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L’économie brésilienne en voie de régression

8 min

Au Brésil, l’industrie dévisse tandis que l’agriculture connaît un « boom », éloignant un peu plus la perspective d’une diversification de l’économie et accroissant les inégalités.

Champ de soja à Carazinho dans l'Etat brésilien du Rio Grande do Sul, le 26 mars 2019. Entre mai 2020 et 2021, la production de soja au Brésil a crû de 9,4 % et dépasse, pour la première fois de son histoire, les 133 millions de tonnes. PHOTO : Marcio Pimenta/REDUX-REA

Janvier 2021, le groupe Ford annonce la fermeture définitive de sa dernière chaîne de montage encore en activité dans l’Etat de São Paulo, au Brésil. Le constructeur américain était le premier géant de l’automobile à s’implanter dans le pays en 1921 et ne l’a pas quitté depuis lors. La fermeture laisse sur le carreau 2 500 salariés, l’entreprise en comptait 14 500 en 2012.

Après le départ de Mercedes-Benz, la réduction des capacités productives de Honda et Nissan, l’annonce du groupe Ford a fait l’effet d’un petit coup de tonnerre dans les milieux économiques. Au fil du temps, de l’expansion de...

Janvier 2021, le groupe Ford annonce la fermeture définitive de sa dernière chaîne de montage encore en activité dans l’Etat de São Paulo, au Brésil. Le constructeur américain était le premier géant de l’automobile à s’implanter dans le pays en 1921 et ne l’a pas quitté depuis lors. La fermeture laisse sur le carreau 2 500 salariés, l’entreprise en comptait 14 500 en 2012.

Après le départ de Mercedes-Benz, la réduction des capacités productives de Honda et Nissan, l’annonce du groupe Ford a fait l’effet d’un petit coup de tonnerre dans les milieux économiques. Au fil du temps, de l’expansion de son marché intérieur et des politiques volontaristes dites de « substitution aux importations », faites de surtaxe douanière pour les véhicules importés et, au contraire, d’exonérations fiscales pour ceux produits localement, le Brésil avait réussi à attirer sur son territoire les principaux constructeurs mondiaux. Ce temps semble révolu.

Cette industrie n’est d’ailleurs pas la seule à être en berne. Avec le départ du japonais Sony, du coréen LG, du cimentier franco-suisse Lafarge-Holcim pour n’en citer qu’eux, la désaffection touche des pans entiers de l’industrie de transformation brésilienne. Le pays n’a visiblement plus la cote auprès des grands groupes industriels multinationaux. En cause, bien sûr, la pandémie de Covid-19. En 2020, la production automobile au Brésil a chuté de 31 % sous l’effet conjugué des restrictions sanitaires imposées aux employés, du fléchissement de la demande interne et des exportations notamment vers les autres pays d’Amérique Latine.

Cette conjoncture exceptionnelle a également frappé les industries nationales phares, notamment la métallurgique, l’habillement ou les équipements de transport pour l’essentiel implantés dans le sud du pays. Si l’industrie en 2020 dans son ensemble a reculé dans des proportions proches à celles de l’économie générale, de 4,5 % seulement, elle le doit à la bonne tenue des activités industrielles extractives (minières), pétrolifères et agroalimentaires de transformation de la viande ou de la canne à sucre par exemple. Bref, des secteurs tous liés directement au secteur primaire de l’économie brésilienne.

Difficile donc de tout imputer à la crise sanitaire. Le mouvement de désindustrialisation, comme dans d’autres pays du monde, est visible depuis la fin des années 1980 et s’est accéléré avec la crise sévère de 2013-2014, puis la crise sanitaire de 2020. En avril dernier, malgré un rebond récent, la production industrielle au Brésil était de 13,4 % inférieure à ce qu’elle était en 2012 et de 32 % si l’on retranche les industries extractives, pétrolifères et agroalimentaires. Au final, sans ses trois secteurs, l’industrie ne pèserait plus que 8 % du PIB du pays.

Un nouveau boom des matières premières ?

Mai 2021. A l’intérieur des terres, dans l’Etat du Mato Grosso, autre décor, autre ambiance. Sur les 583 000 ha (55 fois la taille de Paris) que compte le seul groupe agricole « Bom Futuro », ou les 285 000 ha de la famille Maggi, les épandages de produits phytosanitaires par voie aérienne1 et les moissonneuses tournent à plein régime.

Entre mai 2020 et 2021, la production de soja au Brésil a crû de 9,4 % et dépasse, pour la première fois de son histoire, les 133 millions de tonnes. Le pays consolide ainsi sa place de premier producteur mondial de cette denrée destinée pour l’essentiel à l’alimentation du bétail en Chine et en Europe. Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, la hausse de l’offre n’a pas eu d’effet à la baisse sur les prix, tout au contraire. Dopé par une demande mondiale dynamique et d’intenses mouvements spéculatifs sur les marchés à terme, le prix du sac de soja a gagné 78 % à la cotation sur les marchés internationaux en 2020.

Ce « boom » spectaculaire se poursuit : le prix de la denrée a encore augmenté de 9,8 % sur les quatre premiers mois de 2021. Cette situation fait le bonheur des grands producteurs, et du « Big 4 »2 du négoce : les américaines Astier, Bunge et Cargill et la française Louis Dreyfus Compagnie (LDC) dont la rémunération est en partie indexée sur les prix. Pour couronner le tout, la faiblesse de la monnaie nationale, le real, sur le marché des changes, est venue enrichir un peu plus les vendeurs brésiliens de soja dont les contrats sont, eux, libellés en dollar.

