La question

L’OMC sert-elle encore à quelque chose ?

6 min

Après un énième sommet soldé par un échec cuisant, à Abou Dhabi, l’Organisation mondiale du commerce semble devoir se réformer pour conserver une chance de répondre aux défis climatiques, sociaux et de développement.

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La conférence ministérielle bisannuelle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’est close le 2 mars dernier à Abou Dhabi sans obtenir aucun résultat sur les dossiers de l’agriculture et de la pêche. Un échec retentissant – et c’est loin d’être le premier – alors que les tensions sur les échanges internationaux se multiplient : guerre commerciale sino-américaine, perturbations du transport maritime, etc.

Contournant ces sujets majeurs, la conférence de début mars devait trouver un accord pour…

La conférence ministérielle bisannuelle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’est close le 2 mars dernier à Abou Dhabi sans obtenir aucun résultat sur les dossiers de l’agriculture et de la pêche. Un échec retentissant – et c’est loin d’être le premier – alors que les tensions sur les échanges internationaux se multiplient : guerre commerciale sino-américaine, perturbations du transport maritime, etc.

Contournant ces sujets majeurs, la conférence de début mars devait trouver un accord pour interdire les subventions contribuant à la surpêche et établir un programme de travail sur les négociations agricoles. Des ambitions plutôt limitées, donc, qui n’ont pourtant pas abouti.

L’organisation, fondée en 1995, s’est en effet retrouvée progressivement bloquée dans ses deux domaines de compétence : la négociation des nouvelles règles de commerce et le règlement des différends.

Hostilité des Etats-Unis et de la Chine

Sur le second volet, la paralysie de l’organe d’appel du mécanisme des règlements en est sans doute l’illustration la plus évidente. A partir de 2016, les Etats-Unis, alors sous l’administration Obama, refusent le renouvellement des membres de cet organe d’appel. Ce blocage s’est poursuivi sous le mandat de Trump, qui a vu la dernière membre de l’organe d’appel quitter ses fonctions à la fin 2020, laissant l’ensemble des sièges vacants.

« En tant que clé de voûte de l’organe de règlement des différends, sa paralysie met à bas la cohérence de l’ensemble », commente Sébastien Jean, professeur au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).

Cette nouvelle forme de politique de la chaise vide a continué sous Biden, bien qu’il ait permis la nomination d’une nouvelle directrice générale en soutenant la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, qui a pris la tête de l’OMC en février 2021.

Les Etats-Unis (pays le plus attaqué devant cette instance) reprochent à l’organisme de règlement des différends d’aller au-delà de l’interprétation des règles internationales de commerce et d’avoir adopté une approche jurisprudentielle, qui pourrait créer des obligations nouvelles pour les Etats membres.

Sébastien Jean estime qu’au-delà de ces questions procédurales, les motivations américaines sont plus profondes :

« Les Etats-Unis sont de moins en moins satisfaits par les règles du commerce international. Ils n’acceptent plus d’être contraints dans le cadre de l’OMC, en particulier pour ce qui concerne leur politique vis-à-vis de la Chine et leur politique de transition écologique autour de l’Inflation Reduction Act (IRA). »

Or Pékin non plus ne fait pas montre d’une grande volonté d’accepter les contraintes de l’OMC. « Bien qu’elle respecte les règles formellement, le fonctionnement de la Chine n’est pas compatible avec l’esprit dans lesquels les accords ont été conçus », estime Sébastien Jean, qui pointe l’interventionnisme de l’Etat et du Parti, ainsi que son protectionnisme informel.

Les deux plus grandes puissances économiques du monde cherchant à se soustraire à son contrôle, on mesure à quel point la tâche de l’OMC est difficile.

Logique de dérégulation

Outre le règlement des différends, l’organisation ne parvient plus à faire évoluer les nouvelles règles de commerce.

« Depuis sa création en 1995, il n’y a pas eu de réforme d’ampleur au sein de l’OMC au niveau multilatéral. Des décisions ont bien été prises lors des conférences ministérielles, mais rien qui n’a permis de mettre à jour les règles globales, qui sont donc devenues de plus en plus obsolètes », déroule Sébastien Jean.

Une critique que l’on retrouve jusque dans la bouche de la directrice générale Ngozi Okonjo-Iweala, qui incitait en octobre 2022 les Etats membres à se mettre d’accord sur une refonte des règles commerciales régissant les produits agricoles, obsolètes et déconnectées de l’enjeu du changement climatique, car édictées il y a plus de vingt ans.

L’échec du cycle de Doha, ouvert en 2001 pour une période initiale de trois ans avant de s’enliser durablement, a montré dès le milieu des années 2000 la tendance au déclin du multilatéralisme et les limites de l’OMC. Ces négociations visaient à approfondir la libéralisation des échanges agricoles, industriels et de services, dans le but affiché de rééquilibrer la mondialisation en faveur des pays en développement, en favorisant l’accès de leurs produits aux marchés occidentaux.

