Restauration

« Je n’ai pas créé tous ces restaurants pour mettre 25 % du personnel au chômage »

7 min

Patron de quatre restaurants à Paris, Xavier Denamur ne voit pas comment l’activité pourrait vraiment reprendre avant 2021.

Xavier Denamur, dans son restaurant Les Philosophes. PHOTO : ©DMITRY KOSTYUKOV/The New York Times-REDUX-REA

Le télétravail frappe même dans les restaurants, des lieux qu’on imaginait pourtant à l’abri d’une telle éventualité. Xavier Denamur, un patron confiné dans sa résidence du Sud-Ouest, passe ses commandes par téléphone ou internet et dirige ses équipes à Paris par les mêmes moyens.

Etre un hyperactif couplé à un praticien de l’hospitalité (tarifée, quand même) et rester confiné au moment où les autres jouissent du bonheur du déconfinement, ainsi va la vie d’un patron de bistro au temps de la Covid-19…

Si Xavier, 57 ans, dans le métier depuis 1989, reste dans le Sud, c’est que depuis le samedi 13 mars, ses quatre restaurants – Les Philosophes, La Belle Hortense, La Chaise au plafond et Le Petit fer à cheval – qui forment comme un îlot au cœur du Marais sont fermés. Les 66 salariés sont en activité réduite. Sauf quelques-uns qui se relaient pour travailler « en drive ». Une idée de Daniel, un gars de La Belle Hortense.

Pas de cuisine à emporter

Les « drive » ont poussé dans Paris comme les coquelicots après la pluie. Chaque restaurateur propose quelque chose. Xavier Denamur vend du saucisson, du jambon Bellota, des légumes bio… « Cela permet de dire aux clients et aux fournisseurs qu’on existe toujours, commente-t-il. Mais, question rentabilité, c’est zéro : on fait 20 % de marge brute sur les ventes, mais certainement - 20 % de marge nette ! » Car le drive occupe « 1,5 salarié par jour. Plus moi qui gère les commandes de produits. »

Pas question d’aller plus loin dans cette direction, encore moins de faire appel à la livraison par les « plates-formes antisociales et qui exigent 30 % de commission ». Ce qui n’empêche pas La Belle Hortense de porter les colis chez les personnes fragiles. Pas question non plus de vendre de la cuisine à emporter : « Cela demanderait trois personnes en cuisine et deux en salle, avec des prix plus bas. Et puis je fais déjà épicier et je gagne peanuts, alors que traiteur, ce n’est pas notre métier. Il faudrait tout réinventer. »

« S’il faut désinfecter chaque table après chaque convive, on ne s’en sort pas », Xavier Denamur

L’attente et l’appréhension s’entendent dans la voix de Xavier Denamur, pourtant une grande gueule, habitué des plateaux télé et invité récurrent de l’émission Les Informés sur Franceinfo.

Ce qui l’inquiète, ce n’est pas tant la date à laquelle il pourra à nouveau accueillir les clients dans ses salles, mais les conditions qui lui seront imposées : « Si c’est 4 m2 par client, ou 1,5 m de distance, c’est simple : dès qu’un client sera entré dans La Belle Hortense, on fermera la porte derrière lui. Physiquement, c’est mission impossible ! Et s’il faut désinfecter chaque table après chaque convive, on ne s’en sort pas. »

Dans les cuisines, parisiennes, très exiguës, c’est pire : « l’extracteur avale tout à des mètres de distance, donc ça peut porter les germes. Et puis, va travailler au dessus d’un fourneau avec un masque sur la figure ! »

Le restaurateur parisien, donc en plein milieu de la zone rouge, peste contre ses confrères trop pressés de reprendre : « Les Ducasse et Etchebest ont fait un lobbying d’enfer. Mais avec l’espace dans leurs restaurants en province, leurs loyers modérés et les prix qu’ils peuvent pratiquer, leurs problèmes ne sont pas les miens. Et puis je vois que Sébastien Bazin, PDG du groupe Accor, préside le comité chargé de définir le futur protocole sanitaire, cela ne me rassure pas. Mais j’attends les annonces d’Emmanuel Macron le 3 juin, en espérant qu’il a d’autres conseils… »1

Des prêts qu’il faudra rembourser

Bien sûr, le gouvernement a annoncé le 14 mai un plan d’aide au tourisme et à la restauration de 18 milliards d’euros. Quelque 905 000 actifs travaillent dans le secteur de l’hébergement et de la restauration en France, hors saisonniers (300 000 en été, 100 000 l’hiver), dans 171 970 établissements. Et près de 29 % des emplois sont concentrés dans la région Ile-de-France, qui reçoit habituellement plus de 35 millions de touristes.

Pour soutenir un secteur qui pèse lourd, le recours à l’activité partielle sera donc prolongé jusqu’à la fin du mois de septembre, et au-delà si les activités reprennent trop doucement. L’accès au fonds de solidarité est lui aussi maintenu jusqu’à fin 2020 pour les entreprises ayant jusqu’à 20 salariés et 2 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Un prêt garanti par l’Etat « saison » a été créé avec un plafond qui peut atteindre le chiffre d’affaires des trois meilleurs mois de l’année précédente. Les mensualités bancaires de tous les prêts sont reportées sur douze mois et non plus sur six mois.

Sans oublier une exonération des cotisations sociales et patronales « tant que la fermeture durera ». Et un crédit de cotisation de 20 % des salaires versés depuis février pour accompagner la reprise d’activité, imputable sur l’ensemble des cotisations dues.