Mais la situation n’est pas rose pour tout le monde. Elle compte aussi ses perdants. L’augmentation des exportations, en créant un effet d’éviction sur le marché domestique, a provoqué une hausse des importations de 300 % – curieux paradoxe pour le premier exportateur mondial – et une hausse spectaculaire du prix des produits dérivés ou liés au soja : l’huile de cuisine, la plus utilisée par les ménages, ou la viande de bœuf ont vu leur prix augmenter en un an de respectivement 103 % et 50 %.

Les 1 % les plus riches, dont font partie les grands propriétaires du foncier cultivable et des mines, s’accaparent désormais 49 % de la richesse nationale, contre 46,9 % en 2019 et 40,5 % en 2010

En vérité, le cas emblématique du soja n’est pas isolé. Le prix des produits issus des grandes monocultures brésiliennes : le maïs, le coton, mais aussi les produits miniers (le fer, le cuivre, le niobium), connaissent un regain significatif depuis 2019. Cette hausse est considérée par certains observateurs comme passagère3 et par d’autres, comme le commencement d’un nouveau « boom » généralisé des « commodities » (ou matières premières), semblable à celui que le Brésil a connu dans les années 2000, sous les présidences de Luiz Inacio Lula Da Silva et de Dilma Rousseff.

Ce boom est à la fois une aubaine pour les producteurs et négociants, et une menace synonyme de hausse durable des prix des biens alimentaires et des minerais transformés utilisés dans l’industrie au Brésil mais surtout en Europe, et in fine supportée par tous les consommateurs. Ceci, alors que les autorités monétaires du monde entier redoutent, tout en le minimisant, un retour durable de l’inflation.

Un ruissellement limité

Au Brésil, la presse nationale, l’influent milieu « ruraliste », représentant de l’agronégoce, et le président Jair Bolsonaro se félicitent de cette conjoncture des « commodities » flatteuse pour le pays. Mais c’est peu dire que la population, dont 70 % gagnent le salaire minimum (190 euros par mois) ou moins et se sont appauvris durant la crise sanitaire, n’a pas encore vu la couleur du « boom » des matières premières.

En matière d’emploi d’abord, le marché du travail reste profondément déprimé avec un taux de chômage officiel de 14,8 %, auquel il conviendrait de rajouter l’immense halo du chômage que compose la masse des actifs inoccupés du secteur informel. Sur ce terrain, il y a peu à attendre du dynamisme des secteurs agricole et minier du fait de leur faible teneur en emplois – un effet logique des investissements consentis par les grands producteurs pour épouser les standards de production de l’agriculture intensive (le Brésil est le premier consommateur au monde de produits phytosanitaires) incorporant les technologies les plus modernes. L’Institut brésilien de géographie et des statistiques (IBGE) observe d’ailleurs que depuis 2012, le secteur agricole a perdu 17 % de ses emplois.

En matière de revenus ensuite, le secteur agricole est réputé pour distribuer des revenus modestes, en tout cas sans corrélation avec ses résultats financiers éblouissants. En moyenne, un travailleur agricole perçoit 1,2 salaire minimum soit 215 euros par mois. Par ailleurs, ce secteur, traité dans la presse comme le pilier de l’économie brésilienne et appuyé par un puissant lobbying, bénéficie de larges exemptions et abattements fiscaux sur les principaux prélèvements obligatoires : taxe à l’exportation, impôt sur la circulation des marchandises (dont les intrants), contribution au financement des organismes de sécurité sociale, impôt sur les bénéfices... qui diminuent d’autant sa participation au financement des politiques publiques, notamment d’investissement et de redistribution.

Concentrés entre les mains d’un nombre réduits de propriétaires, les revenus agricoles issus des exportations ruissellent donc modestement au sein de la société brésilienne. Ce pays, connu pour ses contrastes sociaux (euphémisme) ne va pas faillir, une nouvelle fois, à sa réputation : alors que, selon l’IBGE, 50 % de la population est en situation d’insécurité alimentaire (quand une famille ne sait pas si elle aura une nourriture suffisante la semaine suivante) ce qui n’était pas arrivé depuis seize ans, les 1 % les plus riches, dont font partie les grands propriétaires du foncier cultivable et des mines, s’accaparent désormais 49 % de la richesse nationale, contre 46,9 % en 2019 et 40,5 % en 2010, selon Crédit Suisse. De quoi valider les pronostics des économistes d’une reprise économique en 2021 et 2022 en forme de K : une augmentation des revenus des plus riches et un appauvrissement des plus modestes.

Avec la crise sanitaire, le Brésil s’éloigne plus que jamais de son rêve d’une économie plus diversifiée au sein d’une société plus égalitaire et renforce son rôle de fournisseur mondial de matières premières. Une posture dont le pays est accoutumé depuis le début de la colonisation et son insertion, de force, dans le système mondial des échanges au XVIIe siècle.

L’actuel sous-investissement public (dans les infrastructures ou l’éducation dont les crédits fédéraux ont baissé de 38 % par rapport 2016) et privé dans l’industrie, ne laisse guère augurer un renversement de tendance à moyen terme. Dans ce contexte, le gouvernement se fixe comme priorité économique de privatiser le géant public Electrobras, propriétaire des barrages qui fournissent 90 % de l’énergie électrique du pays, et de conclure l’accord commercial UE-Mercosur, qui prévoit d’abaisser les taxes douanières sur les biens manufacturés européens. Pas sûr que ce soit d’un grand secours pour sauver l’industrie brésilienne.

  • 1. Une pratique interdite en Europe
  • 2. Ces quatre groupes contrôlent 70 % du négoce agricole mondial.
  • 3. Voir le 35e rapport Cyclope qui analyse l’évolution des marchés des matières premières.
Commentaires (1)
Loransea 04/07/2021
Effrayant !
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