Histoire

Le musée de l’immigration, antidote aux lieux communs

5 min

Le Musée de l’histoire de l’immigration rouvre ses portes après trois ans de travaux. Son exposition permanente rappelle utilement combien l’histoire de France est indissociable des mouvements de population qui l’ont irriguée.

Mauvaise nouvelle pour les Le Pen, Zemmour, Ciotti et consorts qui trouvent dans les immigrés et leurs enfants les boucs émissaires idéaux. Après trois ans de travaux, le Musée de l’histoire de l’immigration vient de rouvrir ses portes à Paris. Un rappel vivant de l’impossibilité de dissocier l’histoire de la France, comme de tout autre pays, des mouvements de population.

Le lieu qui abrite cette institution créée en 2007 est tout sauf anodin, puisqu’il s’agit du Palais de la Porte dorée, érigé à l’occasion de l’exposition coloniale de 1931 et ses exhibitions d’êtres humains à la lisière du bois de Vincennes… 

Mauvaise nouvelle pour les Le Pen, Zemmour, Ciotti et consorts qui trouvent dans les immigrés et leurs enfants les boucs émissaires idéaux. Après trois ans de travaux, le Musée de l’histoire de l’immigration vient de rouvrir ses portes à Paris. Un rappel vivant de l’impossibilité de dissocier l’histoire de la France, comme de tout autre pays, des mouvements de population.

Le lieu qui abrite cette institution créée en 2007 est tout sauf anodin, puisqu’il s’agit du Palais de la Porte dorée, érigé à l’occasion de l’exposition coloniale de 1931 et ses exhibitions d’êtres humains à la lisière du bois de Vincennes.

S’il n’est jamais inutile de rappeler que la France est l’un des plus anciens pays d’immigration en Europe et que sa population est le fruit d’un brassage permanent de populations venant de tous les horizons, reste une question épineuse : comment faire entrer tout cela dans un musée, sans risquer de figer une question éminemment vive ?

Pas moins de 75 chercheurs de différentes disciplines (histoire, sociologie, géographie, sciences politiques...) ont planché sur la reconfiguration de la nouvelle exposition permanente. Celle-ci rompt avec l’entrée thématique de la précédente au profit d’une progression chronologique. Chacune des onze sections part ainsi d’une date repère afin que les visiteurs, tels des saumons dans le lit d’une rivière, puissent remonter le temps jusqu’à aujourd’hui.

Remonter le temps

Le parcours débute en 1685, année de la publication du « Code noir » ainsi que de l’édit de Fontainebleau, ce qui permet d’aborder aussi bien la traite esclavagiste que l’exil des Protestants, mais aussi de montrer que la France d’Ancien régime est déjà le théâtre de multiples départs et arrivées de populations pour des raisons tout autant économiques que politiques et religieuses.

Bien peu d’étrangers sont alors « naturalisés » par le roi, mais la donne change fortement en 1789, avec l’instauration d’une citoyenneté politique par les révolutionnaires qui accorde de nouveaux droits aux étrangers et facilite leur accès à la nationalité française, tandis que les émigrés monarchistes, considérés comme des traîtres à la patrie, sont déchus de leurs droits et de leurs biens avant d’être amnistiés par Napoléon.

© Anne Volery

 

Et les flux se poursuivent entre métropole et colonies malgré une première abolition fugace de l’esclavage suite à la révolte des esclaves de Saint-Domingue. La monarchie de Juillet (1830-1848) et la Seconde République qui lui succèdent constituent un autre tournant en suscitant l’afflux de nombreux réfugiés politiques, initiant de fait cette catégorie aujourd’hui disputée.

C’est à la fin du XIXe siècle que les immigrés commencent à faire l’objet d’une ambivalence qui dure jusqu’à nos jours : alors que leurs bras et leur chair (à canon) sont convoités respectivement en temps d’expansion économique et de tensions guerrières, les crises économiques provoquent au contraire leur rejet et les érigent en problème public. Ceux-ci font ainsi l’objet d’une surveillance particulière et servent même de cobayes à certaines techniques comme la carte d’identité, créée d’abord à leur seule destination en 1917 avant d’être généralisée par le régime de Vichy en octobre 1940.

Violences xénophobes

La période englobant les deux conflits mondiaux est l’occasion d’un recul majeur des droits pour les étrangers et immigrés, naturalisés inclus, réduisant considérablement leur nombre, avant un nouveau cycle durant les Trente Glorieuses, dont le mitan est aussi marqué par l’indépendance de l’Algérie en 1962, qui occasionne d’importants déplacements entre les deux rives de la Méditerranée.

La crise de 1973 déchaîne de nouvelles vagues de violence xénophobes et racistes tandis qu’est suspendue officiellement l’immigration de travail. Cette politisation caractérisée par un souci affiché de maîtriser les flux migratoires crée de fait de nombreux « sans-papiers ».

Les régularisations décidées par un pouvoir socialiste poussé par d’importantes mobilisations d’immigrés au début des années 80 sont loin de suffire à les absorber.

L’adoption des accords de Schengen en 1995 dans le cadre de la construction européenne crée quant à elle un double-standard, entre les étrangers provenant de l’Union européenne dont les droits de séjours et déplacement sont étendus, et les autres qui voient les leurs fortement réduits par la forteresse Europe, avec les conséquences dramatiques que l’on connaît en Méditerranée.

© Anne Volery

 

C’est cette histoire pluridimensionnelle et pleine de rebondissements que nous raconte l’exposition à travers près de 700 objets, cartes, et vidéos, auxquels se mêlent des œuvres d’art contemporaines fort à propos.

L’exposition réussit également à tenir ensemble la grande et les petites histoires, celles de quelques-uns de ces innombrables « anonymes » qui ont un jour atterri sur le territoire français et fini par y prendre racine. Ces panneaux où un court texte côtoie des photos ou encore un objet de ces femmes et hommes rendent palpable un phénomène trop souvent réduit à des mots et des nombres.

Loin de la reléguer aux oubliettes de l’histoire, mettre l’immigration au musée aide à mieux comprendre d’où chacun vient. Les migrations sont partie intégrante du métabolisme social et agissent comme un puissant révélateur de ses contradictions.

Cela fait ainsi des siècles que nos gouvernements oscillent entre l’attraction, parfois forcée, de ces forces vives, et leur rejet violent. En témoigne la grève des étudiants médecins contre l’« invasion métèque » dans les années 1930. Ce genre de réaction freine l’intégration alors que le travail, l’école mais aussi les organisations militantes en sont un puissant creuset.

En rappelant la contribution éminente des immigrés à la construction économique, culturelle et politique de la société française et les mauvais traitements qu’ils ont souvent subis en retour, ce lieu peut sans conteste participer à faire migrer les représentations. Une réflexion indispensable alors que le gouvernement prépare une nouvelle loi sur l’immigration.

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Commentaires (1)
JEAN JACQUES GUEANT 24/06/2023
J'apprécie l'article, clair, aéré, qui donne envie de visiter le musée. Sur le moment je m'attendais à lire le nom de Toussaint Louverture mais je me suis repris... ce sera pour l'inauguration du prochain musée de l'histoire coloniale... ! Cordialement. Jean-jacques Guéant
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