Europe

En Lituanie, vent de fronde contre la Chine

6 min

Le gouvernement de l’Etat balte a décidé de se rapprocher de Taïwan, s’attirant les foudres du régime communiste chinois.

La Lituanie, petit pays balte de 2,7 millions d’habitants, irrite le géant chinois. A tel point que Pékin a décidé en août de rappeler son ambassadeur à Vilnius et a ordonné au gouvernement lituanien de faire de même. En cause : l’annonce de l’ouverture d’un « bureau de représentation taïwanais » par l’Etat balte.

Les mots ont un sens. Si Pékin tolère l’existence de postes diplomatiques sous le nom de Taipei, la capitale de l’île, il ne peut accepter la...

La Lituanie, petit pays balte de 2,7 millions d’habitants, irrite le géant chinois. A tel point que Pékin a décidé en août de rappeler son ambassadeur à Vilnius et a ordonné au gouvernement lituanien de faire de même. En cause : l’annonce de l’ouverture d’un « bureau de représentation taïwanais » par l’Etat balte.

Les mots ont un sens. Si Pékin tolère l’existence de postes diplomatiques sous le nom de Taipei, la capitale de l’île, il ne peut accepter la mention de Taïwan. C’est un pas de trop vers la reconnaissance de la souveraineté de l’île, que le régime communiste chinois considère toujours comme une partie de son territoire.

Appuyant sa solidarité avec Taïwan, Vilnius lui a envoyé 20 000 puis 235 000 doses de vaccin contre le Covid au cours de l’été.

Le 22 septembre, le gouvernement lituanien a remis de l’huile sur le feu. Il recommande de ne pas acheter de nouveaux téléphones chinois et de se débarrasser de ceux déjà acquis « aussi vite que possible ». La raison : la découverte de risques de fuites de données personnelles et de l’existence de « fonctionnalités malveillantes » sur des mobiles de marque Xiaomi et Huawei.

Le centre national pour la cybersécurité a révélé un système de censure bloquant 449 expressions comme « Longue vie à l’indépendance de Taïwan », « Mouvement démocratique de 1989 » ou « Tibet libre » sur les téléphones Mi-10T 5G, de la marque Xiaomi. Ce système n’est pas activé en Lituanie, mais pourrait l’être à distance. Selon les experts lituaniens, il a sans doute été installé dès l’usine et laissé par erreur – il serait destiné à contrôler les utilisateurs du marché intérieur chinois.

Les deux firmes ont fermement démenti les accusations de Vilnius. « Nous voulons étendre nos investigations sur les risques associés posés par les matériels de communication chinois dans les secteurs du transport ou de l’énergie », a appuyé le ministre adjoint lituanien de la Défense, Margiris Abukevicius, interrogé par Le Monde.

Des échanges commerciaux décevants

Pour comprendre la fermeté des positions anti-chinoises de Vilnius, il faut remonter au mois de novembre 2020. L’alternance politique amène au pouvoir une coalition entre les démocrates-chrétiens et les libéraux, qui promettent de nouvelles orientations géopolitiques.

« Nous nous sommes engagés à mener une politique étrangère qui prenne en compte nos valeurs et la question des droits de l’homme », explique Matas Maldeikis, député démocrate-chrétien et président du groupe pour les relations avec Taïwan au parlement lituanien.

« Le gouvernement peut se permettre ces affronts car la Lituanie est très peu dépendante de Pékin d’un point de vue commercial. Il y a d’ailleurs plus d’investissements lituaniens vers la Chine que l’inverse. A côté des préoccupations sur le plan des valeurs, il y a aussi une certaine déception à Vilnius de ces échanges économiques restés faibles », précise Camille Brugier, chercheuse spécialiste des relations entre l’Union européenne (UE) et la Chine à l’Institut pour la recherche stratégique de l’Ecole militaire.

C’est ce qui a poussé en mai le nouveau gouvernement lituanien à quitter le forum 17+1, qui réunit Pékin et désormais seize pays d’Europe centrale et orientale.

