17ème destination touristique européenne en 1990, et désormais 5ème, en bonne partie grâce à la renommée acquise durant les Jeux de 1992. Les JO agiraient ainsi comme un révélateur de villes à fort potentiel, mais encore un peu méconnues. Mais ce qui était vrai pour Barcelone, ou Salt Lake City (USA), ne l’a pas été pour Lillehammer (Norvège) ou Calgary (Canada).

Enfin, les partisans de l’accueil des Jeux assurent qu’organiser la compétition permet de faire progresser les investissements étrangers. Une étude, menée en 2011 par deux chercheurs américains, semble d’ailleurs appuyer cette théorie, puisqu’elle montre que les villes hôtes et les villes candidates aux Jeux connaissent des taux de croissance plus rapides que la moyenne mondiale. Mais une autre étude, menée en 2015 par trois chercheurs allemands conteste les résultats en comparant les villes concernées à des villes semblables, mais non candidates. L’écart de croissance disparaît alors.

4) Paris 2024 sera-t-il vraiment différent ?

Rai-sonn-able. Consciente du scepticisme autour des Jeux de la part de nombreux contribuables franciliens, l’équipe de candidature de Paris 2024 a beaucoup communiqué autour du caractère raisonnable du projet présenté au CIO. Dans les faits, le dossier semble en effet plutôt modeste au regard de certaines candidatures du passé : la majorité des équipements sportifs sont déjà construits, et ceux qui restent à construire seront pour la majorité temporaires. Côté infrastructures non-sportives, la France est déjà bien équipée, et la construction du Grand Paris Express, ce giga-projet ferroviaire autour de Paris, est déjà lancé et indépendant des Jeux.

L’équipe de Paris 2024 a par ailleurs avancé cette dimension raisonnable car elle sait que le vent est en train de tourner au CIO. L’image des Jeux a été ternie par les dépassements de coûts (Londres, Rio, Sotchi), ainsi que par leur organisation par des pays peu regardants en matière de droits de l’homme (Chine et Russie notamment). Les JO n’ont tellement plus la côte qu’il ne restait plus que Paris et Los Angeles en concurrence pour 2024, après les retraits de Rome, Hambourg, Boston et Budapest. Des défections qui font suite à celles de Saint-Moritz, Munich et Olso pour les JO d’hiver 2022. Le CIO est donc lui aussi revenu à la raison : Dès les Jeux d’hiver 2026, les villes pourront présenter des candidatures conjointes. De quoi réjouir Jean Pascal Gayant, économiste du sport à l’université du Maine : « Il est absurde qu’une ville seule organise 30 championnats du monde simultanément, sur seulement 15 jours de compétition. Cela ne peut conduire qu’à des dérives budgétaires ».

Le vent tourne au Comité international olympique

La capitale française a donc profité de cet appel d’air, « mais aurait pu davantage négocier avec le CIO », regrette Jean-Pascal Gayant. « Paris a fait de cette candidature une question d’honneur : après les claques reçues lors des échecs précédents, il était inconcevable de ne pas avoir 2024. Cette candidature de la testostérone ne met pas Paris en position de force », poursuit l’économiste. Une analyse partagée par son confrère Wladimir Andreff : « Los Angeles a intelligemment accepté 2028, et va pouvoir négocier de façon très rude avec le CIO. Ils sont en position de force, et auront donc les seconds Jeux rentables de l’histoire… après ceux de Los Angeles en 1984. Paris est en position moins favorable, mais conserve des marges de manoeuvre ».

Il faudrait en effet que Paris renégocie avec le CIO, notamment le montant de l’enveloppe que le comité va lui donner pour organiser les Jeux. Car en l’état actuel des choses, le budget prévisionnel sera dépassé assurent les deux économistes. Initialement de 6,2 milliards d’euros, il est aujourd’hui de 6,8 milliards. « Il manque encore la sécurité, non budgétée, et certaines questions restent en suspens : combien va coûter la location des stades privés comme le Groupama Stadium de Lyon ou l’U Arena de Nanterre ? », interroge Jean-Pascal Gayant.  « Oui, il y a aura dépassement. Mais ce sera « moins pire » que les précédentes éditions, et il est encore possible que le budget total soit inférieur à 8 milliards d’euros, tempère Wladimir Andreff. Il faut absolument qu’un audit externe et indépendant ou une mission parlementaire accompagne les porteurs du projet pour rester sous cette barre », plaide-t-il. La France pourrait elle aussi négocier avec le CIO pour revenir sur l’exonération fiscale qui a été accordée en juillet 2015 aux structures chargées d’organiser des grands événements sportifs dans l’Hexagone. 

« Les Jeux Olympiques ont autant de noblesse que le théâtre ou l’opéra » 

Concernant les retombées économiques, l’équipe de Paris 2024 s’appuie sur une étude commandée au Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges, un organisme rompu à ce type d’études, qui assure avoir neutralisé les biais méthodologiques classiques de ces estimations (voir ci-dessus). Selon le CDES, l’impact économique des Jeux de Paris 2024 s’établira entre 5,3 et 10,7 milliards d’euros. 

Enfin, les partisans de la candidature insistent sur les avantages intangibles des Jeux, notamment pour la Seine-Saint-Denis, le département le plus pauvre de France, qui accueillera le village et la piscine olympique, en plus du Stade de France. « Si cela permet à des jeunes non diplômés des quartiers en difficulté d’avoir des expériences professionnelles, même sous forme de bénévolat, ce sera une bonne affaire pour le territoire, quand on sait combien chaque expérience est décisive pour un jeune sans formation », estime Jean-Pascal Gayant. Avant de conclure sur un autre registre : « Les Jeux ont autant de noblesse que le théâtre ou l’opéra : ils offrent un bien-être social tout aussi important pour les gens qui sont heureux de les accueillir. Assumons l’accueil des JO pour cette raison-là ». Cela éviterait en effet les circonvolutions pour prouver la rentabilité économique d’un événement dont ce n’est pas l’objectif initial.

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