Bâtiments à Amsterdam Noord, aux Pays-Bas, en mars 2022. Les Pays-Bas sont l'un des pays qui permettent le plus aux multinationales d'échapper aux impôts dans l'UE.RAMON VAN FLYMEN / ANP VIA AFP
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Entretien

Manal Corwin : « Il est nécessaire de taxer plus efficacement le capital »

5 min
Manal Corwin Directrice du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE

Manal Corwin, qui a pris la succession de Pascal Saint-Amans à la direction du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, réagit au rapport sur l’évasion fiscale publié ce 23 octobre par l’Observatoire européen de la fiscalité. Elle revient également sur les différentes approches étudiées par l’OCDE pour traquer les actifs offshore non déclarés et taxer plus efficacement les plus riches.

Selon le Global Tax Evasion Report 2024 publié aujourd’hui, des avoirs financiers offshore non déclarés ont été transformés en partie en actifs immobiliers non déclarés. Pensez-vous que l'échange automatique de renseignements devrait être étendu aux actifs immobiliers ?

Manal Corwin : Il est encourageant de voir ce rapport fournir des preuves supplémentaires...

Manal Corwin, qui a pris la succession de Pascal Saint-Amans à la direction du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, réagit au rapport sur l’évasion fiscale publié ce 23 octobre par l’Observatoire européen de la fiscalité. Elle revient également sur les différentes approches étudiées par l’OCDE pour traquer les actifs offshore non déclarés et taxer plus efficacement les plus riches.

Selon le Global Tax Evasion Report 2024 publié aujourd’hui, des avoirs financiers offshore non déclarés ont été transformés en partie en actifs immobiliers non déclarés. Pensez-vous que l’échange automatique de renseignements devrait être étendu aux actifs immobiliers ?

Manal Corwin : Il est encourageant de voir ce rapport fournir des preuves supplémentaires que l’échange automatique de renseignements sur les comptes financiers de l’OCDE voulu par le G20 a un impact significatif sur la lutte contre l’évasion fiscale offshore. Cela est conforme à nos propres évaluations.

Nous sommes également conscients de certaines études suggérant qu’après l’adoption de l’échange automatique de renseignements, une partie des avoirs financiers offshore non déclarés a été investie dans l’immobilier. À la demande de la présidence indienne du G20, nous avons récemment remis un rapport explorant des approches possibles pour traiter cette préoccupation dans le domaine des détentions immobilières à l’étranger.

Le rapport identifie des améliorations potentielles à court terme et des améliorations structurelles à plus long terme. Un moyen d’améliorer la transparence fiscale pourrait consister à s’appuyer sur l’approche traditionnelle d’échange de renseignements. Le rapport propose également une modalité plus novatrice, basée sur des registres immobiliers numériques normalisés, consultables et interconnectés, ainsi que des registres de bénéficiaires effectifs pour les entités juridiques concernées.

Cette approche donnerait aux administrations fiscales et aux autres organismes gouvernementaux intéressés un accès efficace, à jour et ciblé aux renseignements sur la propriété directe des bénéficiaires de biens immobiliers étrangers. Nous sommes actuellement en train d’étudier la possibilité de travaux supplémentaires dans ce domaine.

Un pays riche qui propose de taxer les bénéfices des multinationales à 10, 5 % ou même 0 %, tant qu’il y a une substance économique, une activité réelle, se conformerait à la règle de l’imposition minimale. Pensez-vous qu’il existe un risque de concurrence fiscale vers le bas ?

M. C. : L’impôt minimum mondial fixe un plancher pour la concurrence fiscale des entreprises en introduisant un taux effectif d’imposition minimal de 15 % calculé au niveau de la juridiction. Cela n’élimine pas la concurrence fiscale, mais cela lui impose des limites, convenues au niveau multilatéral.

L’exclusion d’une partie des profits basée sur de la substance offre une protection limitée aux pays qui souhaitent proposer des incitations fiscales et attirer de véritables investissements sous forme d’activités locales et d’emplois. Elle répond à des préoccupations importantes soulevées par de nombreux pays, y compris les pays en développement.

