Commerce

L’Europe doit-elle revoir ses accords de libre-échange ?

8 min

En pleine montée des tensions géopolitiques, la politique commerciale de l’Union européenne ne fait pas l’unanimité. Conséquences environnementales, sociales et sur les producteurs européens sont au cœur des débats.

Spécial européennes

La dernière mandature européenne fut intense du côté de la politique commerciale, non sans susciter de nombreux débats. Signature d’accords de libre-échange (ALE) avec la Nouvelle-Zélande, le Vietnam et le Royaume-Uni, reprise des négociations avec les pays du Mercosur et adoption de nouveaux instruments de défense commerciale… 

La dernière mandature européenne fut intense du côté de la politique commerciale, non sans susciter de nombreux débats. Signature d’accords de libre-échange (ALE) avec la Nouvelle-Zélande, le Vietnam et le Royaume-Uni, reprise des négociations avec les pays du Mercosur et adoption de nouveaux instruments de défense commerciale… La politique commerciale de l’Union européenne (UE) consiste de plus en plus à multiplier les accords bilatéraux, qui couvrent désormais 44 % des échanges commerciaux de la zone.

Mais, au-delà des répercussions économiques, les conséquences pour l’environnement, le bouleversement des filières de production ou encore l’impact social du libre-échange questionnent.

Au Parlement européen, il y a les eurodéputés qui y sont favorables, ceux qui exigent un conditionnement des accords commerciaux au respect de normes environnementales et sociales, et ceux qui veulent tout simplement sortir du libre-échange.

« Les bénéfices à attendre des accords de libre-échange ont par le passé été surestimés par leurs promoteurs, tandis que les conséquences distributives en ont été minimisées et les externalités négatives tout simplement ignorées. Or, libéraliser le commerce n’est pas toujours facteur d’augmentation nette du bien-être global », avertissait en 2017 le rapport de la commission d’experts chargée par le gouvernement français d’évaluer l’impact environnemental et sanitaire de l’accord commercial avec le Canada (CETA).

« Avec les accords de libre-échange, on favorise les exportations et on déconnecte la production des besoins du marché intérieur »Léo Charles, économiste

Le volet commercial de cet accord entre l’UE et le Canada s’applique déjà depuis 2017, mais son entrée en vigueur complète nécessite une ratification des parlements nationaux des Etats membres. Dix ne l’ont toujours pas fait. Le Parlement de Chypre l’a même rejeté, tout comme le Sénat français en mars dernier. Cela ne signe pas encore l’arrêt de mort du CETA, car un nouveau vote devrait être organisé par Nicosie et l’Assemblée nationale aura le dernier mot en France. Mais ces revers sont révélateurs de l’opposition qu’il suscite, notamment sur le plan écologique.

« Greenwashing du libre-échange »

Les échanges qui se sont le plus développés, suite à la mise en œuvre partielle du CETA, sont ceux des secteurs intensifs en émissions de gaz à effet de serre, tels que les combustibles fossiles, les minerais, les engrais, les produits plastiques et chimiques, révèle une étude de l’Institut Veblen.

« Ecologie et libre-échange sont contradictoires ! », s’exclame Léo Charles, membre du collectif des Economistes Atterrés et maître de conférences en économie à l’université de Rennes 2. Au-delà de la pollution engendrée par le transport international, responsable de 33 % des émissions de CO2 générées par le commerce mondial en 2018, il critique « la course à la production polluante ».

« Avec les accords de libre-échange, on favorise les exportations et on déconnecte la production des besoins du marché intérieur. Cela conduit, pour répondre à la demande étrangère, à une surproduction, qui augmente nécessairement notre empreinte carbone », signale l’économiste.

Le CETA contient pourtant, comme d’autres accords commerciaux de l’Union européenne, un chapitre dédié au commerce et à l’environnement. Les signataires y sont encouragés à assurer des « niveaux élevés de protection de l’environnement » et à ne pas « stimuler le commerce ou l’investissement par l’affaiblissement ou la réduction des niveaux de protection prévus par leur droit de l’environnement ».

Mais ces dispositions ne contraignent les parties à aucune obligation réelle et sont souvent purement déclaratoires. « C’est le greenwashing du libre-échange », fustige Léo Charles.

Pour ne pas se limiter au discours politique, il faudrait conditionner la signature des ALE au respect de normes environnementales, instaurer un système de contrôle et sanction en cas de manquement et reconnaître le principe de précaution permettant d’adopter des mesures écologiques en cas de risque pour l’environnement, même en l’absence de certitude scientifique. C’est ce que propose l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D), auquel appartient le Parti socialiste français, dans son programme pour les élections européennes.