Or cette logique de dérégulation a été fortement critiquée, notamment par les mouvements altermondialistes. Chaque réunion de l’OMC dans le cadre du cycle de Doha était l’occasion de communiqués acerbes des associations. Ainsi, en 2008, Attac se félicitait de l’échec des négociations de Genève et « qu’un très mauvais accord ait été évité ».

« A force de vouloir que tout soit marchandise, que tout profite aux plus fortunés – hommes ou pays –, on court forcément à l’échec. L’OMC ne sert plus à rien », écrivait l’ONG.

Manque d’alternatives

Après l’adoption du paquet de Bali en 2013, qui a permis à l’OMC de sauvegarder une très petite partie de l’agenda de Doha, un communiqué commun de la coalition ENDWTO (« En finir avec l’OMC », en français) et de l’Assemblée des mouvements pour une Asie alternative dénonçait « un accord juridiquement contraignant sur la facilitation des échanges qui est coûteux à mettre en œuvre pour les "pays en développement" mais qui déroule un tapis rouge aux entreprises multinationales ».

Dans la même veine, le politiste Cédric Leterme considérait dans les colonnes du Monde en 2022 que les règles de l’OMC « vis[ai]ent d’abord et avant tout à promouvoir la libéralisation commerciale (et les intérêts des multinationales qui en profit[ai]ent), y compris au détriment de l’environnement, des droits des travailleurs ou encore du droit au développement des pays du Sud ».

Il décrivait également les pressions importantes sur les pays en développement pour accepter n’importe quel accord sous prétexte qu’il y allait de l’avenir de l’OMC. Le politiste se demandait alors s’il ne fallait pas rompre avec cette institution une fois pour toutes et « enfin jeter les bases d’un nouveau système commercial international en phase avec les urgences sociales, économiques, écologiques ou encore sanitaires actuelles ».

Constatant lui aussi l’incapacité de l’OMC à répondre aux défis globaux, l’économiste Sébastien Jean regrette le manque d’alternatives :

« Il n’y a pas de lieu équivalent à l’OMC, de forum de discussion et de délibération où traiter de problématiques transversales. »

De plus, il souligne que l’absence d’accords multilatéraux pousse vers des négociations bilatérales dans lesquelles le rapport de force est plus défavorable aux pays en développement.

Les enjeux d’une réforme de l’OMC sont considérables. Et l’on peut raisonnablement douter qu’une organisation aussi sclérosée soit en mesure de réussir une telle mue.

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Commentaires (5)
Jacques Clavier 15/03/2024
Le marché « ne fait pas commerce avec la res publica » (Fitoussi, 2014, p. 13) (d’où l’expression de science économique)
(page 48) L’État (de Droit ?) n’est plus une puissance qui se pose en arbitre entre le capital et le travail, mais de plus en plus un garant des politiques dites pro-business.
Jacques Clavier 15/03/2024
. . . le développement à grande échelle du commerce triangulaire et qui permettent, aujourd’hui, de célébrer « une mondialisation économique sans mondialisation politique ». Dans la théorie classique, l’individu qui va au marché a de la sympathie pour l’autre et il est capable de se mettre à sa place. Le marché n’est pas conçu sans l’État de Droit (d’où l’expression d’économie politique).
Dans la théorie néo-classique, pour l’Homo oeconomicus néo-classique, l’autre est un instrument.
Jacques Clavier 15/03/2024
La lecture de : « Moi Joseph Mosneron, armateur négrier nantais (1748 – 1833) » https://www.xavierdenecker.fr/a-15-ans-en-1763-marin-sur-un-navire-negrier/ et la lecture de : "Société, économie et civilisation" (Bernard Billaudot) (pages 48, 49 et 50)
https://books.openedition.org/emsha/422 me permet d’entrer dans la compréhension des représentations mentales d’aujourd’hui, représentations mentales qui ne diffèrent pas de celles d’il y a 250 ans, qui ont permis le développement . . .
Nadette DUPRE 15/03/2024
Maintenant que le traité constitutionnel européen est voté sous forme de traité de Lisbonne (2007), maintenant que l'accord commercial bilatéral de libre-échange entre l'Union européenne et le Canada (CETA 2017) est passé dans les mœurs, et que d'autres traités du même genre sont en cours de négociation (Japon Mexique Australie etc.), tous se référant aux préceptes de la charte de l'OMC (concurrence libre et non faussée, protection des investissements, etc.), l'OMC peut mourir. Le mal est fait.
Mustapha DERRAS 15/03/2024
les regles edictées etaient acceptables lorsqu’elles defendaient une vision avantageuse pour l’occident ! ce n’est plus le cas et cela dérange désormais. oui l’omc est utile pour que EU et US subissent a leur tour les conséquences de leurs propres folie et la pression d’un système qu’ils ont mis au point et defendu !
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