Cette exclusion est soumise à de sérieuses exigences en termes de localisation, car elle est calculée uniquement sur la base des actifs et des employés situés dans le pays concerné. En excluant une partie de ces profits, l’impôt minimum mondial se concentre sur les profits excédentaires, qui sont les plus mobiles et les plus susceptibles d’être transférés entre les juridictions. Cette orientation est conforme à la littérature économique qui suggère que les impôts sur les profits excédentaires n’empêcheront pas les investissements.

Elle est également conforme au principe qui sous-tend le projet de l’OCDE/G20 sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (BEPS, selon l’acronyme anglais), visant à assurer une meilleure adéquation entre le lieu où les bénéfices sont déclarés et celui où les activités économiques sous-jacentes générant ces bénéfices sont réalisées.

Pour conclure sur ce point, notre analyse montre que, dans la plupart des centres d’investissement, la substance est plus limitée et les revenus de la réforme de l’imposition minimale mondiale restent substantiels, même avec cette exclusion d’une partie des profits : l’OCDE estime que les gains de revenus supplémentaires peuvent aller jusqu’à 200 milliards de dollars par an sur la base des dernières données.

Le rapport suggère de mettre en place un impôt mondial minimum coordonné sur les grandes fortunes. Pensez-vous que l’OCDE pourrait travailler sur cette question ?

M. C. : Notre travail a souligné depuis des années le rôle de la fiscalité dans la lutte contre les inégalités de revenus et de richesse. Nos études récentes se sont fortement concentrées sur la taxation du capital et des revenus du capital principalement perçus par les personnes à hauts revenus et patrimoines, notamment par l’intermédiaire de rapports sur la taxation du patrimoine, des successions et la comparaison des niveaux d’imposition du travail et du capital des hauts revenus.

Ces rapports soulignent la nécessité d’une taxation du capital plus efficace pour augmenter les recettes fiscales et lutter contre les inégalités, et ils identifient plusieurs pistes de réforme. Nous publierons également prochainement un nouveau travail examinant l’importance de la taxation effective des plus-values pour garantir que les personnes en haut de l’échelle des revenus et de la richesse paient leur juste part.

Notre travail montre que les pays disposent de beaucoup de marges de manœuvre internes mais la coordination internationale sera également essentielle. Cela pourrait inclure l’élargissement des normes de transparence fiscale et la prévention de la concurrence fiscale agressive en matière d’impôt sur le revenu personnel entre les pays qui, si elle n’est pas maîtrisée, est susceptible d’augmenter avec la mobilité accrue des individus à travers les frontières.

Propos recueillis par Christian Chavagneux

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Commentaires (4)
FERNANDO FRANCO 24/10/2023
La complexité étant ennemie de la performance, peut-on nous faire état de ce qui change dans le panorama social global, alors que 200 milliards entrent dans les caisses des institutions financières des États! Il suffit de comprendre que la plupart de cet argent se dégrade en renfort de la bureaucracie centrale pour essayer de rendre efficace la machine. Pour le reste, des exonérations stimulant la fixation des investissements, ce qui fait revenir une part de ces taxations à son origine.
Jean-Paul BARTHES 23/10/2023
Pour tous ceux qui souhaitent moins d'injustice fiscale, rappelons qu'il y a sur kINITIATIVE CITOYENNE EUROPÉENNE – Système de collecte en ligne Taxer la grande fortune pour financer la transition écologique et sociale.
Jean-Paul BARTHES 23/10/2023
Désolé mon message est parti trop tôt, je reprends : Pour tous ceux qui souhaitent moins d'injustice fiscale, rappelons qu'il y a sur le site de l'UE une Initiative Citoyenne Européenne à soutenir, n° 038 "Taxer la grande fortune pour financer la transition écologique et sociale"
VERSON THIERRY 24/10/2023
Merci. Vous auriez le lien par hasard ?
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