Clauses miroirs

Pour les eurodéputés du groupe Renew, dont fait partie la majorité présidentielle macronienne, il faudrait développer encore plus les accords bilatéraux, afin de les utiliser comme levier politique pour inciter nos partenaires à s’engager sur les plans environnemental et social. Des avancées sur le droit syndical et les conditions de travail sont par exemple espérées en Thaïlande, grâce à l’accord commercial en cours de négociation avec l’UE.

Cependant, les standards ne sont pas toujours nivelés vers le haut. Au contraire, pour maintenir la compétitivité européenne, la concurrence internationale est souvent utilisée comme argument pour réduire les normes européennes ou justifier des dérogations.

A cela s’ajoutent les mesures de protection des investisseurs étrangers, de plus en plus présentes dans les accords commerciaux de l’Europe. Le CETA prévoit par exemple la création d’un tribunal spécial qui permettra aux investisseurs canadiens d’attaquer les Etats membres de l’UE s’ils s’estiment lésés par une de leurs décisions, et inversement. Cette sorte de droit de regard sur la politique nationale est critiquée par les associations de défense de l’environnement, qui considèrent que cela peut empêcher la mise en œuvre de politiques ambitieuses pour lutter contre le réchauffement climatique.

L’instauration de clauses miroirs dans les accords commerciaux permettrait au moins d’éviter la course au moins-disant, tant au niveau environnemental que social

L’instauration de clauses miroirs dans les accords commerciaux permettrait au moins d’éviter la course au moins-disant, tant au niveau environnemental que social. Ces clauses conditionnent l’importation de produits en Europe au respect de normes de production similaires à celles qui existent dans l’Union. Encore faut-il pouvoir vérifier leur bonne application avec un système de contrôle des chaînes de production.

Ces mesures, louées par les Verts européens, pourraient aussi éviter la concurrence déloyale, dénoncée notamment dans le cadre du Mercosur. Dans ces pays d’Amérique du Sud, les normes de production et le coût du travail sont en effet plus faibles qu’en Europe. Du côté des Républicains, c’est une atténuation des normes, plutôt qu’une imposition des règles européennes à nos partenaires, qui est prônée.

Quant aux eurodéputés du Rassemblement national, ils ont aussi exprimé leur volonté de protéger les agriculteurs, à l’aune de la crise agricole qui a éclaté en début d’année, en renationalisant la politique commerciale, actuellement compétence exclusive de l’UE. Ils n’ont cependant pas précisé comment ils mèneraient cette politique.

Spécialisation à l’exportation

Les débats sur la politique commerciale portent surtout sur les conséquences pour la France, mais les effets sur nos partenaires commerciaux sont aussi bien réels. Mathilde Dupré et Stéphanie Kpenou, respectivement codirectrice et chargée de plaidoyer à l’Institut Veblen, recommandent ainsi, dans un article pour L’Economie politique, d’appliquer ces clauses miroirs également aux exportations européennes. Cela signifierait ne pas vendre à l’étranger des biens bannis du marché européen, tels que certains produits phytosanitaires.

« Les accords de commerce européens enferment les pays du Sud dans une spécialisation moins favorable et aggravent leur dépendance dans les autres domaines, complète Léo Charles. C’est le cas de l’ALE avec le Mercosur, présenté comme un accord viandes contre voitures, qui confirme la spécialisation de chacun sans permettre d’engager une politique de développement, ni de hausse des normes. »

Côté européen aussi, « les pays se spécialisent dans les secteurs exportateurs, où ils disposent d’un avantage comparatif, au détriment d’industries qui répondent aux besoins du marché local à la place des importations », explique l’économiste. Il préconise alors un « protectionnisme négocié », à l’image des propositions de La France insoumise pour les élections européennes.

L’idée est de ne plus produire pour l’extérieur mais pour la demande intérieure et de n’exporter que le surplus éventuel. Les importations se poursuivraient dans les domaines où il n’est pas possible de produire sur le territoire, par manque de ressources naturelles nécessaires principalement.

Alors que les grains de sable dans le mécanisme de la mondialisation se multiplient (blocages au niveau de l’Organisation mondiale du commerce, perturbations du transport maritime, tensions géopolitiques), il y a au moins un point qui semble faire consensus : la nécessité de relocaliser certaines activités.

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