Opinion

La nature, ce n’est pas que le plein air

9 min
Lucile Schmid Vice-présidente de la Fabrique de l'écologie

Lancée il y a quelques semaines, la pétition « pour un accès responsable à la nature en période de confinement » a connu un beau succès médiatique et citoyen (plus de 159 000 signatures au 22 mai). Alors que le « déconfinement » a commencé depuis quelques jours en France, les interrogations soulevées par ce texte restent d’actualité.

La Belgique et l’Allemagne ont autorisé sports et activités de plein air – avec l’accès aux parcs, jardins et forêts – malgré les restrictions à la liberté de circulation pour combattre la pandémie

Rappelant que la Belgique et l’Allemagne ont autorisé sports et activités de plein air – avec l’accès aux parcs, jardins et forêts – malgré les restrictions à la liberté de circulation pour combattre la pandémie de Covid, les auteurs de cette pétition notent le décalage entre l’usage de moyens technologiques coûteux (drones, hélicoptères, motocross…) et l’absence de justifications sanitaires évidentes à l’interdiction d’accès à la nature partout en France.

Sous la responsabilité des préfets ou parfois des maires qui ont statué par arrêté, le confinement s’y est en effet traduit par une impossibilité quasi-totale d’accéder à l’ensemble des lieux de nature, en ville ou en zone péri-urbaine, dans les zones rurales, sur le littoral ou en montagne. La déclinaison de la loi d’urgence sanitaire du 23 mars 2020 par les représentants locaux de l’Etat a donc été unanime quelles que soient les caractéristiques du territoire concerné.

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Est-il vraiment plus dangereux d’aller faire ses courses dans un supermarché que de se promener en forêt ou dans un parc municipal en respectant la distanciation physique ? La motivation et la proportionnalité de ces mesures d’interdiction offrent pour le moins matière à débat juridique.

Une vision instrumentale

Les timides évocations officielles du végétal ou de l’animal pendant le confinement ont, en outre, toutes relevées d’une vision purement instrumentale et domestique. Passons sur la sortie du ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, qui avait surpris dès la fin mars en incitant avec force les citadins à aller cueillir les fraises ou aider à collecter le lait. C’est ensuite l’accès aux jardins familiaux qui a pu être préservé pourvu qu’il s’agisse strictement de cultiver ses légumes et non de s’asseoir sous la tonnelle, au contraire de l’Allemagne où les usages n’étaient pas encadrés.

Les jardineries et les pépinières ont quant à elles pu rouvrir début avril pour vendre des graines et des plants potagers, désormais considérés comme des biens de première nécessité, et non des « plantes ornementales ». Une motivation strictement limitée donc à des garanties alimentaires, et au souci de limiter les pertes de revenus agricoles ou de certains commerces.

Au moins avions-nous le droit de promener un chien, mais pas d’autres animaux (ni chat, ni lapin) comme l’ont rappelé les forces de l’ordre à certains contrevenants.

Dans le même temps, de nombreux reportages diffusaient à l’unisson les images d’une biodiversité en pleine renaissance, justement parce que nous étions confinés

Après avoir été un impensé de la loi du 23 mars 2020, l’accès à la nature et plus largement les plaisirs qui peuvent y être liés ont donc été considérés en France comme incompatibles avec les contraintes sanitaires.

Cette situation était d’autant plus frappante que, dans le même temps, de nombreux reportages diffusaient à l’unisson les images d’une biodiversité en pleine renaissance, justement parce que nous étions confinés. Des oiseaux qui chantaient plus fort, des cerfs et des sangliers dans la ville, des eaux plus bleues parce que les pollutions, intrusions, et autres prédations humaines étaient à l’arrêt.

Nature et êtres humains dans des mondes parallèles. La biodiversité comme fruit défendu. Et d’autant plus défendu pour ceux, souvent les moins favorisés, toujours les habitants des zones les plus densément peuplées, qui n’ont ni jardins, ni résidences secondaires, ni accueil familial possible hors de la ville.

Or faut-il le rappeler, la France est au sein de l’Europe, l’un des pays qui a le privilège d’avoir une biodiversité particulièrement riche, comme le souligne le site de l’Inventaire national du patrimoine naturel (INPN) du fait de sa superficie, de sa géologie variée, des influences humaines et évidemment de l’existence d’écosystèmes très diversifiés outre-mer.

Etendue des forêts, variété des paysages et des côtes marines, massifs montagneux, bocages… en France nous pouvons découvrir les caractéristiques de quatre zones biogéographiques (atlantique, continentale, méditerranéenne et alpine) sur les six qui existent en Europe.

Un accès différencié

Avec le déconfinement, l’oubli administratif initial a été en partie réparé. La préoccupation d’accès à la nature a même fait partie du débat parlementaire de prolongation de l’état d’urgence sanitaire. Initialement, les différences de régime entre départements rouges et verts incluaient déjà explicitement l’accès à des lieux naturels. Celui-ci était différencié. En rouge : les parcs ne rouvraient pas, mais aller en forêt était possible. Les deux étant autorisés pour les secteurs verts.

Mais, en quelques jours, les événements se sont précipités face aux pressions des élus locaux et de certaines professions. Les guides de montagne ont ainsi pu dans certaines limites (sorties à la journée) reprendre leurs activités dès le 13 mai. Les demandes d’accès aux plages par les maires des villes côtières se sont multipliées avant le 11 mai, et ont été autorisées au cas par cas.

Dès le premier week-end de déconfinement, un très grand nombre de plages étaient ouvertes de la Bretagne à l’Hérault. On a donc assisté à une véritable accélération que le gouvernement et les préfets n’avaient sans doute pas totalement anticipée, mais à laquelle ils ne se sont pas opposés sur le terrain.