En 2020, la Chine continentale n’était que la 22e destination d’exportation de la Lituanie, avec 315 millions d’euros, et se plaçait à la 40e place en termes d’investissements étrangers directs avec 7,8 millions d’euros. Désormais, le pays balte mise sur Taïwan. « Le rapprochement entre les deux est très intéressant d’un point de vue commercial pour Vilnius », explique Camille Brugier. La Lituanie espère surtout exporter de l’agroalimentaire et pourrait importer de la tech taïwanaise.

Représailles chinoises

Si la Lituanie a décidé d’ouvrir un bureau de représentation taïwanais, le ministère des Affaires étrangères assure qu’il « continue d’adhérer au principe d’une seule Chine ». Ce qui ne convainc pas Pékin, bien décidé à lui faire payer cet affront.

« Le régime communiste chinois ne peut pas se permettre de laisser faire Vilnius et doit le punir pour éviter que d’autres Etats ne le suivent », indique Vida Macikenaite, professeure adjointe de relations internationales à l’université internationale du Japon.

la Chine utilise tous les outils en sa possession pour faire pression sur le gouvernement lituanien

Alors, la Chine utilise tous les outils en sa possession pour faire pression sur le gouvernement lituanien. Elle a ainsi stoppé le fret ferroviaire partant de son territoire vers Vilnius sur une ligne inaugurée dans le cadre des nouvelles routes de la soie en avril 2020, qui faisait de Lituanie une de ses têtes de pont du commerce par train vers l’Europe. Elle complique également tout échange commercial avec les entreprises locales en suspendant les licences et les crédits.

« C’est du sabotage mais on ne pliera pas pour un peu d’argent. On sait que commercer avec des pays où il n’y a pas d’Etat de droit et pas de démocratie n’est au final jamais bénéfique. On l’a vu par le passé avec la Russie », poursuit Matas Maldeikis.

Après son indépendance de l’URSS en 1990, la Lituanie a souffert des pressions russes, notamment sur le prix du gaz, nourrissant sa méfiance. Jusqu’en 2014, la Russie en était l’unique importatrice. Mais avec la construction d’un gazoduc en mer baltique et une politique de diversification des sources d’approvisionnement, la part du gaz russe représente aujourd’hui environ 30 %.

Effet tache d’huile ?

Cet épisode de tensions influencera-t-il les relations entre l’UE et la Chine ? Sans doute pas directement, étant donné le faible poids diplomatique de la Lituanie. D’autres pays pourraient toutefois être tentés de se rapprocher économiquement de Taïwan à leur tour – d’ailleurs 18 pays de l’UE ont déjà une mission diplomatique ou un bureau de représentation de Taipei.

« Au départ, on a cru que certains allaient suivre Vilnius : les Etats baltes, la Tchéquie ou la Pologne. Mais au final, devant les protestations de Pékin, on a vu que ces pays temporisaient », constate Vida Macikenaite.

Néanmoins, Taïwan continue d’avancer ses pions en Europe centrale et orient ale, conscient que la relation avec la Chine ne satisfait plus ces Etats. Une délégation commerciale venue de Taipei doit d’ailleurs se rendre à Vilnius, en Tchéquie et en Slovaquie à la fin du mois d’octobre.

Outre ces pays, la relation UE-Chine est désormais au cœur de toutes les discussions européennes, pointe Camille Brugier, qui note un léger changement dans les déclarations officielles sur ce sujet :

« Depuis quelques années, l’UE dit de la Chine qu’elle est "un partenaire, un concurrent et un rival systémique". En Slovénie, le 6 octobre, Charles Michel, le président du Conseil européen a dit qu’il considérait Pékin comme "un concurrent, un partenaire et un rival systémique". Et ici, l’ordre est important. »

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !
Sur le même sujet
Foo Série 1/17
Energie

Grâce à la biomasse, la Lituanie se passe des hydrocarbures russe

Eva Moysan