Problème de ces mesures, « ce sont essentiellement des prêts, qu’il faudra bien rembourser. Actuellement, je supporte 20 000 euros de remboursement des emprunts antérieurs. Si je double, à 40 000 euros, il faudra produire 800 000 euros du chiffre d’affaires… détaille Xavier Denamur. A Paris les loyers sont chers, la main-d’œuvre aussi. Je pratique une cuisine faite maison avec des produits bio et si je ne suis pas à 80 % de remplissage, je suis en pertes. De plus, redémarrer cela demandera du temps, au moins dix jours parce qu’il faut commander, cuisiner, réorganiser. Et de la trésorerie : Ce mois-ci je dois sortir 200 000 euros pour les salaires et les congés payés, et à la fin juin, il faudra régler la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, un impôt de production, ndlr)… »

Pour regagner de la rentabilité, ne peut-on au moins s’appuyer sur l’idée de la mairie de Paris de permettre l’occupation de la voie publique pendant l’été, afin de placer des tables et des chaises ? Le restaurateur n’y croit pas vraiment : « J’attends de voir la proposition concrète de la mairie, mais on voit déjà qu’il faudra aussi appliquer les distances, et s’il faut en plus obtenir l’assentiment des riverains, allergiques au moindre décibel, c’est mal parti… »

Xavier Denamur redoute que l’ouverture anticipée et partielle ne porte un coup fatal aux entreprises et à l’emploi

Même avec le soleil, le troisième trimestre s’annonce catastrophique, faute de touristes : « Ils représentent 60 % du chiffre d’affaires, avec des tickets moyens à 50/60 euros contre 30 euros pour les locaux. Et je ne me vois pas augmenter les prix des repas pour les voisins… » Xavier Denamur redoute que l’ouverture anticipée et partielle ne porte un coup fatal aux entreprises et à l’emploi. Un crève cœur pour le chef d’entreprise : « Moi, je n’ai pas créé tout ça pour licencier 25 % du personnel. »

A ses yeux, le plus efficace, le plus social, sinon le plus simple, serait de reporter l’échéance au début de l’année prochaine, lorsque la pandémie aura cessé : « On ne pas va financer avec des prêts une exploitation déficitaire ! Nous sommes sans doute la seule profession qui ne peut pas imposer le port du masque à sa clientèle et de toutes façons, les clients ne reviendront que lorsque nous aurons retrouvé des conditions normales, alors autant se faire une raison. »

Pour permettre un tel délai, encore faudrait-il que le gouvernement prolonge au moins jusqu’à la fin de l’année tous les dispositifs : exemptions de cotisations sociales, prêts garantis, activité partielle, fonds de garantie des loyers, voire en adopter de nouvelles, comme le report de l’impôt 2019 jusqu’en 2021. Des moyens encore jamais mis en œuvre… « Certes. Mais j’ai traversé toutes les crises depuis celle de 1995 sans fermer, et celle-ci ce n’est pas la même… »

  • 1. Le 25 mai, en fonction de l’évolution de l’épidémie de Covid-19, le gouvernement doit confirmer la réouverture des hôtels, cafés et restaurants en zone verte début juin, et envisager une date pour la zone rouge, par exemple le 21 juin. Un comité présidé par Sébastien Bazin, PDG d’Accor, lui remettra une proposition de protocole sanitaire pour la restauration et l’hôtellerie.

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Commentaires (5)
Un riverain 24/05/2020
... Quant à la charge de ce monsieur contre les plateformes, elle fait sourire car pour lui leur caractère anti-social se limite aux 30% de commission qu’elles prélèvent sur ses prix (l’exploitation des livreurs, ce n’est pas son affaire). Ne lui reste que la plainte et la dénonciation des « gros » comme Ducasse et Etchebest, auxquels avec ses 66 salariés il ressemble davantage qu’à un sympathique petit restaurateur.
Un riverain 24/05/2020
... Sans parler du système global dans lequel prospère cet entrepreneur de la restauration : pollution générée par l’acheminement des touristes par avion et pénurie de logements avec leur cannibalisation par Airbnb pour les loger au détriment des habitants. On s’étonne que Alternatives économiques qui se targue d’esprit critique lui déroule le tapis rouge avec un article si complaisant...
Un riverain 24/05/2020
... Tamouls dont il ne prend conscience des conditions de travail en cuisine qu’à la lumière des contraintes posées par le covid-19. On appréciera aussi le déni de ce monsieur concernant les nuisances pourtant bien réelles (sonores, olfactives...) que son activité fait peser sur les riverains avec des restaurants qui fonctionnent en service continu... Ce monsieur habite-t-il au dessus d’un restaurant à Paris ? Non, dans le Sud...
Un riverain 24/05/2020
Effectivement il s’agit bien d’un chef d’entreprise et non d’un aimable restaurateur : 4 restaurants, comme par hasard dans le Marais, histoire de faire fonctionner la machine à cash. Principale cible : les sacro-saints touristes, de préférence étrangers avec un « panier d’achat » élevé. Des bons gogos à qui l’on pourra facturer des prix exorbitants pour une cuisine française « authentique » préparée par des Tamouls...
Gourou51 22/05/2020
Ce chef d'entreprise a raison. A quoi lui sert-il d'ouvrir ses restaurants avec des normes sanitaires qui vont le faire travailler à perte? Je ne connais pas beaucoup de restaurateurs qui y sont prêts mis à part les grandes chaines et les restaurants gastronomiques. Personnellement retourner au restaurant avec tout un protocole à respecter c'est sans moi!
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