Ceux qui le souhaitent et surtout le peuvent, pourront donc se déplacer dans des lieux de nature. Mais s’agit-il pour autant de redonner à la nature une place dans une vie où les contraintes sanitaires resteront centrales ? Car la nature, ce n’est pas le plein air.

« Nous sommes dépassés par un nouveau public, citadin qui vient prendre l’air en forêt. Mais ce public n’a pas conscience des contraintes de la forêt. Il vient ici avec ses propres habitudes. Il piétine des réserves naturelles, des sites archéologiques. Les chiens ne sont pas tenus en laisse, les cyclistes roulent en dehors des chemins. Cela crée des accidents et énormément d’impacts négatifs. »

Ce témoignage d’un garde de la forêt de Soignes en région bruxelloise, publié sur le site de la RTBF le 21 avril, souligne que les tensions habituelles autour de l’accès à la nature ont pu être amplifiées lorsqu’il était autorisé pendant le confinement.

Le respect des espèces et des écosystèmes ne va pas de soi. Il suppose une éducation, des règles, des personnes pour les faire entendre et implique surtout la conscience de leur existence et l’envie de les connaître. Cet exemple rappelle aussi en creux combien le terme de nature englobe des réalités différentes, du plus lointain – le sauvage, la wilderness – au plus quotidien – le jardin public et les plantes en pot du balcon –, du simple au complexe. Et comment chacune de ces réalités appelle des comportements adaptés.

S’il n’est pas question de respect de la nature dans le langage officiel, comment promouvoir une forme de double responsabilité, sanitaire et écologique ?

La question centrale reste celle-ci. S’il n’est pas question de respect de la nature dans le langage officiel, comment promouvoir une forme de double responsabilité, sanitaire, pour empêcher la contagion par le virus, et écologique, de protection de la biodiversité, dans les lieux concernés ?

Dans cette période d’inquiétude et de surveillance, la nature est avant tout envisagée comme un cadre utile à la santé physique et mentale des êtres humains (prendre l’air, se détendre, faire « un break »). Une vision qui semble actuellement confortée par le déconfinement. La réouverture des plages en France en est un bon exemple. Elle est en effet adossée au concept de « plage dynamique » qui consiste à n’autoriser que la pratique d’une activité physique sur la plage et en mer. A Paris, le jogging est dans la rue, dans les villes côtières il est sur la plage.

L’urgence sanitaire ne semble pourtant pas avoir refermé une conscience écologique grandissante au sein de la société. Il est d’ailleurs frappant que dans les témoignages recueillis à l’issue de ce premier week-end de confinement, les uns et les autres évoquent volontiers le plaisir d’être dans la nature, tout à la fois physique et esthétique dont aucun discours officiel ne peut rendre compte.

Mais cette période ne facilite pas la définition de nos interactions avec la nature perçue comme plus menaçante – la vision d’une pandémie née d’un virus issu du monde sauvage a pu faire dire à certains que « la nature se venge ».

Elle est aussi le plus souvent absente des discours officiels et instrumentalisée comme simple cadre de détente d’organismes humains sous pression. Ce sont d’ailleurs les enjeux climatiques marqués par une approche plus macro-économique et technique qui mobilisent aujourd’hui largement les débats sur la conversion verte post-Covid.

Mais si nous n’arrivons pas à donner à nos interactions avec la nature leur pleine importance à l’issue de l’épreuve que nous vivons, comment pourrons-nous porter un projet de société écologique et une révolution des comportements ?

Reconnaissance

Patrick Blandin, professeur émérite au Muséum d’histoire naturelle, auteur de Biodiversité, L’avenir du vivant (Albin Michel), proposait ainsi dans un entretien en août 2014 de passer d’une vision anthropocentriste de la nature, qui ne donne à celle-ci de valeur qu’en fonction des usages, à une vision écologique fondée sur la reconnaissance de l’importance des ensembles et d’une communauté d’interdépendance dont les êtres humains font partie. « La biodiversité c’est un projet de société », rappelait-il. Mais comment passer des principes à l’action ?

« La nature, c’est un projet de société », Patrick Blandin, professeur émérite au Muséum d’histoire naturelle

De manière très concrète, la fédération d’associations France Nature Environnement (FNE) a rappelé ces derniers jours une vérité d’évidence, celle que « le confinement lié à la crise sanitaire s’est transformé en un déconfinement pour la faune et la flore ».

Elle a aussi appelé ceux qui le souhaitaient à rejoindre le dispositif « sentinelles de la nature » qu’elle a développée progressivement depuis deux ans, après son lancement en Auvergne et en Rhône-Alpes. Grâce à une interface cartographique numérique, chacun peut devenir sentinelle et signaler les atteintes à l’environnement (dépôt sauvage, épandage, pêche illégale...) ou à l’inverse les initiatives positives (nettoyage d’une forêt, jardins partagés). Se déconfiner en devenant sentinelle de la nature, voilà un belle manière de retrouver l’air libre.

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Commentaires (2)
Jean-Charles Piketty 25/06/2020
Bravo pour ce texte ! Beaucoup d'humains n'ont plus la chance de se mouvoir en pleine nature, les espèces disparaissent, mais beaucoup d'humains ne les connaissaient même pas. Qui connait le chêne pédonculé, le pilier de la forêt française, il dépérit de sécheresse actuellement, il n'a plus le temps de migrer avec l'aide de son allié, le geai des chênes. Qui connait le cri d'alarme du geai des chênes, comme une déchirure. "Scratch !" "Scratch !".
Elegehexxe 22/05/2020
zéro commentaire est un commentaire à ce long texte très ambivalent
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